Droit d’accès des ayants droit au dossier médical : le Conseil d’Etat rappelle les règles et les pouvoirs de la CNIL

13.12.2021

Droit public

Le Conseil d’Etat confirme la compétence de la CNIL pour connaître des difficultés d’accès, par les ayants droit, au dossier médical d’une personne décédée.

Dans un arrêt du 18 novembre 2021, le Conseil d’Etat approuve la CNIL d’avoir rejeté la plainte des ayants droit d’un patient décédé, les conditions imparties à la fois par l’article L. 1110-4 du code de la santé publique et par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés pour l’accès au dossier médical du défunt n’étant pas réunies.  

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Au-delà de son intérêt pratique, cet arrêt est l’occasion d’une mise au point sur les conditions d’accès des ayants droit au dossier médical d’une personne décédée et sur les voies de recours envisageables en cas de refus.

En l’espèce, trois personnes adressent une demande d’accès au dossier médical de leur mère, à un médecin qui a été son médecin traitant durant un an et demi. Celui-ci refuse, en arguant du fait qu’il a cessé d’être son médecin plus d’un an avant son décès, que la demande porte sur une période où il ne la soignait pas et qu’aucun des motifs autorisant la remise du dossier, selon l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, n’est invoqué.

Les ayants droit saisissent la CNIL. Celle-ci, par une décision du 29 décembre 2020, clôture leur plainte. Ils demandent dès lors au Conseil d’Etat d’annuler la décision de la CNIL et d’enjoindre à cette dernière de rouvrir l’instruction puis de sanctionner le médecin concerné.

Le Conseil d’Etat rejette la requête.

Rappel des pouvoirs de la CNIL

Il rappelle tout d’abord les pouvoirs que la CNIL tient de l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés : elle veille à ce que les traitements de données à caractère personnel soient mis en œuvre conformément à la législation et elle traite les réclamations, pétitions et plaintes introduites par une personne concernée ou par un organisme, une organisation ou une association. Pour ce faire, il lui appartient de procéder, lorsqu'elle est saisie d'une plainte ou d'une réclamation tendant à la mise en œuvre de ses pouvoirs, à l'examen des faits qui sont à l'origine de la plainte ou de la réclamation et de décider des suites à lui donner. « Elle dispose, à cet effet, d'un large pouvoir d'appréciation et peut tenir compte de la gravité des manquements allégués au regard de la législation ou de la réglementation qu'elle est chargée de faire appliquer, du sérieux des indices relatifs à ces faits, de la date à laquelle ils ont été commis, du contexte dans lequel ils l'ont été et, plus généralement, de l'ensemble des intérêts généraux dont elle a la charge ».

Le Conseil d’Etat confirme ensuite que l’auteur d’une plainte devant la CNIL peut, le cas échéant, déférer le refus de cette dernière au juge du contentieux de l’excès de pouvoir, lequel peut censurer ce refus en cas d'erreur de fait ou de droit, d'erreur manifeste d'appréciation ou de détournement de pouvoir.

Toutefois, ici, le Conseil d’Etat approuve le refus opposé par la CNIL aux ayants droit, en se fondant sur les dispositions de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique et sur celles des articles 86 et 88 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

L’article L. 1110-4 prévoit une dérogation au secret médical – qui ne cesse pas après le décès de l’intéressé – pour permettre aux ayants droit d’accéder au dossier médical du défunt lorsqu’ils souhaitent connaître les causes du décès, défendre la mémoire du défunt ou faire valoir leurs propres droits. Ici, il semble que les ayants droit n’avaient pas précisé l’objectif poursuivi par eux et ne pouvaient donc se prévaloir de cette dérogation légale, dont les conditions n’étaient pas réunies, ce d’autant que le dossier médical de la défunte détenu par le médecin concerné ne contenait pas de pièces propres à leur permettre d’atteindre l’un de ces objectifs et que ce médecin avait cessé d’être le médecin traitant de la défunte plus d’un an avant son décès.

Selon les articles 86 et 88 de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, le droit d'accès aux données personnelles s'éteint au décès de la personne concernée et, par exception, ses héritiers peuvent exercer, après son décès, le droit d'accès à ces données dans la mesure nécessaire à l'organisation et au règlement de la succession du défunt, en l'absence de directives relatives à la communication des données à caractère personnel de la personne décédée, ou de mention contraire dans de telles directives. La demande ne visait cependant nullement, en l’occurrence, à l’organisation et au règlement de la succession de la défunte.

D’après le Conseil d’Etat, c’est ainsi à bon droit que la CNIL a clôturé la plainte des ayants droit sans sanctionner le médecin qui leur avait opposé un refus.

Le Conseil d’Etat confirme ainsi la compétence de la CNIL pour connaître des difficultés d’accès, par les ayants droit, au dossier médical d’une personne décédée. Cela vaut d’ailleurs aussi bien que le dossier soit détenu par une personne privée (professionnel libéral ou établissement de santé privé), comme en l’occurrence, ou par une personne publique. Il en résulte que si le dossier est en possession d’une personne publique, la CNIL et la CADA sont toutes deux compétentes en cas de difficulté d’accès.

Cela ne faisait guère de doute, la CNIL ayant au demeurant déjà prononcé une sanction pécuniaire de 10 000 euros à l’égard d’un professionnel de santé, chirurgien-dentiste, qui n’avait pas répondu à une demande d’accès à son propre dossier formulée par un patient (Délib. CNIL n° SAN-2017-008, 18 mai 2017).

Une jurisprudence à affiner

Plus intéressante est la motivation de l’arrêt, fondée sur deux ensembles de textes : d’un côté les dispositions du code de la santé publique régissant spécifiquement l’accès des ayants droit au dossier médical, de l’autre les dispositions de la Loi Informatique et libertés concernant l’accès aux données personnelles, dans leur ensemble, d’une personne décédée. Est-ce à dire que la CNIL, afin d’accomplir ses missions légales, doit vérifier le respect des deux ensembles de textes – ajoutant ainsi une condition non prévue par l’article L. 1110-4, à savoir la volonté d’organiser et de régler la succession du défunt – ou qu’elle doit considérer le refus comme infondé si l’un ou l’autre des textes est enfreint ? En d’autres termes, si la demande d’accès au dossier médical formulée par les ayants droit vise à organiser ou régler la succession du défunt, indépendamment des motifs mentionnés à l’article L. 1110-4, la CNIL doit-elle enjoindre au médecin concerné de remettre le dossier aux ayants droit, voire le sanctionner en cas de refus persistant ? Cela est peu probable, le droit spécial constitué de la dérogation légale inscrite à l’article L. 1110-4 ayant vocation à primer sur la loi applicable à une catégorie plus vaste de données : les données personnelles, dont les données personnelles de santé font partie. La CNIL et le Conseil d’Etat auront certainement l’occasion d’affiner leur jurisprudence en la matière.

Maïalen Contis, Docteur en droit, avocat au barreau de Toulouse
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