Exportation de gamètes : le marché du tourisme procréatif est ouvert

21.03.2017

Droit public

Selon le tribunal administratif de Montreuil, l'Agence de la biomédecine ne peut refuser d'autoriser une demande d'exportation de gamètes vers l'étranger au seul motif qu'en raison de son âge avancé, l'homme dans le couple ne serait plus en âge de procréer au sens des dispositions de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique.

Le dispositif législatif résultant de l’article L. 2141-11-1 du code de la santé publique permettant l’importation et surtout l’exportation de gamètes tend à susciter des demandes d’assistance médicale à la procréation (AMP) de plus en plus délicates à apprécier, surtout lorsque l’AMP sollicitée est interdite en France. Le Conseil d’Etat s’est déjà prononcé favorablement par un arrêt du 31 mai 2016 sur une demande d’exportation de gamètes vers l’Espagne en vue d’une insémination post mortem. Le tribunal administratif de Rennes ainsi que celui de Toulouse se sont également prononcés sur des demandes analogues, vers des établissements de santé situés dans un État de l'Union européenne autorisant, à la différence de la France, ce type d’AMP.
 
Cette fois, c’est le tribunal administratif de Montreuil qui, par deux jugements du 14 février 2017, se prononce sur des demandes d’exportation de gamètes, vers l’Espagne pour l’une des affaires, mais avant que ne se pose le problème de la mise en œuvre d’une insémination post mortem prohibée en France.
 
L’éclairage est donc mis principalement et en amont sur le pouvoir d’appréciation de l’Agence de la biomédecine (ABM) dont l’autorisation est requise pour l'importation ou l'exportation de gamètes ou de tissus germinaux issus du corps humain.
L’appréciation erronée des demandes d’exportation de gamètes par l’Agence de la biomédecine
L’ABM a reçu de la loi, sous le contrôle du juge administratif, le pouvoir d’autoriser ou non les demandes d'importation et d'exportation de gamètes ou de tissus germinaux issus du corps humain (C. santé publ., art. L. 2141-11-1). Seul un établissement, un organisme ou un laboratoire titulaire de l'autorisation prévue à l'article L. 2142-1 pour exercer une activité biologique d’AMP peut obtenir une telle autorisation. En outre, seuls les gamètes et les tissus germinaux recueillis et destinés à être utilisés conformément aux normes de qualité et de sécurité en vigueur, ainsi qu'aux principes mentionnés aux articles L. 1244-3, L. 1244-4, L. 2141-2, L. 2141-3, L. 2141-7 et L. 2141-11 du code de la santé publique et aux articles 16 à 16-8 du code civil, peuvent faire l'objet d'une autorisation d'importation ou d'exportation.
 
Dans les deux espèces, encore que cela apparaisse plus explicitement dans l’une que dans l’autre, les organismes de conservation de gamètes pour les couples demandeurs assuraient cette conservation dans le cadre de l’article L. 2141-11 qui autorise l’autoconservation de gamètes pour toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d'altérer la fertilité, ou dont la fertilité risque d'être prématurément altérée. Dans l’une des deux décisions, il est explicitement mentionné que l’homme dans le couple avait été opéré d’un cancer ; ce qui éclaire le lecteur sur la cause de l’autoconservation de ses gamètes.
 
Cela ��tant, et comme le souligne l’article L. 2141-11, l’autoconservation des gamètes ne peut avoir lieu qu’en vue de préserver la fertilité ou en vue d’une AMP ultérieure répondant aux conditions légales.
 
Il appartient à l’ABM, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’importation ou d’exportation de gamètes en vue d’une AMP, de vérifier le respect de ces conditions, notamment celles prévues à l’article L. 2141-2 du code de la santé publique définissant  les critères requis d’un couple sollicitant l’accès à une AMP. A ce titre, il est prévu que l'homme et la femme formant le couple doivent être vivants et « en âge de procréer ».
 
Or, dans les deux espèces, l'ABM avait estimé que, compte tenu de leur année de naissance, respectivement 1946 et 1947, les deux hommes concernés ne pouvaient plus être considérés comme en étant en âge de procréer au sens des dispositions de l'article L. 2141-2, compte tenu des risques obstétricaux, néonataux et malformatifs liés à l'âge paternel. Et elle avait en conséquence refusé d’autoriser l’exportation des gamètes.
 
Saisi d’un recours contre les décisions de refus de l’ABM, le tribunal administratif de Montreuil en prononce l’annulation et enjoint à l’ABM de réexaminer les demandes. L’ABM ne pouvait, selon lui, s’en tenir à l’âge des hommes demandeurs car « aucune disposition légale ou réglementaire ne fixe un âge au-delà duquel un homme n’est plus apte à procréer ». C’est l’ensemble des éléments propres à la situation personnelle du bénéficiaire potentiel de l’autorisation que l’ABM devait prendre en compte dans son appréciation, sans limiter son appréciation à son année de naissance.
 
La motivation des deux jugements rapportés apparaît de prime abord convaincante. Il est certain que la loi ne fixe pas de seuil d’âge plafond pour accéder à l’AMP, de sorte qu’en l’absence d’éléments propres à chaque cas d’espèce, il n’est pas possible de s’appuyer par avance sur des risques génétiques potentiels et abstraits pour dire d’un homme d’un certain âge (70 et 71 ans en l’occurrence) qu’il ne peut procréer. Ceci serait d’ailleurs « naturellement » inexact. On pourrait citer bien des exemples ô combien célèbres d’hommes devenus pères sur le tard.
Les difficultés d’appréciation d’une demande d’exportation de gamètes après autoconservation
L’ABM risque fort de se trouver démunie pour motiver de façon convaincante pour le juge un refus d’autorisation d’exportation de gamètes pour un homme encore vivant dont l’autoconservation de ses gamètes a elle-même été autorisée pour prévenir un risque d’inaptitude à la procréation consécutif à une « prise en charge médicale ». Sous réserve d’une situation particulière, l’âge est à lui seul indifférent.
 
L’infertilité n’est pas davantage un critère pertinent au stade de l’autoconservation puisque son objet est justement de prévenir un risque futur ou éventuel d’infertilité. L’infertilité médicalement constatée n’est d’ailleurs un critère prévu par la loi qu’au stade de la mise en œuvre de l’AMP (C. santé publ., art. L. 2141-2). Mais encore faut-il qu’elle ait lieu en France.
 
Comment apprécier dans ces conditions le bien-fondé d’une demande d’exportation des gamètes d’un homme vivant vers l’étranger en vue d’une AMP qui, pour n’être encore qu’une perspective, ne sera pas nécessairement soumise à des conditions aussi strictes ? Au demeurant, l’exportation des gamètes ne sera-t-elle pas le plus souvent motivée par le souci d’obtenir à l’étranger une AMP non permise en France ?
 
L’apprécier sera d’autant plus difficile du vivant de l’intéressé que même après sa mort, une demande d’exportation de gamètes vers l’étranger en vue d’une AMP interdite en France connaît désormais un examen bienveillant par les juridictions administratives françaises : Conseil d’Etat en tête.
 
Faute d’une plus grande rigueur des tribunaux, le problème mériterait peut-être un réexamen à la source. C’est en effet la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique qui, dans l’article  L. 2141-11 du code de la santé publique, a autorisé « toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d’altérer la fertilité, ou dont la fertilité risque d’être prématurément altérée, de bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d’une assistance médicale à la procréation ». Or, dans les faits, la prise en charge médicale visée par la loi concerne le plus souvent des pathologies lourdes telles que le cancer, engageant même fréquemment  le pronostic vital. Le risque d’encourager des demandes en vue de réaliser des AMP que la loi interdit par ailleurs, en particulier l’AMP post mortem, était donc prévisible et du reste dénoncé de bonne heure. Faut-il alors s’étonner que, pour contourner les obstacles de la loi, l’exportation de gamètes vers des pays plus conciliants tende à devenir un mode opératoire de plus en plus recherché ?
 
Le législateur serait peut-être bien inspiré de clarifier de façon cohérente ses prévisions et prescriptions. Sinon, l’exportation de gamètes risque fort de devenir une clé efficace d’accès au marché du tourisme procréatif.
 
 

 

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies
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