Dans la mort, il faut attendre

11.10.2023

Droit public

L’hôpital qui incinère le corps d’un enfant né sans vie avant un délai de dix jours commet une faute, même lorsqu’il a agi avec l’accord des parents, à l’égard desquels il est lié par une obligation d’information sur la procédure.

C’est comme toujours une histoire tragique qui offre au Conseil d’État, dans une décision du 19 septembre 2023, la possibilité de clarifier les règles applicables à la conservation du corps des enfants nés sans vie.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Le 7 août 2013, une femme de vingt ans accouche d’un enfant mort-né. La parturiente quitte l’hôpital le lendemain en signant, avec son conjoint, un document autorisant l’établissement à « effectuer en leur lieu et place les formalités d’inhumation de l’enfant ». Fort de ce formulaire, l’hôpital fait procéder à la crémation de la dépouille cinq jours plus tard. Cinq ans après, la femme engage la responsabilité de l’établissement arguant d’un préjudice moral lié au fait de ne pas avoir pu elle-même procéder aux funérailles ni y assister. Après un rejet de sa demande en première instance comme en appel, la requérante saisit le Conseil d’État qui trouve dans cette affaire l’occasion de préciser le contour des obligations des établissements hospitaliers confrontés à une telle situation.

Conditions complexes du traitement funéraire des enfants nés sans vie

Le destin des corps des fœtus morts avant la naissance obéit, en droit français, à une réglementation complexe. De façon originale, le devenir de ces corps n’est pas lié à l’établissement effectif d’un acte mais à la possibilité que cet acte soit établi. En l’occurrence, l’article R. 1112-75 du code de la santé publique conditionne la remise du corps à des fins funéraires au fait que soient remplies les conditions de l’établissement d’un acte d’enfant né sans vie, quand bien même cet acte, qui est optionnel pour les « parents », n’aurait pas été demandé (C. civ., art. 79-1).

C’est donc « en creux » que l’on comprend que la possibilité d’un traitement funéraire des corps n’est possible que si la gestation a dépassé un certain stade – celui au-delà duquel l’établissement de l’acte d’enfant sans vie est autorisé (Sur l’application de ces textes v. Charrier Ph, Clavandier G., Girer M., Rousset G. (dir.), 2019, Administrer une question incertaine : le cas des enfants sans vie. Rapport final du projet PÉRISENS). Au regard du modèle de certificat médical nécessaire à son établissement, un acte d’enfant sans vie peut être dressé si la fin de la grossesse est due à un « accouchement spontané » et, à l’inverse, ne peut l’être en cas de fausse couche précoce. La frontière entre les deux notions étant, quant à elle, une appréciation médicale, essentiellement liée à la durée de la grossesse – la limite étant généralement placée, en pratique, entre quatorze et vingt-deux semaines d’aménorrhée. Dans cette hypothèse, des funérailles – crémation ou inhumation – peuvent donc être effectuées par les « parents », bien que cette possibilité ne soit pas explicitement prévue par le code – qui ne prévoit que la remise du corps – et ressorte, en réalité, d’une circulaire du 19 juin 2009 (Circ. DGCL/DACS/DHOS/DGS/DGS n° 2009-182 du 19 juin 2009). En cas de non-réclamation des corps dans un délai de dix jours après le décès, l’établissement de santé dispose de deux jours pour « procéder, à sa charge, à la crémation du corps de l'enfant pouvant être déclaré sans vie à l'état civil ou, lorsqu'une convention avec la commune le prévoit, en vue de son inhumation par celle-ci » (C. santé publ., art. R. 1112-76). Dans cette hypothèse, le fœtus doit être éliminé dans un crématorium classique et non dans les incinérateurs des établissements de soins. Le « franchissement de seuil » de l’embryon le fait ainsi échapper au dispositif général d’élimination des déchets hospitaliers ou des pièces anatomiques (C. santé publ., art. R. 1335-8 et s.).

Obligation de conservation du corps par l’établissement

La possibilité, pour les géniteurs, de réclamer le corps pour procéder eux-mêmes à de véritables funérailles est énoncée par le code de la santé publique sous la forme d’un droit : « la mère ou le père dispose, à compter de l'accouchement, [d’un délai de dix jours] pour réclamer le corps de l'enfant pouvant être déclaré sans vie à l'état civil » (C. santé publ., art. art. R. 1112-75). Cette formulation, très affirmative, est sans doute l’un des arguments essentiels qui conduit le Conseil d’État, suivant en cela son rapporteur public, M. Florian Roussel, à considérer que la conservation du corps durant dix jours est une obligation pour l’établissement. L’argument étant ici que non seulement le délai de dix jours est un droit des « parents » mais qu’aucune disposition ne permet de considérer que ceux-ci pourraient y renoncer, en particulier dans une période peu propice à la prise de décision rapide. Dans une interprétation très littérale des textes, le Conseil considère donc qu’il y a bien ici une faute de l’établissement d’avoir procédé à la crémation du corps seulement six jours après le décès.

Obligation d’information de l’établissement

La seconde question posée par la requête consistait à s’interroger sur le point de savoir s’il pouvait être mis à la charge de l’établissement une obligation d’information sur les possibilités de récupération du corps et sur les modalités de sa destruction en cas d’« abandon » de celui-ci à l’hôpital. Le Tribunal administratif avait considéré que cette obligation ne ressortait d’aucune disposition, suivi en cela par la cour administrative d’appel qui avait, en outre, écarté la force obligatoire des dispositions de la circulaire de 2009, qui évoque quant à elle la nécessité d’une telle information. Le Conseil d’État fait ici une interprétation constructive des textes, à l’invitation de son rapporteur public, qui écrivait dans ses conclusions que refuser de reconnaître une telle obligation d’information « conduirait à une solution profondément insatisfaisante ». Précisant sa pensée, il ajoutait que « si nul n’est censé ignorer la loi, bien peu sont ceux qui connaissent la réglementation en question, et les parents qui viennent d’être touchés par un deuil se trouvent dans une situation psychologique particulièrement délicate, qui exige un accompagnement particulier de la part du personnel de l’établissement. L’exigence d’information paraît d’autant plus impérieuse compte tenu des conséquences définitives qui s’attachent à l’expiration du bref délai imparti aux intéressés pour faire connaître leur décision ». Le Conseil conclut donc qu’il appartient à l’hôpital « de délivrer aux parents une information complète et appropriée leur permettant d'exercer dans le délai qui leur est imparti […] le choix qui leur appartient. À ce titre, il doit porter à leur connaissance l'existence de ce délai et les conditions dans lesquelles le corps sera pris en charge s'ils ne le réclament pas ». Constatant la double erreur de droit de la cour administrative d’appel, qui avait écarté à la fois l’obligation de conservation du corps et l’obligation d’information, le Conseil annule la décision attaquée.

Réparation du préjudice moral

Statuant au fond, il constate donc la faute de l’établissement dans l’organisation du service, à la fois de ne pas avoir informé la femme des modalités possibles de prise en charge du corps et de ne pas avoir conservé celui-ci durant les dix jours règlementaires. Par conséquent, il attribue à la requérante, en réparation de son préjudice moral, la somme de 4.000 euros. La caractérisation du type de préjudice, si elle n’est pas discutée dans la décision, avait été évoquée par le rapporteur public qui écarte l’hypothèse de réparer ici une simple « perte de chance » de ne pas avoir pu faire procéder aux funérailles souhaitées. Comme il a pu le faire pour le préjudice d’impréparation lié à un défaut d’information sur les risques d’une intervention médicale, le Conseil répare ici l’entièreté d’un préjudice moral de la requérante, ce qui lui évite d’entrer dans l’examen douloureux de la probabilité que les « parents » aient ou non demandé des funérailles.

Cette position du Conseil vis-à-vis tant de l’obligation de l’hôpital que de l’existence d’un préjudice moral est cohérente avec la – maigre – jurisprudence antérieure sur la question. En 2003, la Cour administrative d’appel de Lyon avait ainsi pu reconnaître le préjudice moral d’un couple dont le fœtus mort-né avait été incinéré avec les déchets hospitaliers sans qu’ils y aient donné leur accord. Alors même qu’il était relevé que la pratique des funérailles n’était pas obligatoire dans la situation de l’espèce – au regard de la durée de gestation – la Cour avait relevé que le préjudice, « lié à l'impossibilité dans laquelle ils se sont trouvés d'offrir une sépulture à l'enfant » a été « aggravé par les circonstances particulières de la disposition de la dépouille » (CAA Lyon, 3e chambre, 18 nov. 2003, n°00LY0196). Une position similaire à celle de la Cour européenne des droits de l’homme qui a connu ce type de situation dans deux affaires. En 2008, elle rendait ainsi une décision à l’encontre de la Suisse dans une affaire où le corps d’un enfant mort-né avait été transporté dans une camionnette ordinaire et enterré en fosse commune en l’absence de la femme qui en avait accouché (CEDH, 14 févr. 2008, n° 55525/00, aff. Hadri-Vionnet c. Suisse). Dans une décision rendue en 2014 contre la Croatie, elle reconnaissait même que la destruction d’un corps embryonnaire avec les déchets hospitaliers, sans que les parents en aient été informés et sans qu’il leur soit possible de connaître le lieu de destination du corps portait atteinte au respect de leur vie privée, et ce alors même que l’acte n’était pas en lui-même illégal au regard du droit national (CEDH, 12 juin 2014, n° 50132/12, aff. Maric c. Croatie).

Vers une prise en charge du deuil périnatal plus compassionnelle

Par son interprétation large des textes, le Conseil se place donc dans une dynamique compassionnelle de plus en plus présente dans la prise en charge des cas de deuil périnatal : dans les pratiques professionnelles des soignant·es tout d’abord (D. Memmi, La seconde vie des bébés morts, éd. EHESS, 2011) mais aussi dans les dispositifs juridiques qui les accompagnent. On pense ainsi à la possibilité, ouverte en 2021, de mentionner non seulement un prénom mais aussi un nom dans les actes d’enfant né sans vie (L. n° 2021-1576, 6 déc. 2021 visant à nommer les enfants nés sans vie, JO : 7 déc.).

Lisa Carayon, Maîtresse de conférences en droit
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