Par une série de cinq arrêts rendus le 12 juillet 2016, la Cour européenne des droits de l’homme condamne à nouveau la France pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), en raison du maintien en centre de rétention administrative (CRA) d'enfants accompagnant leurs parents en attente d’éloignement, confirmant ainsi
sa jurisprudence « Popov » (CEDH, 19 janv. 2012, aff. 39472/07 et 39474/07, Popov c/ France). Dans certains cas, la Cour juge également que cette rétention emporte une violation des articles 5 (droit à la liberté et à la sûreté) et 8 (droit à la vie privée et familiale) de la Convention.
La rétention des enfants à l’épreuve du seuil de gravité de l’article 3
Une méthode d’appréciation du seuil de gravité
Dans l’ensemble des affaires qui lui étaient soumises, la Cour rappelle que l’appréciation du seuil de gravité au-delà duquel un traitement est jugé inhumain et dégradant dépend de circonstances factuelles propres au cas d’espèce, « de la nature et du contexte du traitement, ainsi que de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que de l’âge et de l’état de santé de la victime ».
Elle ajoute que, s’agissant de la question de la rétention d’enfants mineurs accompagnés, la violation de l’article 3 s’apprécie au regard de trois facteurs cumulatifs : le bas âge des enfants (dans les cas d’espèce, l’enfant le plus âgé avait quatre ans), le caractère inadapté des locaux concernés et la durée de leur rétention.
Des conditions de rétention sources d’angoisse et de stress
Premier élément examiné par la Cour : les conditions de la vie quotidienne, alors même qu’en France tous les centres en cause dans les affaires jugées avaient reçu une habilitation réglementaire.
D’emblée, la Cour relève ici que, d’une manière générale, « les contraintes inhérentes à un lieu privatif de liberté, particulièrement lourdes pour un jeune enfant, ainsi que les conditions d’organisation du centre ont nécessairement eu un effet anxiogène sur l’enfant des requérants ».
Dans les affaires A.B. (CRA de Toulouse) et A.M. (CRA de Metz), la Cour constate également que les enfants ont dû subir en permanence les annonces délivrées par les haut-parleurs du centre au volume sonore élevé. S’agissant plus particulièrement du CRA de Toulouse, la Cour remarque que le centre, construit à proximité de l’aéroport, se situe dans une zone classée inconstructible en raison des nuisances sonores occasionnées par les aéronefs, nuisances auxquelles sont exposés en permanence les retenus et, partant, les enfants, plus encore dans l’espace de détente en plein air où les bruits « sont d’une intensité excessive ». La Cour observe par ailleurs, que s’agissant du CRA de Metz, la zone famille n’est séparée de la zone homme que par un grillage permettant de voir tout ce qui s’y passe.
La Cour souligne également qu’au nombre des contraintes inhérentes à la rétention figure le fait que l’enfant, qui ne pouvait être laissé seul, avait dû assister à l’ensemble des entretiens et audience avec ses parents et avait ainsi été amenés à côtoyer des policiers armés en uniforme. Elle considère par ailleurs que les enfants vivent la souffrance morale et psychique de leurs parents dans un lieu d’enfermement qui ne leur permettent pas de prendre la distance indispensable, les rendant ainsi témoins, en permanence, de cette souffrance.
Toutefois, la Cour considère que ces conditions, sources d’angoisse et de stress, ne sont pas, à elles seules, suffisantes pour caractériser un traitement inhumain et dégradant mais doivent être combinées avec un facteur de durée pour dépasser le seuil de gravité fixé par l’article 3.
Une durée de rétention excessive
Bien que la Cour ne donne pas de durée, en terme de valeur absolue, au-delà de laquelle l’enfermement est de nature à participer d’une violation de l’article 3, elle souligne qu’au-delà d’une brève période, la répétition et l’accumulation de ces agressions psychiques et émotionnelles ont nécessairement des effets néfastes sur un enfant en bas âge et que « l’écoulement du temps revêt à cet égard une importance primordiale ».
En l’espèce, et compte tenu des conditions de rétention, des durées de sept (affaire R.M.), huit (affaire A.M.) et neuf jours (affaire R.C. & V.C., affaire R.K.) ont été jugées excessives ainsi que, a fortiori, les dix-huit jours d’enfermement de la famille A.B.
La rétention des enfants confrontée au droit à la liberté
La reconnaissance d’une privation de liberté de fait à l’égard des enfants
La Cour était également amenée à statuer sur la conformité des placements en rétention des enfants au regard de l’article 5-1, f) de la Convention.
A cet égard, elle rappelle que si, d’une manière générale, cette disposition impose seulement que la détention d'un étranger soit justifiée par la mise en œuvre d’une procédure d’expulsion, en présence d’enfants la détention doit être nécessaire au but poursuivi. Dès lors, il appartient aux autorités de rechercher si cette mesure a été prise en dernier ressort, en l’absence de toute autre alternative.
Par ailleurs, la Cour observe que si, en droit français, les enfants ne peuvent faire l’objet d’une décision de placement en rétention en raison du fait même qu’ils ne peuvent être visés par une mesure d’éloignement, leur situation n’en est pas moins intrinsèquement liée à celle de leurs parents dont il convient de ne pas les séparer. La Cour en déduit que, « ce lien, conforme à l’intérêt des enfants, a pour conséquence que, quand les parents sont placés en rétention, ils sont eux-mêmes de facto privés de liberté », dès lors que les parents ont le droit légitime de ne pas confier leurs enfants à des tiers.
Dans ces conditions, la présence d’enfants en rétention n’est conforme à l’article 5-1 « qu'à la condition que les autorités internes établissent qu’elles ont recouru à cette mesure ultime seulement après avoir vérifié concrètement qu’aucune autre mesure moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en œuvre ».
En l’espèce, la violation de l’article 5-1, f) est constatée dans l’affaire A.B. où la cour relève que la cour administrative d’appel avait annulé le placement en rétention faute, pour le préfet, d’avoir recherché si d’autres mesures moins coercitives avaient été recherchées. Dans l’affaire R.K., la Cour constate que l’autorité administrative n’invoque aucune raison pertinente susceptible de justifier l’abrogation de l’assignation à résidence dont faisait l’objet les requérants, soulignant que la seule circonstance que les intéressés aient refusé d’embarquer lors de la première tentative d’éloignement ne suffisait pas à rendre nécessaire le recours à la rétention. Enfin, dans l’affaire R.M., la Cour constate qu’aucune pièce du dossier n’a permis d’établir que le préfet aurait recherché une solution alternative moins attentatoire à la liberté.
En revanche, dans les affaires R.C. et A.M., la Cour écarte le grief tiré de la violation de l’article 5-1, le préfet ayant expressément justifié le recours à la rétention au regard de considérations tenant soit à la condamnation de l’intéressée pour des faits graves, soit en raison de la soustraction au contrôle de l’autorité administrative et, dans les deux affaires, en l’absence de garanties de représentation.
Un droit au recours mis en œuvre de manière aléatoire
Par ailleurs, la Cour considère que, dans trois des affaires, les enfants n’ont pas bénéficié du droit au recours garanti par l’article 5-4 de la Convention. Rappelant ses conclusions dans l’affaire « Popov », la Cour observe que les enfants accompagnant les parents en rétention tombent dans un vide juridique dès lors que la loi n’autorise pas leur placement en rétention, circonstance ayant pour conséquence l’impossibilité de saisir un juge, administratif ou judiciaire, de cette situation.
Toutefois, l’analyse in concreto des conditions dans lesquelles les parents ont pu faire valoir la situation de leurs enfants conduit la Cour à des solutions différentes.
Dans le cas où les arguments tirés de la situation des enfants ont été jugés inopérants par le tribunal administratif ou ont été rejetés par l’autorité judiciaire au motif qu’il n’appartenait pas à l’autorité judiciaire « d’interférer dans la gestion des centres de rétention », la Cour considère que les enfants n’ont pas bénéficié d’un droit à un recours. Quand bien même la cour administrative d’appel a pu prendre en considération la situation familiale pour apprécier la nécessité d’une mesure de rétention, le constat est identique, dès lors que cette décision n’a pas été rendue « à bref délai » mais huit mois après la libération des requérants (affaire A.B.).
Dans le même sens, dans l’affaire R.K., la Cour observe que si l’autorité judiciaire, bien que saisi de la situation des parents, avait eu égard de la présence des enfants, le juge des libertés et de la détention s’était déclaré incompétent et le premier président de la cour d’appel avait jugé que « le placement en rétention était préférable pour l’enfant à l’engagement de poursuites pénales, pour soustraction à l’exécution d’une mesure d’éloignement, contre ses parents ». Ainsi, la cour estime que dans ces conditions, les enfants n’ont pas bénéficié d’un droit au recours.
Dans l’affaire R.M., la Cour constate également que ni l’autorité judiciaire ni le juge administratif ne se sont prononcés sur le sort des enfants.
En revanche, dans les affaires R.C. et VC. ainsi que dans l’affaire A.M., la Cour juge que le droit au recours a été respecté. Elle constate en effet, dans la première affaire, que le premier président de la cour d’appel avait recherché, dans le cadre de l’examen de la saisine en vue d’une première prolongation, si une autre mesure moins attentatoire à la liberté aurait pu être privilégiée et, dans la seconde affaire, que le tribunal administratif et le premier président de la cour d’appel s’étaient assurée de l’impossibilité de recourir à l’assignation à résidence.
Une atteinte potentiellement disproportionnée au droit au respect de la vie familiale
Confirmant à nouveau l’analyse retenue dans l’affaire « Popov », la Cour estime que l’enfermement d’une famille dans un centre de rétention constitue une ingérence dans l’exercice effectif de la vie familiale (affaire A.B.).
La question est alors de savoir dans quelle mesure cette ingérence poursuit un but légitime. Comme le rappelle la Cour, il appartient aux États de concilier les droits fondamentaux et les impératifs de la politique d’immigration de l’État, la lutte contre l’immigration irrégulière constituant, à cet égard, un but légitime au sens du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention.
Le risque de fuite autorise donc les autorités à recourir à une mesure coercitive. Mais ce risque doit être apprécié de manière très stricte. Ainsi, la Cour considère que le fait de ne pas disposer de document de voyage en cours de validité ou d’adresse stable ne saurait caractériser un risque de fuite (affaire A.B.) ; non plus, par ailleurs, que la circonstance que les époux auraient refusé d’embarquer dans un premier vol prévu à destination du pays de renvoi car, si ce refus démontre l’absence de volonté d’être expulsé, elle n’en établit pas pour autant la volonté de se soustraire aux autorités (affaire R.K.).
La Cour observe pas ailleurs, dans les deux affaires où elle conclut à la violation de l’article 8, que le recours à une assignation à résidence en hôtel n’a jamais été envisagée, ce qui semblait, en tout état de cause, la solution alternative la plus adaptée dans ce genre de circonstances.
En revanche, dans l’affaire A.M, où il a été établi que l’intéressée n’avait pas déféré aux convocations de la police aux frontières, qu’elle avait refusé d’embarquer sur un vol fixé le lendemain du placement en rétention, et qu’elle ne disposait ni de passeport ni d’un domicile stable, la détention était proportionnée au but poursuivi.
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
Découvrir tous les contenus liés