Favoriser la prise en charge des victimes de soumission chimique

24.03.2025

Droit public

Pour une durée de trois ans, l'État autorise le remboursement par l’assurance maladie des recherches, incluant les tests et analyses, permettant de détecter un état de soumission chimique, même sans dépôt de plainte. Cette mesure expérimentale vise à améliorer la prise en charge, y compris psychologique, des victimes potentielles.

Affaire Pélicot, affaire Guerriau, #Balancetonbar, #MetooGHB…, tous révèlent l’importance du phénomène de soumission chimique et favorisent la prise de conscience de la société et des pouvoirs publics comme en atteste l’article 68 de la récente loi de finance de la sécurité sociale. Aux termes de cet article, « L’État peut autoriser, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, le remboursement par l’assurance maladie des recherches, incluant les tests et analyses, permettant de détecter un état de soumission chimique résultant des faits mentionnés à l’article 222-30-1 du code pénal, même en l’absence de plainte préalable, pour améliorer la prise en charge, y compris psychologique, des victimes potentielles ».

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

Découvrir tous les contenus liés

Rappelons que la soumission chimique « désigne l’administration d’une substance psychoactive à une personne, sans qu’elle en ait connaissance ou sous la contrainte, dans le but de commettre un délit ou un crime, comme un vol, une agression sexuelle, un viol… D’après l’enquête soumission chimique, cette substance est le plus souvent un médicament (antihistaminique, sédatif, benzodiazépine, antidépresseur, opioïde, kétamine…) mais cela peut aussi être une substance non médicamenteuse (MDMA, cocaïne, 3-MMC, GHB et ses dérivés ou l’alcool). Elle peut être ajoutée à une boisson, à de la nourriture, ou encore injectée avec une seringue » (ANSM, « Prévention de la soumission chimique : l’ANSM engage de nouvelles mesures afin de réduire le risque du détournement d’usage des médicaments », 20 déc. 2024). Les résultats de cette enquête montrent que le phénomène était en nette progression en 2022 et qu’il est associé à des infractions variées. Si des actes comme l’enlèvement, la séquestration, la traite des personnes, l’extorsion ou la tentative d’homicide sont rarement décrits, le vol et les violences physiques sont plus fréquents (respectivement 7.1 % et 5.1%). De loin, l’agression sexuelle et le viol sont les actes principalement rapportés (à raison de 62.9%, seuls ou conjointement avec d’autres actes, notamment la violence physique).

Le phénomène n’est pas récent et le législateur s’en est d’ailleurs expressément saisi en 2018 avec la loi n°2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite « loi Schiappa ». Celle-ci a créé une nouvelle infraction obstacle au sein de l’article 222-30-1 du code pénal. L’article 68 ici commenté renvoie à cet article 222-30-1, lequel dispose : « Le fait d'administrer à une personne, à son insu, une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende. Lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans ou une personne particulièrement vulnérable, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 € d'amende ». Rappelons que l’infraction obstacle vise à réprimer un comportement, actif ou passif, qui crée une situation à risque rendant probable la réalisation d’un dommage, lorsque ledit agissement est conjugué avec des éléments ultérieurs (v. sur cette notion S. Souider, L'infraction obstacle, thèse soutenue le 7 décembre 2023, sous la direction de C. Ambroise-Castérot, Université Côte d'Azur). « En cas de survenance du résultat, l’infraction obstacle perd son autonomie juridique car cet évènement dommageable est déjà pris en compte par une autre qualification ». Ainsi, l’article 222-30-1 du Code pénal permet la répression de la soumission chimique même lorsque le projet d’agression sexuelle n’a pas abouti. Dans le cas contraire et donc lorsque l’agression sexuelle a eu lieu, l’article 222-30-1 constitue une circonstance aggravante de ces infractions (C. pén., art 222-24, 15° pour le viol et art. 222-28, 11° pour les agressions sexuelles autres que le viol). Encore faut-il établir l’existence d’une soumission chimique, ce que l’article 68 entend faciliter.

L’objectif de ces dispositions apparaît double en réalité : il s’agit de favoriser l’administration de la preuve d’une soumission chimique, d’une part, et, surtout, d’améliorer la prise en charge des victimes, d’autre part.

Favoriser l’administration de la preuve

L’article 68 vise à favoriser la réalisation des analyses toxicologiques en permettant leur remboursement par l’assurance maladie.

En effet, si la soumission chimique a été largement mise en lumière par le procès dit « des viols de Mazan », elle reste un phénomène encore mal connu de la population et des professionnels, notamment des agents de police. Dès lors, le prélèvement des échantillons biologiques nécessaires (cheveux, sang, etc) à titre conservatoire au moins n’est pas toujours réalisé. Ainsi, le Défenseur des droits, dans sa décision n° 2024-215 du 23 décembre 2024, insiste sur la nécessité, « au regard de l’enjeu public majeur que représente la détection d’une agression sexuelle en cas de soumission chimique, que des mesures efficaces soient prises en vue d’améliorer les techniques de détection de la soumission chimique, notamment en sensibilisant les services de police dans le cadre de leurs formations et en facilitant l’accès à des kits de détection dans les commissariats de police, les brigades de gendarmerie et les unités médico-judiciaires ».

Quant aux victimes, les amnésies liées à la soumission chimique, la honte éventuelle quant à l’état dans lequel elles se sont retrouvées ou les interrogations possibles sur l’origine de cet état, sont autant de cause pouvant les dissuader ou les retarder à déposer plainte. D’autant que, pour l’heure, les analyses toxicologiques pour détecter les substances utilisées ne peuvent être réalisées que dans des laboratoires de toxicologies experts, avec un coût élevé (jusqu’à 1.000 €) et ne sont remboursées qu’en cas de dépôt de plainte. Or, ces tests doivent être réalisés dans de brefs délais. En effet, la plupart des produits utilisés sont éliminés rapidement de l’organisme (l’exemple le plus criant étant celui du GHB qui disparaît en moins de 24 heures).

Ces contraintes d’accès aux analyses toxicologiques favorisent donc le dépérissement de la preuve de la soumission chimique et ce dépérissement est préjudiciable non seulement dans la perspective d’éventuelles poursuites pénales, mais également pour la prise en charge médicale de la victime, ce que le Conseil de l’ordre des médecins (CNOM) a porté à l’attention des pouvoirs publics.

Améliorer la prise en charge des victimes 

L’article 68 vient en effet répondre à une demande formulée par le CNOM dans un communiqué de presse du 24 octobre 2024. L’exposé sommaire de l’amendement à l’origine du texte y fait d’ailleurs explicitement référence. Il rappelle ainsi les difficultés relevées par le CNOM, et déjà évoquées, et les enjeux de l’amendement à savoir « d’encourager plus de victimes à se faire dépister rapidement, et ainsi de renforcer leur accès à la justice et aux soins appropriés ». Cette considération pour la prise en charge médicale des victimes est explicitement reprise dans le texte de l’article 68 qui vise l’amélioration de « la prise en charge, y compris psychologique, des victimes potentielles ».

Mais une question se pose alors : si l’enjeu est le renforcement de la sanction de la soumission chimique et l’amélioration de la prise en charge médicale des victimes, ce dispositif ne mériterait-il pas d’être étendu, au-delà des seules agressions sexuelles, aux autres crimes associés à la soumission chimique, quoi que de manière moins fréquente ? La seule prescription médicale des examens toxicologiques suffira-t-elle sans autre précision ? Dans ce cas, le dispositif pourrait, de fait, être étendu au profit de tous cas de soumission chimique sans se limiter aux situations laissant présumer ou craindre l’existence d’une agression sexuelle. Autant de précisions qui devront être apportées par les décrets d’application afin de pouvoir déterminer si « l’adoption de cet amendement d’expérimentation » permettra effectivement « d’enfin prendre en compte la gravité et l’urgence de ce problème ».

Elsa Supiot, Professeure en droit privé à l'université d'Angers
Vous aimerez aussi

Nos engagements