GPA et mère d'intention : la Cour de cassation demande l'avis de la CEDH

05.10.2018

Droit public

L'Assemblée plénière reconduit la solution antérieure selon laquelle les actes de naissance des enfants nés de GPA à l'étranger, qui désignent comme parents le père biologique et la mère porteuse, sont conformes à la réalité et peuvent donc être transcrits. Quant aux actes de naissance indiquant comme parents le père biologique et son épouse, elle sursoit à statuer et pose à la CEDH la question de la marge d'appréciation des États s'agissant de la transcription de la mention de la mère d'intention.

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans deux décisions du 5 octobre 2018, se prononce sur deux demandes de réexamen de pourvois en cassation posant la question de la transcription d'actes de naissance établis à l'étranger pour des enfants nés d'un processus de gestation pour autrui (GPA).
 
Le premier pourvoi avait donné lieu à une décision de la Cour de cassation du 6 avril 2011 approuvant le refus de transcription des actes de naissance américains de deux enfants nés par GPA aux Etats-Unis (Cass. 1re civ., 6 avr. 2011, n° 10-19.053). Les actes désignaient les époux français comme père et mère, les enfants étant issus des gamètes du père et des ovocytes d’une amie du couple.
 
Le second faisait l’objet d’une décision de la Cour de cassation du 13 septembre 2013 cassant un arrêt ayant ordonné cette fois la transcription des actes de naissance de jumeaux nés en Inde d’une GPA (Cass. 1re civ., 13 sept. 2013, n° 12-30.138). Les actes indiquaient comme parents le père biologique, à savoir l’homme français ayant fourni ses gamètes pour la conception de l’enfant, et la mère porteuse indienne.
Condamnation de la France par la CEDH
Les décisions en question avaient donné lieu à des condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme. La première condamnation résultait d’un arrêt du 26 juin 2014, pour violation de la vie privée et familiale des enfants au motif que ces derniers ne pouvaient faire reconnaître en France leur filiation : « en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu'à l'établissement en droit interne de son lien de filiation à l'égard de son père biologique, l'État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d'appréciation » (CEDH, 26 juin 2014, n° 65192/11, § 100). Cette appréciation n’était pas exacte puisque la filiation découlant des actes de naissance étrangers a toujours été reconnue en droit français, ce qui permet aux parents désignés par ces actes d’exercer l’autorité parentale et même de représenter les enfants en justice. La Cour de cassation avait d’ailleurs clairement dit que l’absence de transcription « ne prive pas les enfants de la filiation maternelle et paternelle que le droit californien leur reconnaît ni ne les empêche de vivre avec les époux X... en France ».
Revirement de la Cour de cassation
Cette condamnation européenne n’en avait pas moins conduit la Cour de cassation à opérer un revirement de jurisprudence pour accepter la transcription des actes de naissance dans la mesure où ils sont conformes à la réalité (Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, nºs 14-21.323 et 15-50.002). En conséquence, seuls peuvent être transcrits les actes qui indiquent le père biologique comme père, et la mère porteuse comme mère. Au contraire, les actes qui indiquent la femme française comme mère, laquelle par définition n’a pas mis les enfants au monde, ne peuvent être transcrits car, « concernant la désignation de la mère dans les actes de naissance, la réalité, au sens de ce texte, est la réalité de l'accouchement » (Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, n°s 15-28.597, 16-16.901 et 16-50.025).
Réponse de l'Assemblée plénière
Faisant application de cette jurisprudence, l’Assemblée plénière ordonne cette fois la transcription des actes de naissance indiens qui sont conformes à la réalité dès lors qu’ils indiquent comme parents le père biologique et la mère porteuse (Cass. ass. plén., 5 oct. 2018, n° 12-30.138).
 
En revanche, s’agissant des actes de naissance américains indiquant comme parents le père biologique et son épouse, l’Assemblée plénière ne se prononce pas.
 
Elle rappelle que, en acceptant la transcription de la mention paternelle conforme à la réalité et en refusant la transcription de la mention désignant la mère d’intention, la Cour de cassation a retenu de la condamnation européenne l’interprétation « soutenue par la majeure partie de la doctrine universitaire française, selon laquelle la Cour européenne a imposé à la France de reconnaître le lien de filiation des enfants à l’égard de leur père biologique. Conformément à la règle Mater semper certa est, qui fonde le droit français de la filiation, la Cour de cassation a considéré que celui-ci ne permettait pas la transcription de l’acte de naissance en ce qui concerne la mère d’intention ».
 
L’Assemblée plénière explique encore que ce refus de transcription de la mention visant la mère d’intention « poursuivait un but légitime en ce qu’il tendait à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et visait à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil », et qu’il « ne portait pas une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et familiale des enfants » car « l’accueil des enfants au sein du foyer constitué par leur père et son épouse n’est pas remis en cause par les autorités françaises, qui délivrent des certificats de nationalité française aux enfants nés de gestation pour autrui à l’étranger ». En outre, elle rappelle que la transcription de la filiation paternelle est possible et que, enfin, la Cour de cassation « a admis le recours à l’adoption entre les enfants et l’épouse du père, qui permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant (C. civ., art. 353, al.1er), de créer un lien de filiation à l’égard de la mère d’intention ».
 
Après toutes ces explications, l’Assemblée plénière aurait pu directement rejeter le pourvoi réexaminé en ce qui concerne l’absence de transcription de la maternité d’intention. Elle préfère visiblement anticiper un éventuel recours devant la Cour européenne des droits de l’homme et demander à la Cour européenne de préciser la marge d’appréciation des États s’agissant de la transcription de la maternité d’intention.
 
Elle sursoit par conséquent à statuer et adresse une demande d’avis consultatif à la Cour européenne des droits de l’homme sur les questions suivantes :
  • En refusant la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui en ce qu’il désigne comme étant sa "mère légale" la "mère d’intention" , alors que la transcription de l'acte a été admise en tant qu'il désigne le "père d'intention", père biologique de l'enfant, un Etat-Partie excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? A cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la “mère d’intention” ?
  • Dans l’hypothèse d’une réponse positive à l’une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d’établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l’article 8 de la Convention ?

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Aude Mirkovic, maître de conférences en droit privé à l'université d'Evry
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