Encadrement de l’activité d’influenceur dans le domaine de la santé

15.06.2023

Droit public

Fruit d’un consensus parlementaire, la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 a pour objet de lutter contre les dérives des influenceurs sur les plateformes en ligne, notamment dans le domaine de la santé.

À l’initiative des députés Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta – et avec l’aval du Gouvernement – le Parlement français s’est saisi de la question des influenceurs intervenant sur les réseaux sociaux (« social media influencers »). Leur nombre avoisinerait 150 000, mais seule une minorité possède une audience massive, circonstance néanmoins aggravante lorsque certaines pratiques en ligne s’avèrent illicites ou préjudiciables. Adoptée à l’issue d’un consensus politique qui mérite d’être relevé, la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 a pour objet d’encadrer l’influence commerciale effectuée par voie électronique et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les sites internet ou les applications mobiles.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Un cadre juridique européen évolutif mais insuffisant

En matière de régulation de l’économie numérique, le droit de l’Union s’est récemment enrichi de deux textes importants : le règlement (UE) 2022/2065 du 19 octobre 2022 sur les services numériques (« DSA »), visant à responsabiliser les services intermédiaires (fournisseurs d’accès, de cloud, hébergeurs, dont les plateformes), afin de faire en sorte que ce qui est illégal hors ligne le soit également en ligne, et le règlement (UE) 2022/1925 du 14 septembre 2022 sur les marchés numériques (« DMA »), celui-ci étant principalement destiné à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants de l’internet (les « GAFAM ») et à corriger les déséquilibres de leur domination sur le marché européen.

Bien que des textes transversaux aient été adoptés depuis déjà plusieurs années pour protéger les consommateurs dans le domaine des services de la société de l’information, il n’existe pas d’harmonisation européenne spécifique concernant les influenceurs qui opèrent sur les réseaux sociaux, des lacunes juridiques pouvant ainsi subsister dans des secteurs particulièrement sensibles, comme celui de la santé (mais également celui des jeux, des cryptomonnaies…).

En matière de communication commerciale, la directive sur le commerce électronique (directive 2000/31/CE du 8 juin 2000) exige que la personne physique ou morale pour le compte de laquelle la communication est faite doit être clairement identifiable. Cette obligation a été reprise par l’article 20 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (article modifié par la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 afin de tenir compte de la directive 2005/29/CE sur les pratiques commerciales déloyales). Ainsi, toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle et doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée.

L’obligation de transparence et d’information visant à mentionner les partenariats commerciaux ainsi que les personnes pour lesquelles est réalisée une communication commerciale électronique a été renforcée par la directive (UE) 2018/1808 du 14 novembre 2018 relative aux services de médias audiovisuels. Applicable aux réseaux sociaux (notamment les services de plateformes de partage de vidéos), la directive vise explicitement à réguler l’influence – le mot apparaît explicitement dans le texte – que les médias sociaux peuvent exercer sur la manière dont le public se forge une opinion. Elle oblige ainsi les fournisseurs de plateformes en ligne à informer clairement les utilisateurs, lorsque ces derniers créent des contenus (programmes et vidéos) comportant des communications commerciales audiovisuelles (publicité télévisée, parrainage, téléachat, placement de produit…), et à condition que ces communications soient déclarées.

En matière de protection de la santé publique, la directive (UE) 2018/1808 interdit toute forme de communication commerciale audiovisuelle pour les cigarettes (y compris électroniques) et les autres produits du tabac. La même interdiction s’applique aux médicaments et aux traitements médicaux qui sont disponibles uniquement sur ordonnance dans l’État membre de la compétence duquel relève le fournisseur de services de médias. Quant aux communications commerciales audiovisuelles relatives aux boissons alcooliques, elles ne doivent pas s’adresser directement aux mineurs et encourager une consommation immodérée.

Applicable à partir du 17 février 2024 (certaines dispositions étant applicables dès 2023 pour les très grandes plateformes numériques – une vingtaine – et les deux principaux moteurs de recherche), le DSA va avoir une incidence réelle sur la publicité réalisée en ligne, cette dernière étant constituée des « informations destinées à promouvoir le message d’une personne physique ou morale, qu’elles aient des visées commerciales ou non commerciales, et présentées par une plateforme en ligne sur son interface en ligne, moyennant rémunération, dans le but spécifique de promouvoir ces informations ».

En tant que créateurs de contenu et destinataires d’un service intermédiaire (utilisateurs d’un service d’hébergement et notamment d’une plateforme en ligne), les influenceurs (qui sont en l’occurrence des destinataires actifs de la plateforme) vont voir leur responsabilité accrue quant aux informations qu’ils diffusent, en particulier sur les réseaux sociaux. De leur côté, les fournisseurs de plateformes en ligne vont être astreints à plus de transparence et vont surtout devoir faire preuve de diligence lorsque les contenus diffusés par les destinataires de leurs services seront illicites : ils doivent ainsi mettre en place un point de contact électronique permettant de signaler les contenus illicites et traiter en priorité les notifications des signaleurs de confiance.

Les fournisseurs de plateformes qui présentent de la publicité sur leurs interfaces en ligne doivent veiller à ce que, pour chaque publicité présentée à chaque destinataire individuel, les destinataires du service – les personnes utilisant le service d’une plateforme pour rendre accessible une information – puissent de manière claire et précise, non ambiguë et en temps réel : se rendre compte que les informations qu’ils diffusent sont de la publicité ; identifier la personne pour le compte de laquelle la publicité est présentée ; identifier la personne qui a payé pour la publicité si celle-ci est différente de la précédente ; déterminer les informations utiles devant être directement et facilement accessibles à partir de la publicité (paramètres utilisés pour déterminer le destinataire auquel la publicité est présentée et, le cas échéant, la manière dont ces paramètres peuvent être modifiés).

Ils sont également tenus d’apporter aux destinataires du service une fonctionnalité leur permettant de déclarer si le contenu qu’ils fournissent constitue une communication commerciale ou s’il contient une telle communication.

Les très grandes plateformes auront par ailleurs une responsabilité particulière pour évaluer les risques réels ou prévisibles liés à la protection de la santé publique ainsi que les conséquences néfastes sur le bien-être physique et mental des personnes, notamment des mineurs.

Reste que, à l’instar du RGPD, cette réglementation repose sur une méthode de régulation qui consiste essentiellement à responsabiliser les acteurs de l’économie numérique – principalement les services intermédiaires, dont les services d’hébergement constituent une sous-catégorie et au sein de laquelle figurent les plateformes en ligne – et à instaurer des mécanismes de sanction a posteriori.

En l’absence d’harmonisation européenne de l’activité d’influenceur – et bien que des dispositions du DSA lui soient applicables –, le législateur français a donc voulu aller plus loin et intervenir plus en amont, en réglementant, voire en interdisant, certaines pratiques impliquant des publics vulnérables ou des secteurs sensibles, comme celui de la santé.

Une volonté nationale de réglementer ou d’interdire certaines pratiques

La loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 a pour objet d’encadrer l’activité d’influence commerciale par voie électronique (notamment sur les plateformes en ligne, dont les réseaux sociaux). Elle définit l’influenceur comme « toute personne physique ou morale qui, à titre onéreux, mobilise sa notoriété auprès de son audience pour communiquer au public, par voie électronique, des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque ».

La définition de l’influenceur n’implique pas la fonction de déclencher l’acte d’achat d’un consommateur, mais suppose une rémunération en espèces ou un avantage en nature de la part d’un annonceur. La loi définit également l’activité d’agent d’influenceur comme celle qui consiste à représenter, à titre onéreux, un influenceur.

Au-delà d’un seuil de rémunération ou d’avantages en nature (à définir par décret), les influenceurs devront conclure des contrats écrits avec leurs agents ou les annonceurs (le cas échéant avec leurs mandataires). Ces contrats comporteront des clauses obligatoires : l’identité des personnes concernées, la nature des missions confiées, les modalités de rémunération, l’existence de droits de propriété intellectuelle, la soumission du contrat au droit français quand ce dernier a pour objet ou pour effet de mettre en œuvre une activité d’influence à l’égard d’un public établi sur le territoire national. Afin d’indemniser d’éventuelles victimes, la loi introduit le principe d’une responsabilité solidaire entre l’annonceur, l’influenceur et son agent.

Les influenceurs établis en dehors d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen (les 27 États membres de l’Union européenne, l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège), ou de la Suisse, doivent désigner un représentant légal établi sur le territoire de l’UE, cette information devant être communiquée aux autorités françaises à leur demande (principalement la DGCCRF, l’ARCOM, l’AMF et l’Autorité nationale des jeux). Ils doivent en outre souscrire, auprès d’un assureur établi dans l’Union, une assurance garantissant les conséquences pécuniaires de leur responsabilité civile lorsque leur activité vise, même accessoirement, un public établi sur le territoire français.

S’agissant du secteur de la santé, la loi du 9 juin 2023 soumet les influenceurs aux règles régissant la publicité des médicaments (C. santé pubL, art. L. 5122-1 à L. 5122-16), des dispositifs médicaux (C. santé publ., art. L. 5213-1 à L. 5213-7) et des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (C. santé publ., art. L. 5223-1 à L. 5223-5). Elle les soumet également aux règles relatives aux allégations de santé portant sur les denrées alimentaires (règlement (CE) n° 1924/2006 du 20 décembre 2006) et à celles sur la publicité pour les boissons avec sucres ou sels ajoutés, les boissons alcooliques, les produits du tabac et les produits du vapotage.

Il en résulte que les influenceurs ne peuvent faire de la publicité pour un médicament auprès du public que s’ils sont titulaires d’une autorisation expresse de l’ANSM (« visa GP ») et ne peuvent pas, en toute hypothèse, promouvoir des médicaments sur prescription médicale obligatoire ou des médicaments remboursables par l’assurance maladie. Le non-respect de ces dispositions est pénalement sanctionné (C. santé publ., art. L. 5422-5 et L. 5422-6) et peut faire l’objet d’une sanction financière prononcée par l’ANSM (C. santé publ., art. L. 5422-18).

Les influenceurs ne peuvent pas non plus faire la promotion auprès du public des dispositifs médicaux pris en charge par l’assurance maladie, à l’exception de ceux relevant des classes I ou IIa (et à condition de ne pas mentionner qu’ils sont pris en charge ou remboursables). Lorsqu’ils ne sont pas pris en charge, seuls les dispositifs médicaux présentant un risque important pour la santé humaine sont soumis à une autorisation préalable de l’ANSM en vue de leur promotion à destination du public. Il s’agit en l’occurrence des produits de comblement des rides cutanées.

La publicité faite en faveur des DMDIV est également assujettie à une autorisation de l’ANSM pour ceux dont la défaillance est susceptible de causer un risque grave pour la santé. Pour la promotion faite auprès du public, ce régime d’autorisation préalable s’applique aux DMDIV destinés à l’autodiagnostic.

À ces restrictions particulières de publicité propres à certaines catégories de produits s’ajoutent des interdictions visant spécifiquement le marketing d’influence. En effet, la loi du 9 juin 2023 prévoit qu’un influenceur n’a pas le droit de faire la promotion, directe ou indirecte, de produits, d’actes, de procédés, de techniques et de méthodes présentés comme comparables, préférables ou substituables à des actes, des protocoles ou des prescriptions thérapeutiques.

De même est interdite la promotion des actes, des procédés, des techniques et des méthodes à visée esthétique, concernant soit des interventions chirurgicales, soit des produits figurant à l’annexe XVI du règlement (UE) 2017/745 relatif aux dispositifs médicaux (lentilles oculaires non correctrices, implants esthétiques destinés à la modification ou la fixation de parties anatomiques, produits de comblement des rides, équipements nécessaires à la liposuccion, cabines de bronzage à UV, équipements à laser invasif ou à lumière pulsée…).

La violation de ces interdictions expose les influenceurs à des peines de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.

S’agissant enfin des obligations inhérentes aux fournisseurs de services intermédiaires, aux fournisseurs de services d’hébergement et aux fournisseurs de plateformes en ligne, la loi renvoie aux dispositions du DSA.

Jérôme Peigné, Professeur à l'Université Paris Cité (Institut Droit et santé)
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