Immigration, asile et intégration : la commission des lois du Sénat tente de durcir le projet de loi

20.03.2023

Droit public

La commission des lois du Sénat a adopté 71 amendements visant à durcir le projet de loi « pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration ». Le texte sera examiné en séance publique à partir du 28 mars.

Un texte qui n’est « pas à la hauteur des ambitions affichées », au « caractère trop timoré », aux « nombreux angles morts » et souffrant d’un cruel « manque de souffle ». Les mots sont forts, de la part de la commission des lois du Sénat, pour qualifier, dans un communiqué du 15 mars 2023, la version du projet de loi « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » qui lui a été soumise. Une version qu’elle aura profondément amendée pour la durcir, notamment en y ajoutant pas moins de 25 articles et en en supprimant trois. A tel point que la commission elle-même parle de « contre-projet ».

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Au total, elle aura adopté 71 amendements, à l’avenir aussi incertain que le projet de loi lui-même tant ils font apparaître des positions clivées, y compris au sein de la majorité sénatoriale. Tour d’horizon des principales modifications.

Un pan entier ajouté pour couvrir des « angles morts »

Pour les rapporteurs Muriel Jourda (LR) et Philippe Bonnecarrère (UC), le gouvernement a présenté « un texte à trous, qui laisse de côté des pans entiers de la politique migratoire qui devraient pourtant être traités en priorité ». La commission propose ainsi de créer un nouveau titre dans le projet de loi intitulé « maîtriser les voies d’accès au séjour et lutter contre l’immigration irrégulière », rassemblant plusieurs dispositions additionnelles visant à :

  • déterminer, dans le cadre d’un débat annuel et pour chacune des catégories de séjour à l’exception de l’asile, le nombre d’étrangers admis à s’installer durablement en France (art. 1A) ;

  • resserrer les critères du regroupement familial en renforçant les conditions de séjour préalable et de ressources, et en prévoyant la détention par l’intéressé d’une assurance maladie (art. 1B, 1C et 1D) resserrer le bénéfice de la procédure dite « étranger malade » en revenant sur le principal critère actuel (le défaut d’accès effectif aux soins dans le pays d’origine) pour lui substituer le critère, plus restrictif, de l’absence de traitement dans le pays d’origine (art. 1E) ;

  • définir, au niveau législatif, ce que sont les « conséquences d’une exceptionnelle gravité » d’un défaut de prise en charge médicale de l’étranger (art. 1F) ;

  • conditionner la validité d’une carte de séjour pluriannuelle « étudiant » à la transmission annuelle à l’administration de pièces justifiant du caractère réel et sérieux du suivi des études (art. 1G) ;

  • expérimenter l’instruction à « 360° » des demandes de titre de séjour, en permettant d’examiner dès la première demande et une fois pour toutes, l’ensemble des motifs qui pourraient fonder la délivrance d’un titre de séjour, dans les seuls cas où l’administration s’oriente vers un refus de titre (art. 1H) ;

  • transformer l’aide médicale de l’Etat en aide médicale d’urgence centrée sur la prise en charge des pathologies les plus graves (art. 1I) ;

  • exclure les étrangers en situation irrégulière des réductions tarifaires accordée par les autorités de transport (art. 1J).

On citera encore, parmi les nouveautés adoptées par la commission, pêle-mêle :

  • la proposition de restreindre les conditions d’acquisition de la nationalité pour les étrangers mineurs nés en France, en subordonnant le bénéfice du droit du sol à une manifestation de volonté (art. 2 bis) et en excluant du bénéfice de l'acquisition de la nationalité par droit du sol les mineurs condamnés à une peine de six mois de prison (art. 2 ter) ;

  • le renforcement des sanctions en cas de refus de décliner son identité ou de se soumettre à une prise d'empreinte (art. 11 bis) ;

  • la création d’un fichier des mineurs non accompagnés délinquants (art. 11 ter) ;

  • la précision, dans la loi, que la possibilité de conserver le bénéfice de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à 21 ans ne s’applique pas aux jeunes majeurs faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF) (art. 12 bis) ;

  • l’inscription dans la loi de restrictions de visas et de la modulation de l’aide au développement à l’encontre des pays peu coopératifs en matière de délivrance de laissez-passer consulaires (art. 14 A) ;

  • l’information des organismes de sécurité sociale et de Pôle emploi des décisions d'OQTF et l’obligation de radiation une fois la décision devenue définitive (art. 14 B) ;

  • l’extension de la durée maximale d'assignation à résidence (art. 14 C) ;

  • la suppression du jour franc avant d'être réacheminé en cas de refus d'entrée sur le territoire (art. 16 bis) ;

  • l’extension des cas dans lesquels l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) est tenu de retirer ou de suspendre le bénéfice des conditions matérielles d’accueil (art. 19 bis) ;

  • l’intégration des places destinées à l'accueil des demandeurs d'asile dans le décompte du taux de 20 % à 25 % de logements sociaux imposé aux communes depuis la loi « SRU » (art. 19 ter) ;

  • l’impossibilité du maintien, sauf décision explicite de l’administration, des personnes déboutées du droit d'asile dans un hébergement accordé au titre du dispositif national d'accueil (art. 19 quater).

Des dispositions à l’utilité discutée

Pour la commission, la plus-value de la création d’« Espaces France Asile » (art. 19) et de la réforme de la Cour Nationale du droit d’asile (art. 20) est « modeste ». De la même manière, bien que le renforcement des sanctions pénales applicables aux passeurs ou aux marchands de sommeil (art. 14 et 15) « ne soulève pas de difficulté de principe », les rapporteurs ne nourrissent « pas d’illusion sur leur portée concrète ».

Deux dispositions jugées « superfétatoires, voire contre-productives », ont par ailleurs été supprimées :

  • l’article 2 (qui imposait une obligation de formation à la langue française à la charge de l’employeur), « qui paraît, pour une part, de faible portée, et d’autre part excéder dans les contraintes qu’il pose un niveau raisonnable pour les employeurs concernés » ;

  • l’article 5 (qui proposait de conditionner le statut d’auto-entrepreneur à la preuve de la régularité du séjour), « dont le Conseil d’État a relevé l’inutilité et dont les effets de bord ont manifestement été mal mesurés par le gouvernement ».

Supprimé également : l’article 8, qui prévoyait une amende administrative pour sanctionner les employeurs d’étrangers sans titre les autorisant à travailler alors que l’Ofii « dispose déjà du pouvoir d’imposer une sanction forfaitaire et une sanction spéciale, proportionnelle à l’infraction ».

L’intégration par le travail, point d’achoppement au sein de la majorité sénatoriale

Compte tenu des « sensibilités différentes » en son sein sur ces sujets, la commission a préféré ne pas déposer d’amendements d’emblée sur deux articles et les réserver en séance. Il s’agit de :

  • l’article 3 (qui prévoit la création d’une carte de séjour temporaire « travail dans des métiers en tension ») « du fait des nombreuses réserves exprimées et tenant, selon les cas, à l’opportunité ou aux modalités du dispositif » ;

  • l’article 4 (qui tend à donner un accès immédiat au marché du travail à certains demandeurs d’asile dont le taux de protection internationale serait supérieur à un seuil), certains pointant un « risque d’appel d’air » quand d’autres mettent plutôt en avant une intégration des demandeurs d’asile facilitée par un accès le plus rapide possible par le travail.

Signalons, toujours sur le thème du travail des étrangers, que la commission a en revanche supprimé la majeure partie du dispositif de l’article 7 (création d’une carte de séjour pluriannuelle [CSP] « talent – professions médicales et de la pharmacie), en ne conservant que la création d’une CSP de quatre ans pour les seuls praticiens à diplôme hors Union européenne (PADHUE) ayant réussi les épreuves de vérification des connaissances (EVC).

Elle a par ailleurs modifié l’article 6 en procédant à la fusion des trois titres destinés à des salariés qualifiés : les titres « talent – salarié qualifié », « talent – salarié entreprise innovante » et « talent – salarié en mission ».

Une réforme du contentieux des étrangers jugée perfectible

Enfin, la commission considère que le gouvernement n’a pas été assez loin dans sa réforme du contentieux des étrangers eu égard notamment aux préconisations du Conseil d’État. A titre d’exemple, elle propose de réduire à trois et non quatre le nombre de procédures applicables en matière d’éloignement, dont la mise en œuvre serait conditionnée au degré d’urgence réel de la situation de l’étranger et à la perspective de voir la mesure d’éloignement exécutée à bref délai. Elle propose notamment (art. 21) :

  • la suppression de la procédure avec délai de recours à 72h et délai de jugement à 6 semaines, « dans la mesure où les OQTF édictées sans délai de départ volontaire et qui ne sont pas assorties d’une mesure d’éloignement ne sont que trop rarement suivies d’un éloignement effectif et ne justifient donc pas des délais aussi contraints » ;

  • l’application des procédures de droit commun aux OQTF prises à l’encontre des déboutés du droit d’asile « afin de préserver la lisibilité du nouveau régime » ;

  • l’application de la procédure avec délai de recours de 7 jours et délai de jugement de 15 jours aux OQTF émises contre des étrangers détenus, « afin d’éviter que des dysfonctionnements dans la communication entre les administrations ne conduisent au placement en rétention de sortants de prison ».

Olivier SONGORO, Dictionnaire permanent Droit des étrangers
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