Dans une décision du 22 décembre 2022 (mentionnée au recueil Lebon) rendue dans le cadre d’un contentieux indemnitaire opposant le département Puy-de-Dôme à l’État, le Conseil d’État juge que, si les ressortissants étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ou dont la demande d'asile a été définitivement rejetée et qui doivent ainsi quitter le territoire n'ont, en principe, pas vocation à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence, ils relèvent néanmoins du champ d'application de l'article L. 345-2-2 du code de l’action sociale et des familles (CASF).
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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Ainsi la situation de ces ressortissants ne fait pas obstacle à ce qu'une carence avérée et prolongée de l'État dans la mise en œuvre de sa compétence en matière d'hébergement d'urgence soit caractérisée, même « en l'absence [...] de circonstances exceptionnelles ».
De telles circonstances doivent néanmoins toujours être recherchées par le juge des référés lorsqu'il est saisi, en application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA), pour déterminer si la carence de l’État caractérise une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Constat par les juges du fond de la prise en charge par le département et d’une carence de l’État
En l’espèce, le département du Puy-de-Dôme demandait à l’État le remboursement des frais d’hébergement de 102 familles qu’il avait pris en charge dans le cadre d’un dispositif d’urgence entre 2012 et 2016, faute pour les intéressés d’avoir pu bénéficier de l’aide de l’État.
Le tribunal administratif de Clermont-Ferrand avait rejeté sa demande indemnitaire mais la cour administrative d’appel de Lyon avait annulé ce jugement et condamné l’État à lui verser la somme de 1 272 464 euros, jugeant qu’une carence avérée et prolongée à prendre en charge des familles relevant de l’hébergement d’urgence était en l’espèce caractérisée.
Remarque : il ressortait de l’arrêt de la cour que les familles en difficulté dont le département avait assuré la prise en charge pendant la période litigieuse, n’avaient pas pu, de façon prolongée, obtenir de places d’hébergement dans les divers dispositifs gérés par les services de l'État (soit que leur hébergement dans des structures relevant de État ait pris fin, soit qu’elles s’en soient vu refuser l’accès). Aussi, le département avait dû, au titre de sa compétence supplétive, assurer la prise en charge à la place de l’État en raison de la saturation permanente (et non contestée) de ces dispositifs malgré les efforts conséquents consentis pour en accroître la capacité.
Le ministre des solidarités et de la santé s’est alors pourvu en cassation.
Caractère supplétif mais obligatoire de l’intervention du département en cas de nécessité
Éclairant le cadre juridique du litige qui opposait l’État et le département, le Conseil d’État rappelle, en préalable, sa position (v. CE, Section, 13 juill. 2016, n°s 400074, 388317, 399834 et 399836) quant à la délimitation des compétences de chacun :
à l’État la prise en charge « des mesures d'aide sociale relatives à l'hébergement des familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques ou de logement » ;
au département la prise en charge « des femmes enceintes et des mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin, notamment parce qu'elles sont sans domicile, d'un soutien matériel et psychologique, […] au titre de l'aide sociale à l'enfance en vertu de l'article L. 222-5 » du CASF.
Mais, au-delà, il rappelle également :
que la compétence de l’État « n'exclut pas l'intervention supplétive du département […] lorsque la santé des enfants, leur sécurité, leur entretien ou leur éducation l’exigent » ;
qu’un « département ne peut légalement refuser à une famille avec enfants l'octroi ou le maintien d'une aide entrant dans le champ de ses compétences, que la situation des enfants rendrait nécessaire, au seul motif qu'il incombe en principe à l'État d'assurer leur hébergement » ;
et, enfin, que l’intervention du département « conserve un caractère supplétif et n'impose pas aux départements de prendre définitivement à leur charge des dépenses qui incombent à l'État ».
Caractère universel du droit à l’hébergement d’urgence
Examinant la question de la responsabilité de l’État dans ce cadre, et alors que le ministre soutenait que la cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit en refusant d’examiner si des circonstances exceptionnelles justifiaient la prise en charge des familles, le Conseil d’État juge que les ressortissants étrangers visés par une OQTF ou dont la demande d’asile a été définitivement rejetée relèvent du champ d’application du principe d’accueil inconditionnel (CASF, art. L. 345-2-2).
Il suit en cela les conclusions de son rapporteur public, M. Arnaud Skzryerbak, qui soulignait que « le droit à l’hébergement d’urgence prévu par ces dispositions est un droit universel ».
Un droit universel au bénéfice de « tous » les étrangers donc, quelle que soit leur situation au regard des règles du droit au séjour et qui ne dépend d’aucunes circonstances exceptionnelles dès lors que, comme le souligne le même rapporteur dans ses conclusions, les précédente décisions du Conseil d’État (CE, 13 juill. 2016, n°s 400074, 388317, 399834 et 399836) ne permettent pas de conclure « que l’État n’aurait d’obligation à l’égard des déboutés du droit d’asile qu’en cas de circonstances exceptionnelles ».
Remarque : la question c’était déjà posée, en des termes différents, à l’occasion de la circulaire « Colomb » (Circ., 12 déc. 2017, NOR : INTK1721274J) qui avait mis en place un dispositif mobile d’examen de situation administrative des ressortissants étrangers admis dans les centres d’hébergement d’urgence. Lors de son examen du texte, le Conseil d’État avait ainsi notamment rappelé que la loi prévoit un droit pour toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale à accéder à l’hébergement d’urgence et à y demeurer (CASF, art. L. 345-2-2), dès lors qu’elle le souhaite, jusqu’à ce qu’une orientation lui soit proposée, assortie d’un accompagnement personnalisé (CASF, art. L. 345-2-3) (CE, 11 avr. 2018, n° 417206).
Par conséquent, la Haute juridiction estime que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que l’inaction de l’État (qui était informé de la situation) au-delà d’un délai d’un mois à compter de la demande de prise en charge par une famille qui en remplissait les conditions légales, ou de son éviction d’une structure assurant l’hébergement d’urgence relevant de sa responsabilité, était bien constitutive d’une carence avérée et prolongée. Et le rapporteur public d’ajouter, que, si « le ministre se plaint que l’État ait à rembourser les frais d’hébergement de personnes qu’il avait refusé de prendre en charge parce qu’elles avaient vocation à quitter le territoire [,] c’est le choix du législateur que toute personne sans abri et en détresse puisse être hébergée ».
Remarque : si cette décision ouvre une possibilité de contentieux indemnitaire entre l’État et les départements, on pourra également s’interroger sur la possibilité d’un tel contentieux entre l’étranger dont le droit à l’hébergement d’urgence n’aurait pas été respecté et l’État.
L’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale toujours limitée par l’exigence de « circonstances exceptionnelles »
A la lecture de la décision, on pouvait encore s’interroger sur les conséquences du caractère « universel » du droit à l’hébergement d’urgence sur la possibilité pour les étrangers confrontés à une carence « avérée et prolongée » de l’État de faire valoir ce droit devant le juge des référés, saisi en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (référé-liberté), afin qu’il soit enjoint à l'État et au département de leur assurer un hébergement.
Dans sa décision, le Conseil d’État prend toutefois soin de limiter la portée de la solution dégagée dans le cadre du contentieux indemnitaire en jugeant qu’il revient « seulement au juge des référés de tenir compte des éventuelles circonstances exceptionnelles pour déterminer si [la carence de l’État] est constitutive d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».
Remarque : cette solution reste donc dans la lignée de celle dégagée dans une décision antérieure (publiée au recueil Lebon), aux termes de laquelle le Conseil d’État avait subordonné l’accès au dispositif d’hébergement d’urgence des étrangers en situation irrégulière à des circonstances exceptionnelles (CE, section, 13 juill. 2016, n° 400074). La Haute juridiction y jugeait que « les ressortissants étrangers qui font l’objet d’une [OQTF] ou dont la demande d’asile a été définitivement rejetée et qui doivent ainsi quitter le territoire en vertu des dispositions de l’[ancien] article L. 743-3 du [Ceseda] n’ayant pas vocation à bénéficier du dispositif d’hébergement d’urgence, une carence constitutive d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne saurait être caractérisée, à l’issue de la période strictement nécessaire à la mise en œuvre de leur départ volontaire, qu’en cas de circonstances exceptionnelles ».
Autrement dit, le seul fait qu’un étranger n’ait pas pu bénéficier d’un hébergement d’urgence en raison de la carence de l’État ne suffira pas à faire constater l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et lui il sera nécessaire de faire valoir des circonstances « exceptionnelles ».
Remarque : dans un contentieux foisonnant, le juge administratif reste, compte tenu notamment de l’engorgement du système et de la situation administrative des étrangers concernés, particulièrement rétif à reconnaître de telles « circonstances exceptionnelles ». La jurisprudence du Conseil d’État est à ce titre particulièrement stricte quant à la reconnaissance de ces circonstances. La Haute juridiction a néanmoins élevé au rang de principe le fait que « constitue une telle circonstance, en particulier lorsque, notamment du fait de leur très jeune âge, une solution appropriée ne pourrait être trouvée dans leur prise en charge hors de leur milieu de vie habituel par le service de l'aide sociale à l'enfance, l'existence d'un risque grave pour la santé ou la sécurité d'enfants mineurs, dont l'intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant ». Ainsi, le « très jeune âge » de l’enfant (moins d’un an en l’espèce) peut être constitutif d'une circonstance exceptionnelle (au regard de l’hébergement fournit à la famille, pour une seule nuit) (CE, 13 juill. 2016, n° 399829). En revanche, et par exemple, « ni l’absence de ressources, ni la scolarisation de leurs enfants, ni la circonstance que soient pendants leurs recours contre les refus qui ont été opposés à leurs demandes de titre de séjour et contre les [OQTF] dont [ont fait l'objet les requérants], ne sont de nature à caractériser l'existence de circonstances exceptionnelles » (CE, 30 sept. 2019, n° 434654).