Handicap : l'évolution de l'offre entre ombre et lumière

12.06.2017

Droit public

Le décret du 9 mai 2017 sur la nomenclature des établissements et services sociaux ou médico-sociaux pour personnes handicapées ou malades chroniques, d'apparence technique, est en réalité un texte qui vise à amplifier les profondes transformations de l'offre en cours. Avec de vraies opportunités mais aussi certains risques.

Portée notamment par le rapport Piveteau « Zéro sans solution » du 10 juin 2014, la recomposition de l’offre en établissements et services sociaux ou médico-sociaux (ESSMS) pour personnes handicapées va s’accentuer dans les années à venir dans un contexte juridique mouvant. Dernière pièce à l’édifice : un décret du 9 mai 2017 établissant une nomenclature simplifiée des ESSMS accompagnant des personnes handicapées ou malades chroniques (D. n° 2017-982, 9 mai 2017 : JO, 11 mai 2017).

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Ce texte est tout à la fois porteur d’espoirs et source d’inquiétudes, d’où les premières réactions mitigées qu’il a suscitées, malgré un avis favorable du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) et du Comité national de l’organisation sanitaire et sociale (Cnoss). La nouvelle réglementation met ainsi en « péril » les places d’accueil temporaire, craint Jean-Jacques Olivin, directeur du Groupe de réflexion et réseau pour l'accueil temporaire des personnes en situation de handicap (Grath) (« Décret de simplification de la nomenclature des ESMS : alerte pour l'accueil temporaire », 30 mai 2017, www.tsa-quotidien.fr).

Prises en charge spécialisées

Historiquement, les ESSMS pour personnes handicapées se sont construits sur la base d’une très grande spécialisation par type de handicaps et par type de prestations. Cette spécialisation, voulue pour répondre de manière la plus adaptée aux besoins des personnes, est réinterrogée par l’évolution des besoins et aspirations des personnes, par certains gestionnaires qui voient arriver de nouveaux profils d’usagers et imaginent d’autres formes de réponses ainsi que par les politiques publiques. Ces dernières assurent en effet la promotion d’une transformation de l’offre en incitant les établissements et services à mettre à disposition leur expertise au service d’une logique inclusive en matière de logement, de travail, d’éducation… Elles cherchent également à mobiliser les structures pour être les garantes de la démarche « Une  réponse accompagnée pour tous » et être parties prenantes, avec d’autres acteurs, d’une réponse à des situations qui n’en ont pas et qui deviennent critiques.

Les législations ont ainsi évolué pour permettre aux opérations de transformation d’ESSMS de pouvoir être autorisées hors appel à projet tandis que les consignes de la DGCS sur les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) – qui s’imposent au secteur médico-social – retiennent comme axe prioritaire la transformation de l’offre par diverses voies allant de la création de nouveaux dispositifs (dont les pôles de compétences et de prestations externalisées) à la diversification des modes de fonctionnement des ESMS dans le cadre de la démarche « Une réponse accompagnée pour tous » (Instr. n° DGCS/SD5C/2017/96, 21 mars 2017 ; Circ. n° DGCS/3B/2017/148, 2 mai 2017). La loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016 a même prévu que l’autorité de tarification puisse autoriser des dérogations à l’autorisation dans le cadre de cette démarche.

C’est à l’aune de ce contexte que doit être lu le décret du 9 mai 2017. Il cherche à réduire le nombre de catégories d’établissements et services servant de référence pour la délivrance des autorisations, à offrir la possibilité aux structures d’accueillir différentes catégories de publics en situation de handicap et à délivrer l’ensemble des prestations prévues par le dernier alinéa du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles (CASF). A savoir : prestations à domicile, en milieu de vie ordinaire, en accueil familial ou dans une structure de prise en charge, accueil à titre permanent, temporaire ou selon un mode séquentiel, à temps complet ou partiel, avec ou sans hébergement, en internat, semi-internat ou externat.

Ce texte est applicable depuis le 1er juin 2017 pour les nouvelles autorisations qui ont fait l’objet d’une demande à partir de cette date.

Réduction du nombre de catégories d’ESSMS

Dans le champ de l’enfance et de l’adolescence, la nouvelle nomenclature est ainsi constituée : institut médico-éducatif (IME), institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP), institut d’éducation motrice (IEM), établissement pour enfants ou adolescents polyhandicapés (EEAP), institut pour déficients auditifs, institut pour déficients visuels, centre médico-psycho-pédagogique (CMPP), bureau d’aide psychologique universitaire (BAPU) et service assurant un accompagnement à domicile ou en milieu ordinaire non rattaché à un établissement. A cette liste, il convient d’ajouter les centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP). Si ces derniers ne sont pas cités par le décret, c’est parce qu’ils constituent une catégorie à part entière expressément mentionnée à l’article L. 312-1 du CASF (3° du I), catégorie très clairement identifiée et ne suscitant pas de difficulté d’interprétation, contrairement à celle du 2° du I de l’article L. 312-1 désormais explicitée par le décret.

Les établissements et services pour adultes handicapés ou malades chroniques qui sont visés au 7° du même article sont : les maisons d’accueil spécialisées, les établissements d’accueil médicalisés en tout ou partie, les établissements d’accueil non médicalisés, les services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH), les services d’accompagnement à la vie sociale (SAVS), les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), les services polyvalents d’aide et de soins à domicile (SPASAD) et les services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD). Le décret ne décline pas les autres catégories d’établissements et services visés à l’article L. 312-1 du CASF dans la mesure où elles sont suffisamment explicites comme par exemple les établissements ou services d’aide par le travail (ESAT), les centres de réadaptation professionnelle (CRP), les centres de préorientation et de rééducation professionnelle (CPO), les centres de ressources (CR) ou encore les unités d'évaluation, de réentraînement et d'orientation sociale et socioprofessionnnelle qui, relevant de la même catégorie que les CR, font l’objet d’une réglementation spécifique (CASF, art. D. 312-161-1 à 312-161-6).

Offrir une gamme large de prestations

Pour les différents instituts pour enfants et adolescents handicapés, les EEAP ainsi que les établissements pour adultes handicapés, il est prévu qu’ils « peuvent » assurer l’ensemble des formes d’accueil et d’accompagnement visées au dernier alinéa du I de l’article L. 312-1 du CASF : prestations à domicile, en milieu de vie ordinaire, en accueil familial ou dans une structure de prise en charge, accueil à titre permanent, temporaire ou selon un mode séquentiel, à temps complet ou partiel, avec ou sans hébergement, en internat, semi-internat ou externat.

Ce faisant, le décret rappelle ce qui était déjà possible à notre sens depuis la loi du 2 janvier 2002. En réalité, le pouvoir réglementaire aurait voulu aller plus loin. Dans la première version du projet de décret, les établissements devaient assurer l’ensemble des prestations sauf dispositions contraires figurant dans l’autorisation. Ce à quoi s’opposaient nombre d’organisations gestionnaires. Le ministère avait cherché à les rassurer en leur indiquant que cela ne vaudrait que pour les nouvelles autorisations mais sans totalement convaincre de la pertinence d’une telle rédaction. Au final, il a choisi une formulation plus souple et plus adaptée à notre sens. Ainsi, un établissement pourra être autorisé à délivrer l’ensemble des prestations ou une partie d’entre-elles seulement. Ce qui est d’ailleurs conforme à l’esprit de la loi de modernisation du système de santé s’agissant par exemple du dispositif intégré ITEP pour lequel le législateur prévoit que les différents établissements et services pour enfants et adolescents handicapés (ITEP et SESSAD) peuvent fonctionner en dispositif intégré afin d’apporter ensemble les réponses évolutives aux jeunes concernés.

Élargissement des publics accueillis

Entre une hyper spécialisation par type de handicap et l’ouverture sans précaution des établissements et services à toutes formes de handicap, où est le juste équilibre respectueux des personnes en situation de handicap et des personnels qui les accompagnent dans leur parcours de vie ? C’est une question bien délicate qui a mobilisé les débats pendant la concertation sur le projet de décret. Ce sujet taraude le secteur depuis un certain temps déjà avec l’évolution des publics accueillis ou accompagnés et la pression des situations humaines ne trouvant pas de réponses.

Certains gestionnaires sont favorables à un élargissement des types de personnes pouvant être accueillies dans leur établissement au nom du principe de réalité qui fait qu’ils les accueillent déjà même si leur arrêté d’autorisation ne le prévoit pas, d’autres parce qu’au handicap principal pour lequel les gestionnaires se sont historiquement créés se sont greffés d’autres handicaps associés et enfin d’autres au titre de la proximité de la réponse à la personne lui évitant ainsi de faire des dizaines voire des centaines de kilomètres pour trouver une réponse.

D’autres gestionnaires ont cependant attiré l’attention sur le fait qu’au-delà d’un socle commun de connaissances sur le handicap dont sont pourvus les personnels, l’accueil de personnes ayant certaines formes de handicaps ne s’improvise pas et suppose des formations complémentaires, sauf à accepter de ne pas accompagner dans de bonnes conditions les personnes handicapées et à mettre en difficulté les professionnels. De même, accueillir sans aucune précaution, dans les mêmes locaux, des personnes ayant des handicaps forts différents peut créer des situations explosives. Tout réside donc dans la définition des prérequis nécessaires et à la façon dont les pouvoirs publics accompagneront ces évolutions, notamment dans le cadre des CPOM.

Le décret prévoit que les établissements et services pour personnes handicapées peuvent être autorisés à accueillir l’ensemble des publics en situation de handicap dont il dresse la liste ou à accompagner des personnes ayant certaines formes de handicap au titre de la spécialisation. Le texte indique toutefois qu’aucune spécialisation n’exclut la prise en charge de personnes présentant des troubles associés à ceux qui font l’objet de la spécialité autorisée. Est également rappelée la possibilité de spécialisation des établissements et services dans l’accompagnement de publics définis de manière différente lorsqu’ils assurent également des fonctions de formation, d’information, de conseil, d’expertise ou de coordination au bénéfice d’autres établissements ou services en vue de l’accueil de ces publics. Idem pour certaines formes d’accompagnement (accompagnement précoce de jeunes enfants ; préparation d’adolescents et jeunes adultes à la vie professionnelle ; accompagnement d’étudiants de l’enseignement supérieur ; accompagnement des enfants, adolescents et jeunes adultes ne relevant pas des catégories qui précèdent).

Des ambitions sans moyens

Le décret du 9 mai 2017 participe et cherche ainsi à amplifier le mouvement en cours de transformation de l’offre. Les établissements étant tenus d’accueillir toute personne orientée par la MDPH dans la limite de leur spécialité et de leur capacité, on mesure les enjeux autour de la délivrance des futures autorisations ou de la reformulation de celles en cours de validité qui sera initiée dans le cadre des CPOM.

La transformation nécessaire de l’offre actuelle ne doit pas pour autant masquer la question des moyens dédiés à la création de nouvelles réponses. Au vu du nombre croissant de personnes handicapées vieillissantes dont on sait qu’en l’état actuel la suite de leur accompagnement n’est pas organisée, entre les milliers d’adultes qui sont maintenus dans des établissements pour enfants au titre de l’amendement Creton et les personnes obligées d’aller à l’étranger pour trouver une réponse, ce dernier sujet de société doit désormais être traité à sa juste mesure.

 

Arnaud Vinsonneau, Juriste en droit de l'action sociale
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