Pour le Conseil d'État, les liens entretenus par un étranger avec les services de renseignement de son pays d'origine peuvent, en raison de leur nature et de leur caractère continu, caractériser un défaut de loyalisme à l'égard de la France et de ses institutions et faire regarder l'intéressé comme indigne d'acquérir la nationaltié française.
Par une décision du 26 avril 2022, mentionnée aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’État confirme une décision du Premier ministre déclarant le requérant indigne d’acquérir la nationalité française en raison du défaut de loyalisme envers la France et ses institutions dont il a fait preuve du fait de son engagement auprès des services de renseignement des autorités tunisiennes et des actions d’influence qu’il a exercé à l’égard des autorités françaises au bénéfice de celles-ci.
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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Dans cette affaire, la question était à la fois de savoir si le défaut de loyalisme pouvait se rattacher directement à l’indignité et dans quelle mesure la nature des liens entretenus avec l’État d’origine pouvait avoir un impact sur l’appréciation de celui-ci.
Le défaut de loyalisme participe de l’indignité
Comme l’évoquait le requérant, l’indignité se rapporte habituellement « à des comportements répréhensibles révélés par des condamnations pénales ou, à défaut, suffisamment graves pour caractériser un « risque pour la sécurité intérieure ou les relations extérieures de la France » », ou encore des « activités contraires aux valeurs essentielles de la société française ».
Toutefois le Conseil d’État considère dans sa décision que le Premier ministre n’a pas méconnu l’article 21-4 du Code civil en estimant que le comportement de la personne qui, par la nature et le caractère continu des liens qu’il a entretenu avec son pays de nationalité, doit être regardé comme étant constitutif d’un défaut de loyalisme, le rend indigne d’acquérir la nationalité française.
Remarque : à cet égard, l’apport de cette décision réside dans le fait que le défaut de loyalisme est une circonstance qui, au sens de la loi, n’est en principe opposé que dans les cas de déchéance de nationalité. La jurisprudence l’avait toutefois mentionné, implicitement en tant que motif, mais sans le retenir dans le cas d’espèce (CE, 29 avr. 1978, n° 5659).
Comme le précise le rapporteur public, pour que cette indignité soit regardée comme étant établie par un défaut de loyalisme, il est alors nécessaire « qu’entre en jeu une composante d’atteinte aux intérêts de la France, un degré d’allégeance à une puissance étrangère qui soit incompatible avec l’allégeance française ».
C’est donc la nature de ces liens et leur caractère continu qui sont déterminants.
Absence de loyalisme de la personne entretenant des liens étroits avec les services de renseignement de son pays
Dans un deuxième temps, le Conseil d’État souligne donc que l’étranger qui a entretenu et continue d'entretenir des liens étroits avec les services de renseignement de son pays de nationalité, en collaborant à l’action extérieure de celui-ci, ne peut être regardé comme faisant preuve de loyalisme à l’égard de la France.
Remarque : comme l’a bien souligné le rapporteur public, le simple fait d’entretenir des liens avec un État étranger ou même de travailler pour lui ne suffit pas (CE, 6 mai 1996, n° 148136 ; CE, 29 mai 2018, n° 394656). La participation à des activités de renseignement constitue alors la limite à ne pas franchir, comme cela a été jugé par le passé (CE, 22 juill. 1992, n° 103006 ; CE, 4 oct. 2000, n° 204298).
Or, en l’espèce, le dossier était largement représentatif de telles activités. Une note blanche rapportait en effet que le requérant :
avait constitué, sous le régime en place jusqu’en 2011, le principal relais des services de renseignement de la Tunisie, son pays d’origine, dans le Nord et en Picardie et était considéré comme un « consul officieux » ;
avait entretenu des relations étroites avec les autorités tunisiennes et participé au contrôle et à la répression de toute forme d’opposition au régime en fournissant des renseignements sur les opposants résidant en France ;
avait, par le truchement de son activité associative, établi des contacts avec des institutions françaises en vue d'effectuer des opérations d’influence au profit des autorités tunisiennes ;
s’était, dans la période récente, « efforcé de nouer des liens avec les nouvelles autorités et des forces politiques de son pays afin de continuer à jouer un rôle analogue à celui qui était le sien auparavant ».
Sur la foi de ces informations, considérées comme étant matériellement établies, le Conseil d’État juge donc que le Premier ministre a pu légalement rejeter la demande d’acquisition de la nationalité française en qualité de conjoint de français.