Enjeux éthiques des modifications ciblées du génome : entre espoir et vigilance

31.03.2020

Droit public

Le Comité consultatif national d'éthique a rendu un avis sur les enjeux éthiques résultant du développement rapide des modifications ciblées du génome dans le vivant, humain et non humain, avis adopté à l'unanimité des membres présents.

L’acide désoxyribonucléique (ADN) est le support universel du vivant. On comprend dès lors l’aspiration de l’esprit humain à le déchiffrer, à en comprendre et à en maîtriser les mécanismes, voire à les soumettre. Le XXIe siècle est ainsi marqué par une « révolution génétique ». Cette révolution concerne tant la connaissance du génome, avec pour la génétique humaine l’emblématique projet génome humain et l’infinité de découvertes qui l’a suivi, que la maîtrise de ce génome comprenant en particulier la possibilité d’intervenir sur le génome – humain et non humain. Comme l’énonce le CCNE dès l’avant-propos de son avis, « une double rupture technologique se déroule aujourd’hui : d’une part, la mise en œuvre de plus en plus rapide des techniques de séquençage du génome et, d’autre part, la mise au point d’outils de plus en plus performants qui permettent de modifier, de façon ciblée, les séquences existantes de l’ADN, de réécrire le génome en quelque sorte ». C’est sur ces dernières que se concentre l’avis n° 133, les questions soulevées par les techniques de séquençage du génome, notamment à l’aune du Big Data ayant été abordées par le comité dans des avis précédents.
Montée en puissance des outils de modification de l’ADN
Le CCNE fait valoir la nécessité d’une réflexion éthique pour accompagner le développement des outils de modification de l’ADN et leur encadrement en retraçant en introduction l’apparition et l’évolution particulièrement rapide de ces techniques dont il rappelle succinctement les bénéfices attendus, tant économiquement que sur un plan sanitaire, mais également les risques qui ne doivent pas être occultés et qui tiennent notamment à « l’imprédictibilité de l’évolution biologique humaine ».
Il rappelle ensuite les « quelques principes éthiques » qui lui ont servi « comme repères de cette réflexion ». Le comité évoque ici, avec pertinence, le Protocole de Belmont de 1979 et la délicate question de la temporalité dans l’évolution spontanée de l’ADN des espèces vivantes. Le propos est ici général, mais le caractère restreint du corpus visé ne laisse pas de surprendre d’autant que les éléments évoqués à ce stade ne sont pratiquement pas repris dans la suite de l’avis, les développements ultérieurs visant essentiellement la convention d’Oviedo et les avis précédemment rendus par le comité.
A ce stade, l’avis du CCNE s’annonce très prudent. Cette prudence s’estompe partiellement au fil de la lecture, le comité prenant clairement position en faveur du développement de la recherche fondamentale et appelant à une responsabilité des chercheurs pour la mise en circulation des applications pratiques résultant de cette recherche fondamentale.
Une réticence fragile à la modification de la lignée germinale chez l’homme
L’utilisation des outils de modification du génome sur les cellules germinales, qu’il s’agisse de la modification des gamètes ou de l’embryon préimplantatoire, emporte plus de réserves de la part du comité. Il rappelle ainsi qu’une telle intervention est actuellement interdite en France, non seulement par application de l’article 16-4 du code civil qu’en vertu de l’article 13 de la Convention d’Oviedo, et insiste sur les risques à la fois sanitaires et éthiques justifiant pour l’heure que de telles modifications ne soient réalisées que dans le cadre de la recherche. Il ne ferme toutefois pas radicalement la porte à l’utilisation de ces modifications dans la pratique thérapeutique.
En effet, après avoir rappelé qu’en l’espace de 3 ans, et à la suite de la naissance de deux jumelles dont le génome avait été modifié, le discours des communautés scientifiques, notamment le Nuffield Council on Bioethics était passé d’une condamnation absolue de la modification de la lignée germinale hors cadre de recherche, à un appel à un encadrement de cette pratique, le comité, dans son avis n°133, affirme que pour sa part « une grande prudence reste de mise ». Le 3 mars 2020, le CCNE, conjointement avec ses homologues allemand (Deutscher Ethikrat) et britannique (Nuffield Council on Bioethics) a publié une déclaration commune dans la revue Nature invitant à la mise en place d’une régulation internationale pour toute modification transmissible du génome humain et à ce que « aucun essai clinique d’application de l’édition du génome transmissible {n’ait} lieu tant que la recherche n’aura pas ramené à un niveau acceptable les incertitudes considérables planant actuellement sur les risques d’une utilisation clinique ».
La position du CCNE semble pragmatique : la boîte de Pandore a été ouverte et une interdiction générale et de principe semble illusoire. Dans un tel contexte, le CCNE appelle donc au développement de la recherche fondamentale pour maîtriser au mieux la technique et ses conséquences d’une part et, en parallèle, à la mise en place d’un débat de société devant porter sur l’acceptabilité sociale d’une telle utilisation clinique que des conditions corrélatives devant être adoptées pour son encadrement.
Eu égard aux enjeux particulièrement complexes et graves d’une utilisation des outils de modification aux lignées germinales, il ne peut réellement être reproché au CCNE le caractère très général de ses recommandations sur ce point et qui se borne largement à attirer l’attention sur les risques potentiels et la nécessité corrélative d’une réflexion éthique et sociétale.
Une position de faveur prudente à l’égard des autres utilisations
Hormis la modification des lignées germinales chez l’homme, le CCNE se montre plutôt favorable au développement des outils de modification de l’ADN.
Chez l’homme, il encourage ainsi l’utilisation clinique des modifications du génome appliqué aux cellules somatiques humaines : « dans le cadre de thérapies géniques somatiques, les modifications ciblées du génome humain constituent un progrès médical qu’il convient de soutenir ». Le Comité ne nie cependant pas l’existence d’un certain nombre d’interrogations éthiques tenant à la tentation de l’eugénisme, du transhumanisme, aux risques encore mal connus et mal maîtrisés attachés à ces modifications, aux inégalités d’accès à cette médecine venant renforcer des inégalités sociales, au risque de tourisme médical si la France venait à se mettre en retrait de ces développements, etc.
Si le comité passe ainsi en revue les différents problèmes éthiques soulevés par ces modifications somatiques chez l’homme, l’avis tend à en rester là. Il laisse transparaître la délicate question de la frontière entre normal et pathologique et de la construction sociale des normes en la matière, mais ne les creuse pas. Il ne propose pas de pistes de réflexion, ni sur le fond (il aurait pu creuser les concepts de subsidiarité et de nécessité pour justifier l’utilisation des outils de modification ciblée du génome par rapport à d’autres techniques thérapeutiques et en articulation avec des politiques sociales d’accompagnement du handicap par exemple), ni sur la forme (il invite à une concertation démocratique, mais sans en proposer de modalités alors qu’il vient d’être une institution clé de la réforme de la loi de bioéthique).
Le comité se montre plus concret en ce qui concerne les techniques de modification ciblée des génomes dans le vivant non humain. En effet, il souligne les risques imprévisibles que ces modifications peuvent induire quant à des phénomènes de biorésistance chez les bactéries et les virus, ou à des déséquilibres écologiques. Il souligne également les risques sanitaires mal connus résultant de la modification du vivant pour l’amélioration de la performance économique dans les domaines agroalimentaire, pharmaceutique ou cosmétique ; la question du bien-être animal et du bioterrorisme. Il insiste alors sur la nécessaire traçabilité des produits, via les règles applicables aux OGM par exemple ; il interroge la pertinence des règles actuelles de la propriété intellectuelle ; il prône la mise en place de mesures de surveillance et l’organisation en amont de technique de rétablissement des gènes altérés.
Ainsi, les préconisations du comité sur ce point sont les suivantes :
« Les applications à tout le vivant non humain des modifications ciblées du génome sont source de bénéfices potentiels indéniables. Cependant, il convient de considérer le bien-être animal et d’éventuelles conséquences non maîtrisables, voire dramatiques, comme le bouleversement d’écosystèmes et d’ensembles évolutifs. (…) Globalement, la sortie du confinement en laboratoire, des organismes concernés, ne devrait donc se faire qu’après une évaluation systématique et minutieuse des risques potentiels, voire la mise en place de mesures de réversibilité et d’un suivi continu. Il apparaît essentiel de considérer comme OGM les plantes, champignons et animaux dont le génome a ainsi été transformé ».
La confiance que place le CCNE dans le caractère suffisant des connaissances acquises en laboratoire laisse sceptique. Elle trouve au demeurant un cruel contre-exemple : alors que l’avis venait d’être publié, un premier retour d’une des expériences menées avec les moustiques et visée par le CCNE révélait la survenance de risques inattendus.
Une confiance (trop ?) optimiste dans les communautés scientifiques

L’avis n° 133 du CCNE porte donc sur un sujet en pleine expansion dont les enjeux sont déterminants pour la santé entendue au sens large : aspects thérapeutique, avenir de l’espèce humaine, environnement. Si l’avis permet de prendre rapidement connaissance des techniques disponibles, de leurs utilisations ou perspectives d’utilisation et des difficultés ou interrogations que celles-ci suscitent, il laisse sur sa faim en termes de piste de réflexion sur les réponses susceptibles d’être apportées aux interrogations éthiques pointées.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Mais peut-être n’était-ce pas l’objectif poursuivi par le CCNE. Invitant chacun à la réflexion par l’état des lieux qu’il dresse de la question, le CCNE prend le temps de défendre la la communauté scientifique et d’insister sur la responsabilité de celle-ci. Mais de quelle responsabilité s’agit-il et comment s’articule-t-elle avec la liberté de la recherche ? La question des conflits d’intérêt n’est évoquée par le CCNE que sous l’angle de la crédibilité de la recherche dans la société, mais n’est-ce pas plutôt la fiabilité des résultats et donc les garanties de sécurité quant à l’utilisation des découvertes sur le terrain que les conflits d’intérêts mettent en péril ? A minima, l’avis du CCNE sur ce point a le mérite de défendre la nécessité d’une recherche fondamentale soutenue et de montrer l’enjeu crucial du financement de la recherche dans des domaines aussi sensibles.

 
Elsa Supiot, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne, ISJPS
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