Décision médicale d’arrêt des traitements de survie prodigués à un enfant : un sursis mais pas de QPC

06.02.2023

Droit public

Le Conseil d’Etat, statuant comme juge d’appel des référés, suspend pour deux mois, dans l’attente des conclusions d’une nouvelle expertise, une décision médicale mettant en œuvre, pour obstination déraisonnable et malgré l’opposition des parents, la fin de vie de leur fille âgée de moins de deux ans, tout en rejetant la requête des parents tendant au renvoi au Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l’application aux enfants du dispositif législatif régissant l’arrêt des traitements de fin de vie.

Il est des décisions, quoique rendues avant-dire droit, qui résonnent d’une importance particulière et celle rapportée du Conseil d’Etat, rendue en référé, en est une. Elle n’est toutefois pas la première rendue par la Haute juridiction administrative à propos de l’application du dispositif législatif permettant, sur une décision médicale prise au terme d’une procédure collégiale, d’arrêter les traitements de survie prodigués à un enfant et de conduire à sa mort. Déjà, le Conseil d’État, dans une affaire mettant en cause l’arrêt de tels traitements prodigués à une mineure âgée de 14 ans avait, par une ordonnance de référé du 5 janvier 2018, admis qu’un enfant mineur et inconscient entrait dans la notion de « personne hors d’état d’exprimer sa volonté » au sens du code de la santé publique et qu’il pouvait donc être l’objet d’une décision médicale de fin de vie malgré l’opposition des parents (CE, réf., 5 janv. 2018, n° 416689). L’on comprend le malaise que peut nourrir cette lecture du droit et en tout cas le ressenti des parents confrontés à une décision médicale conduisant à la mort de leur enfant. L’affaire rapportée en donne une nouvelle illustration d’autant plus sensible que la fillette concernée n’avait même pas deux ans au moment des faits tragiques ayant conduit à sa situation médicale.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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En l’espèce, une fillette, née le 2 mars 2021, est victime le 31 juillet 2022 d'un accident dans une piscine entraînant un arrêt cardio-respiratoire de longue durée. Réanimée, elle est transférée, en état de coma, dans un centre hospitalier marseillais puis intubée et ventilée. Des examens neurologiques révèlent un ralentissement diffus et persistant de l'activité cérébrale ainsi que des lésions graves et irréversibles. Le 9 août 2022, confrontée à l'évolution défavorable de l'état général de la petite fille, l'équipe médicale conclut à une décision de soins palliatifs en vue d'une future décision d'arrêt des thérapeutiques actives. Les parents de l'enfant font part de leur opposition. La fillette est alors transférée dans une unité de réanimation néonatale et pédiatrique d’un hôpital de l'AP-HP pour une poursuite des soins et un rapprochement du domicile des parents. Le 22 août 2022, une extubation de la fillette est opérée mais elle entraîne une aggravation rapide de son état de santé, avec des détresses respiratoires et un arrêt cardio-vasculaire hypoxique. L'équipe médicale décide alors, en collégialité, de ne pas procéder à une réintubation jugée déraisonnable au vu des lésions cérébrales significatives et irréversibles ainsi que des risques accrus de séquelles neurologiques importantes et des douleurs et inconforts attendus. Les parents s’opposent à une telle décision et demandent la poursuite des thérapeutiques actives. Finalement, une réintubation est effectuée mais l’équipe médicale, sur la base d’examens complémentaires et de ses observations cliniques, décide, au terme d'une procédure collégiale du 15 septembre 2022, l'arrêt des thérapeutiques actives et l'orientation vers une prise en charge palliative. Les parents de la petite fille sont informés de cette décision annoncée comme devant être effective le 27 septembre 2022.

Saisi par ces derniers, le juge des référés du tribunal administratif de Paris décide, par une ordonnance avant dire-droit du 23 septembre 2022, de suspendre l'exécution de la décision du 15 septembre 2022 dans l’attente des résultats d’une expertise ayant pour mission de décrire l'état clinique de l'enfant. L’expertise est confiée à deux médecins disposant des compétences appropriées dont l’un toutefois se trouve déchargé de sa mission à la demande des parents. Puis, au vu du rapport d’expertise rendu par le praticien restant mais à l’encontre d’un rapport de contre-expertise réalisé à la demande des parents par un autre médecin, le juge de référés du tribunal administratif de Paris décide, par une ordonnance du 29 novembre 2022, de rejeter la requête des parents, ouvrant ainsi la voie à l’exécution de la décision médicale contestée.

C’est sur l’appel interjeté contre cette ordonnance que le Conseil d’Etat se prononce dans la décision rapportée : les parents de la fillette lui demandant en substance d’annuler l’ordonnance du premier juge, la décision médicale du 15 septembre 2022 et, titre subsidiaire, de subordonner sa mise en œuvre à leur accord. Par un mémoire distinct, ils demandent également à ce que soit transmise au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) tirée de ce que les dispositions des articles L. 1110-5-1, alinéa 1er, L. 1110-5-2, alinéa 4, et L. 1111-4, alinéa 6, du code de la santé publique, et en particulier la phrase " personne hors d'état d'exprimer sa volonté ", telles qu'interprétées par le Conseil d'Etat comme pouvant concerner l'enfant mineur, méconnaissent les droits et libertés que la Constitution garantit.

Ce dernier chef de demande est écarté par le Conseil d’Etat qui se prononce ensuite sur les autres demandes des parents.

Pas de renvoi de QPC pour juger du pouvoir donné au médecin d'arrêter des traitements de survie prodigués à un enfant

Ce n’est pas la première fois que le Conseil d’État se prononce sur l’arrêt des traitements de survie prodigués à un enfant mineur et inconscient pour admettre que la notion de « personne hors d’état d’exprimer sa volonté » englobe l’enfant dans son champ d’application. Il l’avait déjà fait en 2018 (v. CE, 5 janv. 2018, précit.). Il s’était alors retranché derrière la décision du Conseil constitutionnel du 2 juin 2017 qui a considéré conformes à la Constitution les dispositions législatives autorisant, au terme d’une procédure collégiale, l’arrêt des traitements, notamment la nutrition et l’hydratation artificielles, d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté (v. Cons. const., déc., 2 juin 2017, n° 2017-632 QPC). Le Conseil d’Etat avait également estimé, en 2018, que les règles applicables en la cause n’étaient pas incompatibles avec les stipulations de l’article 6, § 2 de la Convention européenne d’Oviedo du 4 avril 1997 prévoyant que lorsqu’un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention, « celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou d’une personne ou instance désignée par la loi ». Le Conseil d’État avait également considéré que les prescriptions réglementaires du code de la santé publique ne méconnaissaient pas davantage les dispositions de l’article  371-1 du code civil relatives à l’autorité parentale.

Dans l’ordonnance rapportée du 12 janvier 2023, l’on retrouve sous la plume du Conseil d’Etat, après le rappel des dispositions législatives et réglementaires contestées en la cause, une motivation analogue pour rejeter la requête des parents en renvoi de QPC au Conseil constitutionnel.

L'analyse du Conseil d'Etat motivant son rejet de la requête en renvoi de QPC

En préalable, le Conseil d’Etat rappelle qu'il appartient au médecin en charge d'un patient, lorsque celui-ci est hors d'état d'exprimer sa volonté, d'arrêter ou de ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, le tout dans le respect d’une procédure collégiale. Il précise, comme il l’avait fait en 2018, que si «le patient hors d'état d'exprimer sa volonté est un mineur, il incombe au médecin, non seulement de rechercher, en consultant sa famille et ses proches et en tenant compte de l'âge du patient, si sa volonté a pu trouver à s'exprimer antérieurement, mais également, ainsi que le rappelle l'article R. 4127-42 du code de la santé publique, de s'efforcer, en y attachant une attention particulière, de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, titulaires, en vertu de l'article 371-1 du code civil, de l'autorité parentale. Dans l'hypothèse où le médecin n'est pas parvenu à un tel accord, il lui appartient, s'il estime que la poursuite du traitement traduirait une obstination déraisonnable, après avoir mis en œuvre la procédure collégiale, de prendre la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. Cette dernière décision doit être notifiée aux parents ou au représentant légal du mineur afin notamment de leur permettre d'exercer un recours en temps utile, ce qui implique en particulier qu'elle ne peut être mise en œuvre avant la décision de la juridiction compétente le cas échéant saisie ».

Selon une jurisprudence bien établie depuis son arrêt du 24 juin 2014 (Affaire Vincent Lambert : CE, 24 juin 2014, n° 375081), le Conseil d’Etat rappelle également que le médecin doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité. Les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l'état actuel du patient, sur l'évolution de son état depuis la survenance de l'accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique. Dans le cas d'un patient mineur, et conformément à ce qu’il avait déjà précisé en 2018, le Conseil d’Etat rappelle qu’ « il incombe à l'équipe médicale de rechercher l'accord des parents ou du représentant légal de celui-ci, d'agir dans le souci de la plus grande bienfaisance à l'égard de l'enfant et de faire de son intérêt supérieur une considération primordiale ».

Cependant, dans la présente affaire, et au soutien de leur demande de renvoi de QPC au Conseil constitutionnel, les parents contestaient précisément cette interprétation du Conseil d’Etat incluant l’enfant dans la notion de « personne hors d’état de manifester sa volonté » telle que visée par les dispositions législatives et réglementaires applicables. Plus précisément, ils faisaient valoir que les dispositions de l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique méconnaitraient les dispositions des articles L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111-4 du même code dès lors que, en incluant l'enfant mineur ou en bas âge dans la catégorie des patients hors d'état d'exprimer leur volonté, elles élargiraient le champ d'application de la loi, de sorte que, d'une part, la décision médicale du 15 septembre 2022 ne pouvait pas être prise au terme d'une procédure collégiale et, d'autre part, leur consentement, en tant que titulaires de l'autorité parentale, était requis. Pour eux, ces dispositions, telles qu'elles ont été interprétées par le Conseil d'Etat comme couvrant autant la situation de personnes majeures que mineures, méconnaitraient le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la liberté personnelle ainsi que l'article 34 de la Constitution, faute de précision sur l'inclusion des mineurs et de garanties suffisantes dans cette hypothèse particulière, alors que l'accord des parents devrait être obligatoire pour toute décision d'arrêt des traitements prodigués à des enfants.

Mais le Conseil d’Etat n’a pas jugé que la question posée réunissait les conditions requises pour un renvoi au Conseil constitutionnel. Selon lui, « dès lors qu'aucune règle ou principe constitutionnel ne s'oppose à ce que le législateur ait prévu un régime qui s'applique tant aux personnes majeures que mineures et que la procédure qu'il a mise en place présente des garanties suffisantes, la circonstance que les dispositions contestées donnent au corps médical la responsabilité de décider de l'arrêt des traitements prodigués à un mineur, en s'efforçant tout particulièrement de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, sans cependant être tenu d'obtenir leur accord, ne méconnaît en tout état de cause pas les droits ou libertés garantis par la Constitution ». Et d’ajouter que la question soulevée, « qui n'est pas nouvelle, ne présente donc pas un caractère sérieux ».

Une analyse soulevant quelques interrogations

L’analyse du Conseil d’Etat interroge et celui-ci a peut-être manqué une occasion d’en appeler au Conseil constitutionnel.

Une jurisprudence du Conseil constitutionnel fermant toute discussion ?

La décision du Conseil constitutionnel du 2 juin 2017, reprise au fil des affaires comme une litanie, ne se prononce que d’une façon générale sur un dispositif législatif donnant pouvoir au médecin de décider de l'arrêt des traitements prodigués à des personnes hors d’état d’exprimer leur volonté, sans être lié par le sens des avis recueillis, à l'issue d'une procédure collégiale dont la définition est renvoyée, ce qui était précisément critiqué par les auteurs de la saisine, au pouvoir réglementaire. On peut certes se convaincre que le Conseil constitutionnel a ainsi résolu par avance toutes les questions susceptibles de se poser avec ce processus et ce type de décision médicale. Il est cependant permis d’en douter. Pourquoi d’ailleurs le Conseil d’Etat, dans une décision du 19 août 2022 aurait-il renvoyé au Conseil constitutionnel une QPC portant sur la question du pouvoir reconnu à un médecin dans ce processus décisionnel de ne pas appliquer des directives anticipées exprimant clairement la volonté d’une personne aujourd’hui hors d’état de l’exprimer ? Et pourquoi le Conseil constitutionnel aurait-il accepté de se prononcer le 10 novembre 2022 sur cette question si elle n’était pas nouvelle et sérieuse (Cons. const., déc., 10 nov. 2002, n° 2022-1022 QPC) ? Quoi qu’il en soit, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 2 juin 2017 n’entre pas dans les détails et ne se prononce pas expressément sur la question de la « personne mineure » hors d’état d’exprimer sa volonté. Or, cette question revêt à l’évidence une dimension particulière car elle met en cause la place réservée à l’autorité parentale et l’on peut rechigner à considérer cette question comme dénuée de nouveauté et de caractère sérieux.

Mais le Conseil d’Etat, dans l’affaire rapportée, ne le voit pas ainsi puisque sa réponse à la requête des parents en renvoi de QPC vise, selon lui, « un régime qui s'applique tant aux personnes majeures que mineures » qui ne méconnaît ni les droits et libertés garantis par la Constitution, ni l'article 371-1 du code civil relatif à l'autorité parentale. A cet égard, sa décision s’inscrit bien dans le prolongement de celle du 5 janvier 2018 (précit.) dans laquelle il avait déjà posé que les prescriptions réglementaires du code de la santé publique ne méconnaissaient pas les dispositions de l’article  371-1 du code civil.

Pourtant, sous cet angle, l’interrogation reste permise à la lecture des textes et compte tenu de la fonction assignée à l’autorité parentale par la loi civile.

Une absence de divergence de textes dans le code de la santé publique ?

Si l’article R. 4127-37-2 du code de la santé publique précise que la décision médicale de limitation ou d'arrêt de traitement lorsqu’elle concerne un mineur est prise par le médecin après avoir recueilli « l'avis » des titulaires de l'autorité parentale et si l’article R. 4127-42 du même code énonce que le médecin doit s'efforcer, en y attachant une attention particulière, de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, titulaires en vertu de l'article 371-1 du code civil de l'autorité parentale, la loi, elle, ne dit pas tout à fait la même chose sur le terrain des principes.

L’article L. 1111-4 du code de la santé publique vise certes la nécessité de respecter, entre autres, la procédure d’arrêt des traitements mentionnée à l'article L. 1110-5-1 lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté. Mais il ne s’intéresse expressément au mineur que pour expliciter une autre hypothèse : l’application du principe général posé à l’alinéa 4 imposant le consentement du patient à l’acte médical. Il est ainsi précisé à l’alinéa 7 que «le consentement du mineur, le cas échéant sous tutelle, doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision ». Le droit civil ne dit pas autre chose au passage. Le même article L. 1111-4, en son alinéa 9, vise à nouveau le mineur mais pour une autre hypothèse encore : celle où un refus de traitement par la personne titulaire de l'autorité parentale risquerait d'entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur, le médecin recevant alors le pouvoir de passer outre et de délivrer les soins indispensables. Quant aux articles L. 1110-5, L. 1110-5-1 et L. 1110-5-2, s’ils visent entre autres l’obstination déraisonnable, la procédure collégiale, définie par voie réglementaire, à respecter pour l’arrêt des traitements lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté ainsi que le droit à une sédation profonde et continue, ils ne prévoient dans ce cas aucune disposition particulière visant le cas du mineur pas plus d’ailleurs que celui du majeur légalement protégé. C’est donc bien finalement aux dispositions règlementaires qu’il faut se reporter pour connaître les règles applicables au mineur et à ses parents et l’on comprend ainsi pourquoi, dans l’affaire rapportée, les parents de la fillette reprochaient aux dispositions de l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique de méconnaître celles des articles L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111-4 du même code « dès lors que, en incluant l'enfant mineur ou en bas âge dans la catégorie des patients hors d'état d'exprimer leur volonté, elles élargissent le champ d'application de la loi ».

Un Code civil clair

Si l’on se tourne vers le Code civil, l’article 371-1 dispose : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ». Cette autorité appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant « pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne ». Elle s’exerce « sans violence physique ou psychologique ». « Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ». Tout est dit dans ce texte du contenu et de la fonction de l’autorité parentale au regard de la loi civile. Les parents, et le principe vaut en matière médicale, ne sont pas seulement habiles à donner un avis mais une autorisation pour des actes qui engagent la sécurité et la santé de l’enfant car ils sont investis, par nature et par la loi, de la mission de préserver sa sécurité et sa santé. Or, une décision médicale conduisant, fût-ce au terme d’une procédure collégiale, à la mort d’un enfant répond-elle à la définition d’un acte préservant sa sécurité et sa santé ? Et le médecin a-t-il légitimement dans ce cas le pouvoir de passer outre un refus des parents ? Si on l’admet, et c’est au fond ce qu’impliquent les textes réglementaires contestés dans l’affaire rapportée, on ne peut alors que s’interroger sur la valeur d’un tel dispositif qui d’un côté demande au médecin de s’efforcer d’obtenir l’accord des parents sur une décision conduisant à la mort de leur enfant mais de l’autre, lui permet de ne pas tenir compte de leur avis. Dit autrement, sur la décision du médecin, les parents n’ont que le pouvoir de dire « oui » mais pas celui de dire « non ».

Il n’est pas sûr qu’une telle analyse fasse l’unanimité des juristes parce que la fonction de l’autorité parentale confère un particularisme évident à la situation : l’enfant, surtout en bas âge comme en l’espèce, n’est pas une personne hors d’état d’exprimer sa volonté comme les autres. Cela mériterait peut-être que l’on y regarde à deux fois dans un système juridique qui confère un pouvoir au corps médical de prendre des décisions de fin de vie à l’égard de personnes ne pouvant exprimer leur volonté ; un pouvoir dont la nature et la portée posent déjà en elles-mêmes question (cf. par exemple l’affaire Vincent Lambert). Il apparaît finalement regrettable que le Conseil d’Etat, au prix d’une analyse somme toute discutable, n’ait pas cru devoir dans cette affaire en appeler au Conseil constitutionnel.

Il a néanmoins accordé un sursis à l’enfant et à ses parents.

Un sursis à l’exécution de la décision de fin de vie pour l’enfant et les parents

L’affaire rapportée n’appelle pas sur ce point de longs développements. Le Conseil d’Etat ayant balayé la question du renvoi de QPC au Conseil constitutionnel, il lui restait à examiner la régularité de la décision médicale contestée au regard des textes appliqués et tout spécialement de la procédure collégiale suivie.

Tranchant quelques éléments de discussion soulevés par les parents requérants à propos du déroulement de la procédure médicale et des conditions de l’expertise réalisée sur décision du premier juge, le Conseil d’Etat conclut à l’absence d’irrégularité.

Par ailleurs, le Conseil se range à l’avis médical faisant valoir une obstination déraisonnable à poursuivre les soins et traitements prodigués à la fillette en raison de ses séquelles neurologiques, apparaissant comme irréversibles, et de l’absence d’évolution autre que stable, voire péjorative, de son état de santé depuis l’accident, celle-ci étant toujours placée sous assistance respiratoire. De l'ensemble de ces éléments, le Conseil d’Etat conclut que le maintien en vie de la fillette, « qui est tributaire de moyens de suppléance de ses fonctions vitales et pour laquelle il n'existe aucune perspective raisonnable d'amélioration ni projet de soins de long terme, peut être regardé, à la date de la présente ordonnance, comme artificiel ».

On aurait pu croire dans ces conditions à une ordonnance ouvrant définitivement la voie à l’exécution de la décision médicale de fin de vie. Telle n’est pourtant pas la conclusion donnée dans l’immédiat à l’affaire. Il faut y voir très certainement le signe de cette attention particulière que le Conseil d’Etat commande d’avoir lorsqu’il est question de la vie et de la mort d’un enfant.

Le dernier attendu s’ouvre ainsi : « Cependant, il résulte des éléments recueillis à l'audience que quelques changements, tels la capacité à déclencher spontanément le respirateur ou une moins mauvaise déglutition, ont pu être constatés. De tels changements ne peuvent conduire, à ce jour, à conclure à la possibilité pour l'enfant d'acquérir à terme un degré suffisant d'autonomie respiratoire, permettant d'envisager un projet de soins en dehors d'un service de réanimation pédiatrique ou, si tel était le cas, l'assistance d'une machine tout au long de sa vie. Toutefois, compte tenu de ces évolutions et eu égard à la durée de cinq mois s'étant écoulée depuis l'accident, du très jeune âge de la petite fille ainsi que de la position de ses parents qui estiment qu'une décision d'arrêt de soins serait trop précoce, à laquelle comme il a été dit une attention particulière doit être portée, il apparaît nécessaire, avant de statuer de manière définitive sur le bienfondé de la décision d'arrêt des traitements au titre du refus de l'obstination déraisonnable, de suspendre l'exécution de cette décision pour un délai d'observation de deux mois afin de constater si d'éventuelles perspectives d'amélioration des capacités respiratoires  pourraient être de nature à permettre à terme une autonomie respiratoire pouvant éviter un recours à une assistance. A l'issue de ce délai, un rapport devra être remis sur ce point par un expert désigné par le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat ».

Dont acte. L’affaire n’est pas close et débouche sur un sursis de « deux mois » pour changer le cours des choses. Mais ce délai sera-t-il suffisamment long eu égard aux circonstances ?

Chacun, au moins en humanité ou en éthique si ce n’est en droit, pourra se forger une opinion sur les questions que soulève une telle affaire. Ne serait-il pas souhaitable que le législateur, appelé dans un avenir relativement proche à légaliser l’euthanasie et l’assistance médicale au suicide, saisisse l’occasion de se repencher sur la question médicale de la fin de vie des personnes hors d’état d’exprimer leur volonté ? Il n’y aurait aucun paradoxe à le faire, surtout s’agissant de personnes vulnérables tels les enfants, si l’on prétend se draper dans les vertus de la volonté du patient pour justifier une libéralisation de l’aide médicale à mourir.    

Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies
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