Selon la CJUE, saisie d'une demande d'extradition d'un citoyen de l'Union par un État tiers, l'État membre requis doit d'abord solliciter l'État membre dont l'intéressé est ressortissant pour envisager sa remise dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen.
Par une question préjudicielle, la Cour suprême lettone, ayant eu à statuer sur une demande d’extradition d’un ressortissant estonien émanant des autorités russes, demandait à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) si la qualité de citoyen de l’Union interdisait à un État membre de faire droit à une demande d’extradition vers un État tiers et, partant, s’il fallait étendre à l’ensemble de l’Union européenne le principe selon lequel les États n’extradent pas leurs propres nationaux.
Dans un arrêt rendu le 6 septembre 2016, après avoir estimé que la discrimination opérée entre citoyens de l’Union pouvait être justifiée sous certaines conditions, la Cour de Luxembourg considère que l’État membre saisi par un État tiers ne peut faire droit à cette demande qu’à condition de vérifier que l’État membre dont le citoyen de l’Union est le ressortissant n’est pas compétent pour diligenter des poursuites pénales en répression des faits reprochés et que, en cas d’extradition, l’intéressé n’encourt pas de risques de traitements prohibés par l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux (peine de mort, tortures, traitements inhumains et dégradants).
Une discrimination justifiée entre citoyens de l’Union...
Dans sa décision, la Cour rappelle d’abord que, « en l’absence de convention internationale entre l’Union et le pays tiers concerné, les règles en matière d’extradition ressortissent à la compétence des États membres », soulignant par ailleurs que le droit national doit néanmoins respecter le droit de l’Union.
Puis, s'appuyant sur l’article 18 du TFUE qui interdit « toute discrimination exercée en raison de la nationalité » et, partant, exige l’égalité de traitement des personnes se trouvant dans une situation tombant dans le domaine d’application des traités, la Cour en déduit que la législation interne qui interdit l’extradition des nationaux mais qui permet l’extradition d’un ressortissant d’un autre État membre, institue une discrimination.
Or, selon la Cour, une telle discrimination n’est légitime que si elle « se fonde sur des considérations objectives et est proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi » et que cet objectif « ne peut être atteint par des mesures moins restrictives ».
En l’espèce, les deux premières conditions sont jugées remplies, puisque :
- la distinction entre nationaux et ressortissants des autres États membres est une distinction objective ;
- l’objet de l’extradition, qui est « d’éviter le risque d’impunité des personnes ayant commis une infraction », présente un « caractère légitime en droit de l’Union » et apparaît comme un moyen « approprié » d’atteindre l’objectif en cause, dès lors qu’un « État membre est, en règle générale, incompétent pour juger des infractions graves commises hors de son territoire lorsque ni l’auteur ni la victime de l’infraction supposée n’ont la nationalité dudit État membre » – règle aut dedere aut judicare (extrader ou poursuivre).
... sauf si l’État membre dont le citoyen est le ressortissant est en mesure de juger l’intéressé
Dans un second temps, la Cour considère cependant qu’il appartient aux États de privilégier une « mesure alternative moins attentatoire à l’exercice des droits conférés par l’article 21 TFUE (droit de tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres) [qui permettrait] d’atteindre aussi efficacement l’objectif consistant à éviter le risque d’impunité d’une personne qui aurait commis une infraction pénale ». Pour la Cour, tel est le cas du mandat d’arrêt européen (MAE).
La Cour déclare donc qu’il convient de « privilégier l’échange d’informations avec les autorités de l’État membre dont l’intéressé a la nationalité » afin que celles-ci, si elles sont compétentes pour poursuivre cette personne pour des faits commis en dehors du territoire national, aient « l’opportunité d’émettre un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuites ». Elle ajoute qu’« en coopérant de la sorte avec l’État membre dont l’intéressé a la nationalité et en donnant priorité à ce mandat d’arrêt éventuel sur la demande d’extradition, l’État membre d’accueil agit de manière moins attentatoire à l’exercice du droit à la libre circulation tout en évitant, dans la mesure du possible, le risque que l’infraction poursuivie ne demeure impunie ».
En l’espèce, il appartient donc à la Lettonie de donner toutes informations à l’Estonie pour que celle-ci apprécie si elle est compétente pour juger l’intéressé et, si oui, à l’Estonie d’émettre un MAE afin que la Lettonie lui remette l’intéressé.
Remarque : la Cour de Luxembourg en vient ainsi à substituer, à une procédure d’extradition entre un État membre et un État tiers, la procédure du MAE entre deux États membres. Elle y voit une mesure « moins attentatoire » au droit à la libre circulation, ce qui est difficilement contestable (surtout quand l��extradition est demandée par la Russie). Toutefois, pour qu’une telle possibilité soit envisagée, encore faut-il que l’État dont la personne recherchée est ressortissante soit compétent pour juger de faits commis hors de son territoire par un de ses nationaux, ce qui n’est pas prévu par la législation de tous les États membres (mais l’est pas la loi estonienne).
Une extradition demeurant possible, en dernier ressort et sous condition
Dans l’hypothèse où l’État membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité ne jugerait pas opportun d’émettre un mandat d’arrêt européen, la Cour considère que l’État membre saisi de la demande d’extradition peut y faire droit. Sous réserve que l’intéressé ne soit pas exposé à un risque de traitement visé à l’article 19 de la Charte des droits fondamentaux, tel que la peine de mort, la torture ou tout traitement inhumain et/ou dégradant.
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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François Julien-Laferrière, Professeur émérite de droit public, Université Paris-Sud