Droit de la concurrence : nouvelle communication sur la définition du marché pertinent

Droit de la concurrence : nouvelle communication sur la définition du marché pertinent

09.04.2024

Gestion d'entreprise

La Commission a publié une nouvelle version de sa communication sur la définition du marché pertinent qui remplace celle de 1997 et adapte la méthodologie suivie aux réalités actuelles du marché. Frédéric Puel, avocat associé et Nicolas Hipp, avocat chez Fidal, nous éclairent sur les apports de cette communication.

Contexte réglementaire

La délimitation du marché pertinent permet d’identifier et de définir le périmètre à l’intérieur duquel les entreprises se font concurrence.

En 1997, la Commission a élaboré, sous la forme d’une communication, une méthodologie consolidant la pratique décisionnelle et la jurisprudence de la CJUE au sujet du « marché pertinent » et aidant les entreprises et praticiens du droit de définir cet élément clé en droit de la concurrence. S'appuyant sur ce texte, les autorités de concurrence peuvent calculer la taille totale d’un marché et les parts de marché des entreprises actives sur celui-ci. Il s’agit d’éléments essentiels à l’analyse des abus de position dominante, en matière de contrôle des concentrations, mais également pour apprécier l’applicabilité des règlements d’exemption par catégorie.

Limites de la communication de 1997

Selon la communication de 1997, le marché pertinent se définit sous deux angles : le marché de produits et le marché géographique.

La notion de substituabilité est au cœur de la méthode de définition du marché de produits (Communication préc., 9 déc. 1997, point 7). Il se détermine tant du côté de la demande, c’est-à-dire qu’il est nécessaire d’identifier les produits et services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables (Communication préc., points 15 et s.), que du côté de l’offre où l’on évalue la capacité des fournisseurs à réorienter leurs activités à court terme (Communication préc., points 20 et s.).

Le marché géographique s'entend quant à lui comme le territoire sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes entre les entreprises concernées et qui peut être distingué des zones géographiques voisines en raison des conditions de concurrence sensiblement différentes (Communication préc., point 8).

Si les grands principes énoncés en 1997 demeurent pertinents, les dynamiques du marché, la concurrence entre les entreprises et l'accès des consommateurs aux produits et services ont considérablement évolué au cours des 25 dernières années.

La pratique décisionnelle récente de la Commission témoigne des limites des outils traditionnels de définition du marché pertinent face à la numérisation et la mondialisation de l’économie. De telles lacunes ont notamment été mises en exergue face au développement des marchés numériques auxquels les consommateurs accèdent gratuitement.

Exemple : en l’absence d’un service payant, l’autorité de la concurrence allemande s’est basée sur le nombre d’utilisateurs actifs quotidiens pour conclure que Facebook détenait une part excédant 95 % sur le marché des réseaux sociaux en Allemagne.

Par ailleurs, la communication de 1997 ne prenait pas suffisamment en compte la globalisation de l’économie et l’augmentation des échanges transfrontaliers.

Exemple : dans l’affaire « Siemens/Alstom », les parties notifiantes ont ainsi mis en avant, sans succès, la pression exercée par les fournisseurs chinois de matériel roulant en dehors de leur marché national.

Apports de la nouvelle communication

La communication révisée sur la définition du marché (ci-après, la « communication révisée ») est le fruit de quatre ans de réexamen.

Elle reflète l’évolution de l’économie et consolide la pratique décisionnelle de la Commission des deux dernières décennies. Elle prend également en considération les observations et les avis des parties prenantes exprimés lors de la phase d’évaluation lancée en avril 2020, ainsi que les réponses à la consultation publique lancée en novembre 2022 sur le projet de communication. En appui de ces travaux, la Commission a également commissionné une étude externe concentrée sur la numérisation et l'innovation, la définition du marché géographique et les techniques quantitatives. La nouvelle communication a finalement été adoptée le 8 février 2024 et publiée au JOUE du 22 février.

Dans cette nouvelle version, le concept fondamental du marché pertinent comprenant la notion de marché de produits, fondé sur le principe de la substituabilité, et celle de marché géographique, est maintenu. En revanche, la communication révisée introduit de nombreux ajustements visant à refléter les développements significatifs observés dans plusieurs secteurs.

Importance des éléments non tarifaires dans la définition du marché

En réponse à la consultation publique lancée en novembre 2022, plusieurs parties intéressées ont reproché à la communication de 1997 de mettre l’accent sur le prix comme paramètre clé de la définition du marché (Communication préc., 9 déc. 1997, point 15). La Communication révisée retient que des éléments non tarifaires peuvent être pertinents pour la définition de marché, notamment l’innovation, la qualité et la durabilité du produit ou du service (Communication préc., 8 févr. 2024, point 50).

Analyse prospective

La Commission considère désormais que des transitions structurelles futures peuvent être prises en compte dans la définition de marché, particulièrement s’agissant de secteurs très innovants et marqués par un progrès technique rapide (Communication préc., 8 févr. 2024, point 21).

Importance moins grande accordée au test SSNIP

La Commission reconnait que le test de l’augmentation légère mais significative et non transitoire des prix (dit « SSNIP » pour « Small but Significant Non-transitory Increase in Price »), qui permet de tester la substituabilité entre différents produits, n’est pas pertinent lorsque le prix n’est pas le paramètre d’analyse principal (Communication préc., 8 févr. 2024, point 30).

La communication révisée retient d’autres éléments de preuve pertinents tels que les caractéristiques des produits, l’usage auquel ils sont destinés, ou encore les préférences générales des clients (Communication préc., point 48). Il s’agit notamment de prendre en compte des biais comportementaux influençant les choix des clients comme le fait de choisir l’option proposée par défaut (Communication préc., point 50).

Rôle des importations dans la définition du marché géographique

La Commission retient que la pression concurrentielle des importations de pays hors UE est pertinente si les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes entre les deux territoires concernés (Communication préc., 8 févr. 2024, point 70).

Définition du marché dans des circonstances spécifiques

Enfin, la communication révisée consacre une section IV à des orientations additionnelles dédiées aux marchés du numérique et aux marchés à forte intensité d'innovation.

Conclusion

Les praticiens du droit apprécieront les objectifs de modernisation et de transparence qui ont guidé le processus de révision. La consolidation de la pratique décisionnelle de la Commission apportera une meilleure sécurité juridique au sein de l’UE, en offrant plus de lisibilité aux acteurs et en permettant une harmonisation plus forte des pratiques des autorités nationales de concurrence.

Toutefois, dans un monde où les réalités du marché sont en mouvement constant, la question de la pertinence et de l’actualité de la communication révisée pourrait se poser rapidement.

Frédéric Puel Co-auteur : Nicolas Hipp, avocat, Fidal

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