Des sénateurs proposent une réforme de l’expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale

09.04.2021

Droit public

Un rapport, déposé le 10 mars 2021 par les sénateurs Jean Sol et Jean-Yves Roux, propose diverses pistes pour faire évoluer les modes de désignation et d’intervention des experts psychiatriques et psychologiques dans le procès pénal.

Depuis plusieurs années, la question de l’expertise psychiatrique et psychologique est au cœur du procès pénal. D’une part, les situations dans lesquelles ces experts sont amenés à intervenir ont été multipliées au fil du temps. D’autre part, dans une société post-moderne pétrie par la « question psy », le professionnel du psychisme (psychiatre essentiellement, psychologue dans une certaine mesure) est devenu le nouvel haruspice chargé d’offrir au juge cette compréhension des ressorts profonds de l’anormalité mentale de la personne poursuivie et du comportement qu’elle implique, tant pour le passé que pour le futur. La pratique est cependant exposée à des difficultés. D’abord, le nombre d’expertises à produire augmente, mais pas le nombre d’experts. Le système se trouve donc en grande tension. D’autre part, la multiplication des textes appelant l’intervention de l’expert, qui sont adoptés sans être toujours assortis d’un souci clair de s’insérer de manière harmonieuse dans un ensemble plus vaste, génère des incongruités voire des incohérences. Deux sénateurs, agissant au nom de la commission des lois et de celles des affaires sociales, se sont attaqués au chantier d’une refonte du système de l’expertise et ont, dans leur travail, offert au regard du lecteur une vingtaine de propositions dont on rapportera et commentera ici les principales.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Encourager le développement des vocations d’expert

On notera une série de propositions visant, en premier lieu, à favoriser le développement des vocations. On sait, en effet, que dans la plupart des cours d’appel (au sein desquelles les experts sont inscrits sur les listes qui les recensent), les volontaires se font de plus en plus rares. Les causes en sont diverses. Pour enrayer cette déplétion et encourager les candidatures, le rapport propose de réévaluer la tarification des actes de psychiatrie et de psychologie légale, notamment en prêtant une attention particulière à la modulation de la rémunération en fonction de l’ampleur de l’affaire et de l’investissement requis de l’expert. Le coût des expertises, encadré par un décret n° 2017-248 du 27 février 2017, varie actuellement en fonction de différents critères qui peuvent tendre à intégrer dans une certaine mesure la complexité du cas à expertiser, mais le mode de calcul, selon les sénateurs, manque néanmoins de souplesse. En particulier, il ne permet pas d’intégrer le fait que l’expertise puisse requérir plusieurs examens successifs de la personne. Dans le même ordre d’idée, les sénateurs proposent de confier des missions plus étendues au magistrat ayant mandaté l’expert pour la fixation du cadre tarifaire de l’expertise. En effet, en l’état actuel du droit, le magistrat mandant n’est pas le magistrat taxateur de l’expertise et il arrive que la proposition tarifaire retenue par le magistrat mandant ne soit finalement pas retenue par le magistrat taxateur (qui est actuellement un juge délégué par le premier président de la cour d’appel), alors même que le travail d’expertise aurait déjà été effectué.

Par ailleurs, afin de contribuer à populariser et à faire connaître la fonction expertale chez les étudiants de médecine ou de psychologie, les sénateurs proposent de mettre en place, au niveau national, une option de psychiatrie ou de psychologie légale intégrée à la maquette du troisième cycle d’études médicales spécialisées en psychiatrie ou du master 2 de psychologie.

Aménager les règles du secret médical

Un autre enjeu important, soulevé par les auteurs du rapport, consiste à faciliter les transmissions d’information médicale envers l’expert afin de l'aider dans la réalisation de sa mission. Les sénateurs proposent notamment que, dans le cadre de l’information judiciaire, le code de procédure pénale explicite que le juge d’instruction a le pouvoir de remettre à l’expert nommé par lui le dossier médical de la personne qui aurait été saisi chez son médecin traitant. Sur le même registre, le rapport souligne que, s’agissant du parcours pénal et carcéral d’une même personne, plusieurs expertises peuvent se succéder sans que les éléments résultant de chacune d’elles soient communiqués à l’expert intervenant ultérieurement. Les sénateurs proposent donc de modifier le code de procédure pénale afin d’enjoindre au juge de l’application des peines de communiquer systématiquement les résultats des expertises pré-sentencielles et post-sentencielles aux experts chargés de l’examen des détenus ainsi qu’aux conseillers des services pénitentiaires d’insertion et de probation.

Repenser le recours à l’expertise

Une troisième volée de propositions vise à essayer de mieux organiser les usages de l’expertise psychiatrique et psychologique. Les sénateurs proposent notamment, dans le cadre d’une information judiciaire, de mieux encadrer la possibilité pour les parties de solliciter un complément d’expertise pénale ou une contre-expertise pénale. Ils soulignent, en effet, que plusieurs expertises se succèdent au cours de la procédure (deux et même souvent trois) à une période à chaque fois plus éloignée des faits (ce qui en diminuerait sa fiabilité). Ils proposent donc de limiter le nombre d’expertises possibles en la limitant à une seule intervenant le plus tôt possible après l’ouverture de l’instruction, tout en systématisant le droit à une contre-expertise pour les parties au procès.

Repenser la finalité de l’expertise

Les sénateurs énoncent également certaines propositions concernant l’objet de l’expertise psychiatrique. Ils suggèrent notamment de modifier le premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal, en prévoyant que l’irresponsabilité pénale ne pourra concerner que les personnes atteintes, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique, issu d’un état pathologique ou des effets involontairement subis d’une substance psychoactive. Il s’agit d’évincer des bénéfices de l’article 122-1 du code pénal les personnes ayant commis une infraction suite à la consommation volontaire d’un produit psychoactif (alcool ou stupéfiants). En général, la jurisprudence n’admet pas dans ce genre de situation l’irresponsabilité pénale d’une personne mise en cause mais certaines affaires récentes, à l’exemple de la décision de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris du 19 décembre 2019 concernant le meurtre de Sarah Halimi, ont semé le trouble en concluant à une irresponsabilité de l’auteur des faits pour cause de trouble mental suite à une consommation de cannabis (les diverses expertises ne s’étaient pas accordées clairement sur le point de savoir si cette consommation de cannabis avait causé ou non le trouble mental ou si celui-ci préexistait à la consommation de ce produit).

Par ailleurs, les sénateurs proposent de séparer les rôles en distinguant l’expertise pré-sententielle, qui ne devra répondre qu’à la question de savoir si l’intéressé était atteint d’un trouble mental ayant aboli ou altéré son discernement en vue de statuer sur l’application de l’article 122-1 du code pénal et sur son accessibilité à une sanction pénale, de l’expertise post-sententielle visant à déterminer son degré de dangerosité en matière de risque de récidive. La question de la dangerosité ne pourra alors être évaluée que suite à une condamnation dans le cadre des expertises requises pour la mise en place de dispositifs de prévention de la récidive (libération conditionnelle, surveillance judiciaire, surveillance et rétention de sûreté).

A ce propos, les sénateurs proposent également une clarification de la pluralité des dispositifs et personnes qui s’entremêlent, entre experts psychiatres, psychologues et autres, selon le type d’infraction commise au préalable par l’auteur des faits et selon le type de dispositif dont la mise en place est envisagée. Ils proposent aussi de supprimer l’expertise médicale post-sentencielle d’évaluation de la dangerosité qui pourrait, selon eux, être confiée à moyen ou long terme (10 ou 20 ans) aux conseillers d’insertion et de probation avec le concours du Centre national d’évaluation. Celui-ci mènerait cette mission grâce aux psychologues contractuels qu’il emploie et se verrait renforcé de quelques psychiatres pour l’évaluation des aspects strictement médicaux.

Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
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