Exportation vers l’étranger de gamètes en vue d’une insémination interdite en France ? Non en l’absence de circonstances particulières.

08.01.2019

Droit public

Le Conseil d’État pose à nouveau qu’en l’absence de circonstances particulières, un refus d’exporter vers un pays étranger, Israël en l’occurrence, les gamètes d’un défunt en vue d’une insémination artificielle ne constitue pas une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Voilà une nouvelle affaire de demande d’exportation de gamètes vers l’Étranger, en Israël cette fois, en vue d’y obtenir une insémination artificielle post mortem interdite en France. Il n’y a pas lieu d’en être surpris. La voie a été ouverte par le Conseil d’Etat lui-même, par une décision du 31 mai 2016 (n° 396848) admettant, au nom de circonstances particulières, une telle demande sur le fondement du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, en dépit des interdictions fermes posées par la loi française et la précision apportée par la Haute juridiction administrative selon laquelle la loi française n’est pas en la matière incompatible avec ladite Convention européenne.
 
Mais tout dépend bien de l’existence ou de l’absence de circonstances particulières : critère clé de l’admission ou du rejet de ce type de demande. Cela s’était déjà confirmé avec une autre décision du Conseil d’Etat du 13 juin 2018 (n° 421333), par laquelle il avait considéré qu’en l’absence de circonstances particulières, un refus d’exporter vers un pays de l’Union européenne les gamètes d’un défunt en vue d’inséminer sa compagne ne constituait pas une atteinte à l’article 8 de ladite Convention. Cela se vérifie une fois de plus dans la présente affaire.
 
Il est vrai que les faits, pour être quelque peu inédits, ne permettaient guère d’y voir des circonstances particulières justifiant un accueil favorable de la demande d’exportation de gamètes, sauf à courir le risque d’ouvrir davantage encore la boîte de Pandore.
 
En l’espèce, un jeune homme décède, à l'âge de 23 ans, des suites d'une tumeur cancéreuse agressive. Quatre jours après le diagnostic de cette tumeur, il avait procédé, à un dépôt de gamètes au centre d'études et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS) de l'hôpital Cochin à Paris, conformément aux dispositions de l’article L. 2141-11 du code de la santé publique qui permettent, depuis la loi bioéthique du 6 août 2004, à toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d'altérer la fertilité d’obtenir le recueil et la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d’une AMP, ou en vue de la préservation et de la restauration de sa fertilité.
 
Quelques semaines après le décès du jeune homme, sa mère se voit refuser par le président du CECOS de transmettre à l'Agence de la biomédecine (ABM) une demande tendant au transfert des gamètes de son fils (unique au demeurant) vers un établissement de santé situé en Israël. Elle saisit alors le juge des référés du tribunal administratif de Paris d’une demande tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris de prendre toutes mesures utiles afin de permettre l'exportation des gamètes de son fils décédé vers un établissement de santé situé en Israël et autorisé à pratiquer les procréations médicalement assistées. Sa requête est rejetée et ce rejet est confirmé par le Conseil d’Etat dans la décision rapportée.
 
Rappel fait des interdictions posées par la loi française tant de l’insémination post mortem que de l’importation ou l'exportation de gamètes à cette fin (résultant des articles L. 2141-2 et L. 2141‑11‑1 du code de la santé publique) et de l’absence d’incompatibilité de la législation française avec les stipulations de la Convention européenne des droits de l'homme, en particulier de son article 8, le Conseil d’Etat reprend l’idée d’une dérogation possible, comme il l’avait fait dans ses décisions précédentes. Selon lui, la compatibilité de la loi avec les stipulations de cette convention ne fait pas obstacle à ce que, dans certaines circonstances particulières, l'application de celle-ci puisse constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par celle-là. Il appartient par conséquent au juge d'apprécier concrètement si, au regard des finalités des dispositions législatives en cause, l'atteinte aux droits et libertés protégés par la convention qui résulte de la mise en œuvre de dispositions, par elles-mêmes compatibles avec celle-ci, n'est pas excessive.
 
Opérant ce contrôle de proportionnalité en l’espèce, le Conseil d’Etat relève, à l’instar du premier juge, que l'intéressé n’avait pas eu un projet parental précis, pour lequel il aurait procédé, à titre préventif, à un dépôt de gamètes en vue de bénéficier d'une assistance médicale à la procréation dans les conditions prévues par le code de la santé publique, ni qu'il avait explicitement consenti, à cette fin, au cas où les tentatives réalisées de son vivant se seraient révélées infructueuses, à l'utilisation de ses gamètes après son décès. Il n'était pas davantage établi qu'une insémination artificielle pouvait être réalisée en Israël à la demande de la mère de l'intéressé.
 
Le Conseil d’Etat en conclut que, faute de circonstances suffisantes pour justifier la demande d’exportation litigieuse, la décision contestée ne portait pas d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale garantie par la Convention européenne des droits de l’homme.
 
Dont acte, mais nul doute que d’autres affaires suivront car, finalement, le résultat sera fonction des circonstances propres à chaque affaire.

                                             

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies
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