Des produits aphrodisiaques ne sont pas des denrées alimentaires au sens du droit fiscal

28.10.2020

Droit public

La Cour de justice de l'Union européenne apporte un éclairage sur la définition fiscale de la notion de denrée alimentaire.

Peut-on se nourrir de tout ? Assurément non, car tout ce qui est ingéré par l’homme ne constitue pas une denrée alimentaire. Les juges de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ont dû se prononcer sur cette question s’agissant de produits aphrodisiaques. Plus précisément, la question préjudicielle présentée dans le cadre d’un litige opposant le secrétaire d’état aux finances des Pays Bas à un commerçant portait sur la possibilité d’appliquer un taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) prévu pour les denrées alimentaires à des produits aphrodisiaques consommés par voie orale et composés d’éléments d’origine végétale et animale.
Dans une décision du 1er octobre 2020, la Cour apporte ainsi un éclairage sur la définition fiscale de la notion de denrée alimentaire. En vertu de l’article 98 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, les Etats membres disposent de la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA pour les produits et services énumérés à l’annexe III. 1 de la directive parmi lesquels sont mentionnées « les denrées alimentaires (y compris les boissons, à l’exclusion toutefois des boissons alcooliques) destinées à la consommation humaine et animale, les animaux vivants, les graines, les plantes et les ingrédients normalement destinés à être utilisés dans la préparation des denrées alimentaires ; les produits normalement utilisés pour compléter ou remplacer les denrées alimentaires ». Usant de cette possibilité, le droit néerlandais assujettit les denrées alimentaires à un taux dérogatoire de 6%. En l’espèce, c’est ce taux réduit dont un commerçant de produits érotiques revendiquait l’application pour des produits érotiques se présentant sous forme de gélules, gouttes, poudres et sprays augmentant la libido. Considérant qu’il ne s’agissait pas de denrées alimentaires, l’administration fiscale néerlandaise a contesté ce taux et émis des avis de redressement. En appel, les juges ont fait droit au recours de l’assujetti en considérant que la notion de denrée alimentaire est « si large » qu’elle permet d‘accueillir des produits administrés par voie orale et composés d’ingrédients naturels dès lors qu’elle inclut même des produits « qui ne sont pas directement associés à des denrées alimentaires » tels que les « chewing-gums ». En l’absence de définition légale de la notion de denrée alimentaire dans la directive TVA, la Cour suprême des Pays Bas a posé les questions préjudicielles suivantes : Convient-il d’interpréter la notion de denrées alimentaires destinées à la consommation humaine utilisée à l’annexe III .1 de la directive TVA en ce sens qu’elle désigne toute substance ou produit, transformé, partiellement transformé ou non transformé, destiné à être ingéré ou raisonnablement susceptible d’ être ingéré par l’être humain, conformément à l’article 2 du règlement n° 178/2002 ? Si cette question appelle une réponse négative, comment convient-il d’interpréter cette notion ? Si des produits susceptibles d’être mangés ou d’être bus ne peuvent pas être considérés comme des denrées alimentaires destinées à la consommation humaine, au regard de quels critères convient-il d’apprécier s’ils peuvent être considérés comme des produits qui sont normalement utilisés pour compléter ou remplacer des denrées alimentaires ?
Interprétation stricte de la notion de denrée alimentaire
Les juges européens retiennent une interprétation finaliste des dispositions de la directive TVA concernant la définition des denrées alimentaires destinées à la consommation humaine qui les amènent à s’écarter de la définition retenue par la législation alimentaire. En premier lieu, en l’absence de toute définition, dans la directive 2006/212, de la notion de denrée alimentaire, la détermination de la signification et de la portée de ce terme doit être établie, selon une jurisprudence constante de la Cour, conformément au sens habituel de celui-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel il est utilisé et des objectifs poursuivis par la réglementation dont il fait partie (CJUE, 29 juill. 2019, aff. C-516/17, spiegel Online). Retenant la définition proposée par l’avocat général dans ses conclusions du 27 février 2020, les juges européens considèrent que constituent des denrées alimentaires destinées à la consommation humaine « tous les produits contenant des nutriments constitutifs, énergétiques et régulateurs de l’organisme humain, nécessaires au maintien, au fonctionnement et au développement de cet organisme, consommés afin d’apporter ces nutriments à celui-ci ». En cela, ils s’écartent clairement de la définition très large de l’article 2 du règlement n°178/2002 relatif à la législation alimentaire qui inclut tous les produits destinés à être ingérés ou raisonnablement susceptibles de l’être. Selon les juges européens, la fonction nutritionnelle est requise en droit fiscal, ce qui exclut les produits aphrodisiaques de la catégorie des denrées alimentaires. Peu importe en réalité que les produits soient naturels ou non, qu’ils aient des effets bénéfiques pour la santé ou qu’ils procurent du plaisir, dès lors qu’ils ne nourrissent pas le corps. La même interprétation est retenue pour les « produits normalement utilisés pour compléter ou remplacer les denrées alimentaires » qui doivent satisfaire à la fonction nutritionnelle, en suivant ainsi le même régime fiscal que les produits auxquels ils sont assimilés.
En second lieu, les juges européens considèrent que cette lecture de l’article 98 de la directive TVA est corroborée par une interprétation téléologique tenant compte du contexte dans lequel est employé le terme de denrée alimentaire et des objectifs poursuivis par ce texte. Ainsi, dès lors que le taux réduit de 6% constitue une dérogation à l’application du taux normal de TVA, il y a lieu de faire une interprétation stricte de la notion de denrée alimentaire destinée à la consommation humaine bénéficiant de ce régime fiscal favorable. Le contexte est tout autre s’agissant de la législation alimentaire poursuivant un objectif de protection de la santé. La sécurité sanitaire des aliments requiert une définition large des denrées alimentaires et de l’ensemble des substances destinées ou affectées à l’alimentation humaine. Par ailleurs, la réduction du taux de TVA permise par la directive 2006/212 ayant pour objectif de rendre accessible pour le consommateur final certains biens jugés essentiels, les juges européens en ont tout naturellement déduit que les produits aphrodisiaques ne pouvaient être qualifiés comme tels.
Définition plurielle des denrées alimentaires
Que doit-on en déduire concernant la définition des denrées alimentaires ? Cette définition est plurielle et les juges européens concluent à l’absence d’acception commune des denrées alimentaires selon qu’elles soient saisies par la législation alimentaire ou la législation fiscale. L’aliment doit être vital et nourrir pour le droit fiscal alors même qu’il suffit qu’il soit ingéré pour le droit de l’alimentation. En outre, l’effet positif sur les fonctions corporelles du produit ingéré n’est pas un critère opérant pour définir les denrées alimentaires, ni pour les distinguer d’autres catégories de produits ingérés. Les médicaments, voire même les stupéfiants agissent sur les fonctions corporelles et constituent d’autres catégories de produits qui sont clairement exclues de la définition des denrées alimentaires par l’article 2 du règlement n°178/2002.
Produits aphrodisiaques : une qualification emportant de multiples conséquences
Concernant plus spécifiquement les produits aphrodisiaques, il importe de souligner que leur qualification n’emporte pas uniquement des conséquences fiscales. Selon leur présentation et leur effet sur la santé, ils peuvent relever du régime des médicaments et être soumis à une autorisation de mise sur le marché. Certes, les substances considérées comme ayant des vertus aphrodisiaques peuvent être employées dans des compléments alimentaires (extraits de plantes comme le gingembre, ginseng..) ou des médicaments (Viagra…). Toutefois, à ce jour, aucune allégation de santé portant sur des effets de stimulation sexuelle n’a été autorisée au sein de l’Union européenne sur le fondement du règlement n° 1924/2006. L’importation et la commercialisation de compléments alimentaires présentés comme stimulants sexuels, ou ayant des effets pharmacologiques est donc illicite et nourrit un contentieux fréquent (Cass. crim ., 22 févr. 2006, n° 05-83 585) Ainsi, à titre d’exemple, l’emploi du Viagra dans des compléments alimentaires dénommés « Gouttes d’amour » et « Miel du Soudan aphrodisiaque » ont fait l’objet d’un rappel de produit sur le marché belge le 20 janvier dernier. Lors d’une enquête de la DGCCRF en France en 2012, il avait été constaté qu’« Au vu des contrôles réalisés, le secteur le plus à risques reste celui des compléments alimentaires à visée érectile, régulièrement contaminés par des analogues de molécules médicamenteuses. La consommation de ces produits le plus souvent importés, est très risquée car les effets secondaires sont potentiellement graves. Le contrôle de ce marché est d’autant plus compliqué que les acteurs se cachent derrière des sociétés écrans situées dans des pays tiers ». L’enjeu principal reste donc lié à la protection de la santé publique au-delà des considérations fiscales.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Marine Friant-Perrot, Maître de conférences à l'université de Nantes
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