Hébergement d'urgence et circonstances exceptionnelles : illustrations jurisprudentielles

20.01.2023

Droit public

Plusieurs ordonnances rendues dans le courant du mois de janvier 2023 par le juge des référés du Conseil d'État permettent de saisir le degré de vulnérabilité à partir duquel la carence de l'État est constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, la présence de nourissons ou d'enfants très jeunes étant souvent déterminante.

Dans une décision du 22 décembre 2022, le Conseil d’État a reconnu le caractère inconditionnel du droit à l’hébergement d’urgence pour tout personne en situation de détresse, quelle que soit sa nationalité et sa situation administrative, justifiant l’intervention du juge des référés statuant en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative lorsque des « circonstances exceptionnelles » sont de nature à faire regarder une carence avérée et prolongée de l’État dans sa mission comme étant constitutive d’une atteinte grave et manifestement illégale à un liberté fondamentale (CE, 22 déc. 2022, n° 458724).

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Peu de temps après cette décision, son juge des référés a été saisi de plusieurs demandes tendant à la réformation d’ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Paris qui, soient avait fait droit à des demandes d’injonction, soit les avait rejetées. Et bien qu'aucune des décisions rendues ne soit publiée au recueil Lebon, les solutions retenues permettent de dessiner les contours de cette notion de « circonstances exceptionnelles » qui peuvent conduire le juge à enjoindre à l’État de proposer, à brefs délais, une place en hébergement d’urgence.

Un contexte de tension constante du dispositif d’hébergement d’urgence, particulièrement en Ile-de-France

Dans plusieurs de ses ordonnances, le juge prend soin de détailler la situation générale qui met le dispositif de l’hébergement en tension.

Ainsi, en région Ile-de-France, le parc d'hébergement d'urgence compte actuellement de 95 165 places, soit à un taux de 7,7 places pour 1 000 habitants contre 2,9 au plan national, dont 38 408 places pour le seul département de Paris et un taux d'équipement de 17,9 places pour 1 000 habitants. Le juge des référés du Conseil d’État note qu’en dépit de l'augmentation de plus de 26 708 places en l’espace de cinq ans, l'ensemble des besoins les plus urgents, en constante augmentation, ne peut être satisfait. Et si le plan « Grand froid » déclenché le 12 décembre 2022 a permis de disposer de 399 places supplémentaires d'hébergement à Paris depuis le 20 décembre, cela reste encore insuffisant.

Par ailleurs, malgré la mise en place d’un plan d'urgence « enfants à la rue » pour la période hivernale, cette situation concerne très  largement les familles avec des enfants. On apprend ainsi que pour la seule journée du 23 décembre 2022, le 115 a reçu 14 622 appels et que « seuls 704 ont obtenu une réponse conduisant à ce qu'une solution d'hébergement soit proposée à 613 personnes dont 482 appartenant à des familles avec enfants mineurs, lesquels sont au nombre de 215 ».

Une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dans des cas extrêmes

Pour le Conseil d’État, dans un tel contexte, les « circonstances exceptionnelles » doivent s’apprécier au regard d’un critère de vulnérabilité, qui autorise à prioriser certaines situations qui sont alors identifiées de manière on ne peut plus parcimonieuses. Il ressort ainsi des premières décisions rendues en 2023 que c’est principalement lorsque les demandeurs sont accompagnés de nourrissons ou d’enfants très jeunes que les circonstances sont jugées exceptionnelles. Tel est le cas pour :

  • un couple avec un enfant de huit semaines (CE, 5 janv. 2023, n° 470044) ;

  • une femme seule était avec un enfant de 4 mois et demi (CE, 5 janv. 2023, n° 469944) ;

  • un couple en situation régulière accompagné de deux enfants dont le dernier n’avait que trois semaines (CE, 4 janv. 2023, n° 470063).

Dans ces trois affaires, les demandeurs doivent être « regardé comme se trouvant en situation de détresse sociale au sens des dispositions de l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles eu égard à leur situation particulière qui les place « sans doute possible parmi les familles les plus vulnérables », l'absence d'hébergement d'urgence constituant une carence caractérisée dans l'accomplissement de la mission confiée à l'État qui peut entraîner, notamment en période hivernale, des conséquences graves pour les enfants.

Remarque : dans une dernière affaire, concernant un couple en situation irrégulière avec un enfant de 5 mois (CE, 16 janv. 2023, n° 470178), le juge des référés du Conseil d’État relève une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale mais constate que le couple et l'enfant ont finalament fait l'objet d'une prise en charge dans le cadre d'un hébergement de « long séjour ». Il déclare donc la requête sans objet, en estimant toutefois qu’il appartiendra à l'administration « de veiller attentivement à ce qu'il n'y soit pas mis fin [à l’hébergement] sauf à ce que [la famille] soit prise en charge par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) [...] au titre des conditions matérielles d'accueil ».

Des rejets compte-tenu de la présence de familles plus vulnérables

En revanche, le juge des référés du Conseil d’État juge que ne révèlent pas une situation justifiant que soit ordonné de prendre les mesures pour une mise à l'abri, compte-tenu de la présence de familles encore plus vulnérables dans un contexte de saturation des hébergements d'urgence :

  • un couple de demandeurs d’asile déboutés accompagnés de deux enfants âgés de 5 et 3 ans (CE, 5 janvier 2003, n° 470049) ;

  • une femme seule, bien qu’enceinte « de quelques mois » accompagnée de sa fille de quatre ans, car elle bénéficie à Grenoble d’un hébergement dans le cadre du traitement de sa demande d'asile (CE, 5 janv. 2003, n° 469942) ;

  • une femme seule qui vit, depuis son arrivée en France le 4 décembre 2022, dans la rue avec ses deux fils mineurs de 15 et 17 ans, au regard notamment de son âge et de celui de ses enfants (CE, 4 janv. 2023, n° 470060).

Christophe Pouly, Avocat
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