Immigration et asile : la Commission propose un nouveau pacte

02.10.2020

Droit public

Pour surmonter les blocages qui ont paralysé la réforme du RAEC, la Commission européenne présente un nouveau « pacte » sur l'immigration et l'asile qui, s'il est adopté, remodèlera en profondeur les procédures de protection internationale et de retour.

Au lendemain de l’incendie survenu dans le camp de Moria en Grèce et dix mois après sa mise en place, la nouvelle Commission européenne, présidée par Ursula von der Leyen, a présenté, le 23 septembre 2020 sous la forme d’une communication, son nouveau « pacte » sur l’immigration et l’asile. Ambition affichée : rétablir une certaine cohérence dans la politique de l’Union européenne en la matière et renforcer la cohésion entre ses États membres (Doc. COM (2020) 609 final, 23 sept. 2020).
L’approche se veut globale et doit notamment passer par la création d’un nouveau cadre européen pour la gestion de la migration et de l’asile dans lequel l’Union et ses États membres sont invités à avancer en commun sur tous les fronts.
Remarque : n’est présentée ici que la communication de la Commission qui décrit les axes autour desquels s’articulera la future législation européenne. Les textes proposés seront analysés de façon détaillée une fois adoptés et publiés au Journal officiel de l’Union européenne.
Champ d’application et méthode
Ce « pacte », qui prend acte de l’échec d’une partie du projet de réforme du régime d’asile européen commun (RAEC) engagé en 2016, et notamment de la refonte du règlement « Dublin III », a vocation à se concrétiser à travers un ensemble de propositions de règlements, de propositions de directive, de recommandations ou de « plans ».
Parmi ces textes, certains sont déjà en cours de discussion et ne feront pas l’objet de modifications de la part de la Commission qui demande au Conseil de l’UE et au Parlement de les adopter rapidement. Tel est le cas, par exemple, des propositions de réforme des directives « accueil », « qualification » ou « retour ».
D’autres, également en cours de discussion depuis la proposition de réforme de 2016, font l’objet de modifications substantielles devant permettre de réaliser les nouveaux objectifs de la Commission, par exemple s’agissant de la nouvelle proposition de règlement (anciennement directive) « procédures » ou de la refonte du règlement « Eurodac ».
Enfin, la Commission propose de nouveaux textes avec pour objectifs de surmonter les échecs des précédentes propositions (sur la question de la répartition des demandeurs d’asile, par exemple), de renforcer la protection des frontières extérieures ou d’améliorer la gestion des migrations, notamment en temps de crise (proposition de règlement établissant un filtrage des ressortissants de pays tiers aux frontières extérieures, proposition de règlement relatif à la gestion de l’asile et de l’immigration, mécanisme de préparation et de gestion de crise en matière de migration, par exemple).
Remarque : la Commission souhaite que la plupart des textes proposés soient adoptés au plus tard au deuxième trimestre 2021. Un calendrier ambitieux au regard des dissensions qui opposent les États membres, notamment sur la question des relocalisations.
Si cette approche marque une rupture à certains égards (s’agissant par exemple des questions de répartition des demandeurs d’asile, des garanties minimales pour les personnes vulnérables, ou d’une certaine immunité pénale pour les ONG), de nombreuses propositions restent donc inscrites dans la logique de la politique et des propositions de la précédente Commission (renforcement des frontières extérieures, unification des règles en matière de retour, développement de l’interopérabilité des systèmes d’information, lutte contre l’immigration irrégulière, etc.).
Et si les politiques d’immigration légale (surtout professionnelle) et d’intégration sont aussi concernées, elles le sont sans plus d’innovation, l’objectif restant principalement de développer les voies légales d’accès à l’Europe pour les travailleurs les plus qualifiés.
Filtrer les arrivées aux frontières
Innovation majeure du pacte, la Commission affiche sa volonté, à travers une proposition de règlement (Doc. COM (2020) 612, 23 sept. 2020), de renforcer le « filtrage » aux frontières extérieures de l’UE (ce qui devrait se traduire par davantage de contrôles d’identité, de contrôles sanitaires et de sécurité, un relevé automatique des empreintes digitales et un enregistrement systématique dans la base de données « Eurodac »). Les États « devront également procéder au filtrage si une personne échappe aux contrôles aux frontières, mais est ensuite identifiée » sur leur territoire.
« Première étape dans le dispositif général d’asile et de retour », ce filtrage aura pour principal objectif d’accélérer le processus de détermination du statut d’une personne et du type de procédure à appliquer. Les demandes d’asile ayant « peu de chances d’être acceptées » seront ainsi examinées rapidement sans nécessité d’entrée légale sur le territoire de l’Union, les étrangers déboutés étant immédiatement reconduits. Les autres demandes seraient quant à elles traitées dans le cadre de la procédure d’asile « normale ».
Remarque : se verraient ainsi refuser l’accès au territoire durant l’examen de leur demande de protection, les personnes en provenance de pays d’origine sûrs ou de pays tiers sûrs, les personnes dont les demandes auront peu de chances d’être acceptées, celles ayant cherché à induire les autorités en erreur, celles dont le pays d’origine présente un faible taux de reconnaissance et qui ne sont pas susceptibles d’avoir besoin d’une protection, ou encore qui constituent une menace pour la sécurité nationale.
Pour atteindre cet objectif, la Commission avance une « proposition modifiée de règlement instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union et abrogeant la directive 2013/32/UE » (Doc. COM (2020) 611, 23 sept. 2020) qui devrait entraîner une profonde refonte de la procédure d’asile à la frontière et intégrer directement des règles relatives aux procédures de retour et à la relocalisation des demandeurs à ce stade même de la procédure, permettant ainsi de poursuivre la procédure dans un autre État membre.
Remarque : afin de garantir une évaluation individuelle et le respect des droits fondamentaux, la procédure de filtrage devrait être menée en étroite collaboration avec l’Agence des droits fondamentaux.
Mieux répartir les demandeurs d’asile
Point de crispation de la réforme du RAEC engagée en 2016, la refonte du règlement « Dublin » est abandonnée. Et, si la Commission souhaite que la réglementation relative à la détermination de l’État responsable de l’examen de la demande d’asile évolue, elle ne remet en réalité en cause ni le principe de l’attribution de responsabilité exclusive, ni, globalement, les critères de cette responsabilité.
Consciente du blocage lié à la notion de solidarité obligatoire, la Commission prévoit donc, à travers une proposition de « règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration » (Doc. COM (2020) 610, 23 sept. 2020), un système fondé sur l’équité dans lequel les États membres pourront choisir « si et dans quelle mesure ils veulent répartir leurs efforts entre les relocalisations et les parrainages en matière de retour », voire mettre en œuvre cette solidarité « par tout autre moyen » (renforcement des capacités, soutien opérationnel, expertise technique et opérationnelle, soutien concernant les aspects extérieurs de la migration).
Remarque : le parrainage en matière de retour consistera, pour un État membre, à fournir à un autre État membre sous pression « toute l’aide nécessaire pour procéder au retour rapide des personnes n’ayant pas le droit de séjourner dans l’Union », et à en assumer l’entière responsabilité en cas d’inexécution du retour dans le délai fixé.
Quoi qu’il en soit, le nouveau système ne met pas fin au mécanisme actuel de détermination de responsabilité au regard des critères existants. Bien au contraire, puisque le futur règlement devrait encore limiter les possibilités de transfert de responsabilité dans le but affiché de décourager les demandeurs d’asile cherchant à bénéficier de ce mécanisme (en prenant la fuite par exemple).
Faire face aux « crises » migratoires
Pour faire face à de futures « crises » (le document fait largement référence à la crise dite « des réfugiés » qui a pris place aux frontières de l’Europe en 2015), la Commission européenne souhaite également renforcer l’arsenal à disposition de l’Union européenne à travers :
- une recommandation relative à un nouveau « mécanisme de préparation et de gestion de crise en matière de migration » (Doc. C (2020) 6469, 23 sept. 2020) fondé sur la préparation et l’anticipation ;
- une proposition de règlement « visant à faire face aux situations de crise et aux cas de force majeure dans le domaine de la migration et de l’asile » (Doc. COM (2020) 613, 23 sept. 2020) qui se substituera à la directive « protection temporaire » (Dir. 2001/55/CE du Conseil, 20 juill. 2001), abrogée par voie de conséquence alors qu’elle n’a jamais été mise en œuvre.
Le mécanisme de préparation impliquera une anticipation et un suivi continus des capacités des États membres, et fournira un cadre permettant de renforcer la résilience et d’organiser une réaction coordonnée aux crises. Ainsi, à la demande d’un État membre, un soutien opérationnel serait déployé, tant par les agences de l’UE que par d’autres États membres.
De son côté, le règlement aura pour objet :
- de prévoir des mesures temporaires et extraordinaires nécessaires afin de « permettre aux États membres de réagir aux situations de crise et de force majeure et d’accorder un statut de protection immédiate dans les situations de crise ;
- de veiller à ce que le système de solidarité établi dans le nouveau règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration soit bien adapté aux crises caractérisées par un grand nombre d’arrivées irrégulières ».
Il rassemblera également tous les outils de gestion de crise existants et définira les principaux protocoles et mesures institutionnels, opérationnels et financiers devant être mis en place au niveau de l’UE et au niveau national.
Renforcer la politique de retour
La politique de retour reste une priorité pour la Commission. A ce titre, constatant que « l’efficacité des retours varie d’un État membre à l’autre, en fonction, dans une large mesure, des règles et des capacités nationales, ainsi que des relations avec certains pays tiers » (seul un tiers des personnes ayant reçu l’ordre de quitter le territoire le faisant réellement), elle estime qu’il convient de mettre en place un système commun en matière de retour s’articulant autour de trois axes :
- une refonte de la directive « retour » selon la proposition de 2018 (Doc. COM (2018) 634, 12 sept. 2018) qui a déjà fait l’objet d’un accord partiel entre le Conseil et le Parlement ;
- le développement du soutien opérationnel avec Frontex comme clé de voûte ;
- l’institutionnalisation d’une gouvernance solide par la nomination d’un « coordinateur chargé des retours » soutenu par un « réseau de haut niveau pour les retours ».
Enfin, elle insiste sur la nécessité de promouvoir les retours volontaires à travers une nouvelle stratégie mise en œuvre en « coopération étroite avec Frontex dans le cadre de son mandat renforcé en matière de retour et du système commun de l’Union en matière de retour ».
La Commission souhaite ainsi une amélioration de la coopération en matière de réadmission avec les pays tiers, « complétée par une coopération en matière de réintégration, afin de garantir le caractère durable des retours », c’est-à-dire élargir le nombre d’accords de réadmission et trouver des « solutions pratiques de coopération afin d’accroître le nombre de retours effectifs ».
Remarque : le mécanisme institué par le code des visas (coopération en matière de réadmission contre délivrance de visas) fera l’objet d’une évaluation annuelle. Dans certaines circonstances, les pays dont les ressortissants sont dispensés de visa pourraient se voir retirer ce privilège afin d’endiguer les demandes d’asile non fondées (près d’un quart des demandes d’asile reçues par les États membres ont été introduites par des demandeurs qui peuvent entrer dans l’espace « Schengen + » sans visa).
Mieux prendre en compte les mineurs
Pour la Commission, la réforme des règles de l’Union en matière d’asile et de retour doit aussi permettre de « renforcer les garanties et les normes de protection prévues » pour les enfants migrants. A ce titre :
- les enfants « non accompagnés » ou les enfants « de moins de douze ans et leur famille » devraient être exemptés de la nouvelle procédure à la frontière ;
- le système devra offrir notamment « des alternatives efficaces à la rétention » et favoriser « un regroupement familial rapide ».
Optimiser la « gestion intégrée des frontières »
Afin de mieux gérer (sous-entendu, protéger) les frontières extérieures de l’Union européenne, la Commission appelle notamment à la pleine application du règlement relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes (Régl. (UE) 2019/1896, 13 nov. 2019), avec la mise en place d’un contingent permanent de personnel opérationnel de 10 000 agents dont le premier déploiement devrait être prêt pour le 1er janvier 2021.
La Commission souhaite également tirer pleinement profit des systèmes de traitement de données à caractère personnel (système d’entrée/sortie, système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages, système d’information sur les visas, système européen d’information sur les casiers judiciaires pour les ressortissants de pays tiers, « Eurodac », système d’information Schengen) en développant leur interopérabilité à l’horizon de la fin de l’année 2023.
Remarque : l’interopérabilité permet de connecter tous les systèmes européens relatifs aux frontières, aux migrations, à la sécurité et à la justice afin de garantir une parfaite circulation entre les États membres des informations concernant les ressortissants de pays tiers.
Dans ce cadre, le règlement « Eurodac » fait l’objet d’une proposition modifiée par rapport à celle envisagée en 2016 (Doc. COM (2020) 614, 23 sept. 2020) afin que le traitement puisse « jouer un rôle à part entière dans le contrôle de la migration irrégulière et la détection des mouvements non autorisés au sein de l’Union européenne ».
Remarque : la procédure de délivrance des visas devrait, pour sa part, être intégralement numérisée au plus tard en 2025, avec visa numérique et possibilité d’introduire les demandes de visa en ligne.
Une approche commune pour la recherche et le sauvetage
« Aider les personnes qui sont en détresse en mer est un devoir moral et une obligation imposée par le droit international », rappelle la Commission dans sa communication.
La problématique de la recherche et du sauvetage des migrants abandonnés sur des embarcations en haute mer et de leur prise en charge fera donc l’objet de règles précises dans le futur « règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration » (Doc. COM (2020) 610, 23 sept. 2020).
L’objectif affiché est d’abord de reprendre la main sur des opérations qui, bien que menées à grande échelle par les effectifs de l’Union européenne (EUNAVFOR MED et opérations Thémis, Poséidon et Indalo coordonnées par Frontex), ont été largement relayées par des initiatives privées, afin de maîtriser totalement les lieux de débarquement et de pouvoir mettre en place un mécanisme immédiat de relocalisation.
Une recommandation est donc exclusivement consacrée à la question de la coopération entre les États membres concernant les opérations menées par les navires privés avec comme objectif, notamment, la création d’un groupe d’experts spécialisés (Doc. C (2020) 6468, 23 sept. 2020).
Lutter contre l’immigration irrégulière à la source
Sans grande innovation, la Commission souhaite toujours lutter contre l’immigration irrégulière à travers des « partenariats internationaux » afin de juguler, dans un premier temps, les départs des migrants vers le continent européen.
Sont prioritairement visés les Balkans occidentaux et l’Afrique du nord. Dans ces régions, les pays de transit devront empêcher le départ des migrants, au besoin en échange d’une aide financière.
Sous l’angle de la lutte contre le trafic de migrants (qui fera l’objet d’un nouveau plan d’action pour la période 2021-2025), la directive « sanctions » (Dir. 2009/52/CE, 18 juin 2009) pourrait également être modifiée afin de rendre encore plus dissuasif ses mécanismes répressifs à l’égard des employeurs qui se risquent à faire travailler des étrangers en situation irrégulière (l’idée sous-jacente étant de fermer le marché de l’emploi à ces derniers).
Maîtriser l’immigration légale et renforcer l’intégration
La Commission entend poursuivre sa politique d’immigration professionnelle centrée sur les personnes hautement qualifiées en la faisant mieux correspondre aux besoins du marché du travail.
La refonte de la directive « carte bleue européenne » (Dir. 2009/50/CE, 25 mai 2009), la mise en œuvre optimale de la directive « étudiants-chercheurs » (Dir (UE) 2016/801, 11 mai 2016) et la révision de la directive « résidents longue durée » (Dir. 2003/109/CE, 25 nov. 2003) pour favoriser la mobilité intra-européenne, sont donc les axes prioritaires de la politique d’immigration légale. Une politique que la Commission veut appréhender de manière moins fragmentée.
La politique d’intégration (inclusion sociale, emploi, éducation, santé, égalité, culture et le sport) fait enfin toujours partie des préoccupations de Bruxelles. Elle se traduira principalement par un plan d’action pour la période 2021-2024.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Christophe Pouly, avocat
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