Implant files: le Conseil d’Etat ouvre plus largement l’accès aux informations sur la certification des dispositifs médicaux

21.04.2022

Droit public

Le secret des affaires ne s’oppose pas à la communication par l’organisme notifié français de la liste des dispositifs médicaux pour lesquels le marquage CE a été refusé en France, mais qui ont été mis sur le marché après avoir obtenu une certification dans un autre Etat membre de l’UE ou partie à l’EEE.

Dans le cadre de l’enquête du consortium international des journalistes d’investigation sur les dispositifs médicaux implantables (enquête dite des « implant files »), la société éditrice du journal Le Monde, soutenue par plusieurs associations de journalistes, a introduit devant la juridiction administrative un recours visant à annuler les décisions du Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE) et de sa filiale chargée de l’évaluation des dispositifs médicaux en France - la société GMED (seul organisme notifié en France) - ayant refusé de communiquer la liste des dispositifs auxquels un certificat de conformité CE n’a pas été accordé et celle pour lesquels un certificat a été délivré.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Par un jugement du 15 octobre 2020, le Tribunal administratif de Paris leur a donné partiellement raison, en annulant les décisions ayant refusé de communiquer la liste des dispositifs médicaux auxquels un certificat a été délivré, mais a confirmé la légalité du refus de communiquer la liste des dispositifs médicaux auxquels un marquage CE a été refusé et celle des dispositifs pour lesquels un certificat a été accordé dans un autre Etat, mais qui ne sont pas encore commercialisés (TA Paris, 15 oct. 2020, n° 1822236/5-2).

Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat vient, dans un arrêt du 8 avril 2022, d’annuler partiellement ce jugement au motif que le tribunal a commis une erreur de droit en rejetant les conclusions visant à obtenir la communication de la liste des dispositifs médicaux dont le marquage CE a été refusé par l’organisme notifié français, mais qui ont été mis sur le marché au sein de l’Union européenne (UE) ou de l’Espace économique européen (EEE) après avoir obtenu la certification CE par un autre organisme notifié.

En première instance, le tribunal avait estimé que la protection du secret des affaires, visée par le deuxième alinéa de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, ne justifie pas d’opposer un refus dans le cas des dispositifs certifiés déjà mis sur le marché, mais le justifie s’agissant des dispositifs non encore mis sur le marché. Il avait également indiqué que les dispositions de l’article L. 151-8 du code de commerce, qui transposent des dispositions de la directive (UE) 2016/943 du 8 juin 2016 sur le secret des affaires et qui prévoient les cas dans lesquels celui-ci n’est pas opposable, ne peuvent pas être utilement invoquées à l’appui d’un recours concernant l’accès à des documents administratifs.

L’interprétation du tribunal a été validée sur tous ces points, tout comme l’a été la manière dont il a mis en balance, pour les dispositifs médicaux qui n’ont pas été mis sur le marché, l’exercice du droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme avec d’autres considérations d’intérêt général que la loi entend protéger, comme le secret des affaires.

Divergence d'interprétation sur les dispositifs certifiés ailleurs qu'en France

En revanche, une divergence d’interprétation est apparue s’agissant des dispositifs mis sur le marché avec une certification obtenue ailleurs qu’en France. Pour le tribunal, la communication de la liste des dispositifs médicaux auxquels un marquage CE a été refusé et des dispositifs pour lesquels un certificat a été accordé dans un autre Etat, mais qui ne sont pas encore commercialisés, doit être regardée comme la divulgation d’une information confidentielle relative à la stratégie commerciale et industrielle des fabricants concernés, relevant de la protection du secret des affaires.

Reste qu’un refus de certification par l’organisme notifié français n’interdit pas qu’une procédure d’évaluation de la conformité soit entreprise par un autre organisme établi dans un autre État membre de l’UE ou partie à l’EEE, voire dans un Etat avec lequel une reconnaissance mutuelle est établie (Suisse, Australie) ou un accord d’association a été conclu (Turquie). Or, si la procédure d’évaluation réalisée dans un autre Etat conduit au marquage CE, le principe de la libre circulation permet au fabricant ou au distributeur de commercialiser tout dispositif certifié sur le marché français.

Le tribunal avait néanmoins considéré que tant qu’ils ne sont pas encore effectivement commercialisés en France, les dispositifs médicaux certifiés par un autre organisme notifié ne présentent qu’un risque théorique pour la santé publique, lequel ne constitue pas un motif suffisant pour qu’il soit dérogé au secret des affaires en autorisant l’accès à des informations économiques confidentielles. C’est sur ce point que le tribunal a entaché son jugement d’une erreur de droit.

L'information sur une question de santé publique prime

Pour le Conseil d’Etat, le secret des affaires, en ce qu’il vise à éviter que soit divulguée la stratégie commerciale d’une entreprise quant aux produits qu’elle envisage de commercialiser, ne saurait justifier le refus de communication d’un document administratif après que les produits en cause ont été mis sur le marché à la suite du marquage CE.

Le secret des affaires ne peut légalement fonder le refus de communication de la liste des dispositifs médicaux qui ont été mis sur le marché après que le marquage CE leur a été refusé en France par le LNE/GMED, mais leur a été délivré par un autre organisme certificateur au sein de l’UE ou de l’EEE. Il s’agit là d’une question de santé publique qui poursuit un objectif d’autant plus légitime qu’elle met en évidence des différences d’évaluation entre les organismes certificateurs, justifiant une transparence et une surveillance accrues quant aux dispositifs concernés.

Le Conseil d’Etat a donc écarté la distinction faite par le tribunal entre le droit à la mise sur le marché résultant du marquage CE et la commercialisation effective des dispositifs médicaux, étant entendu que l’information selon laquelle un dispositif médical a été commercialisé peut être portée à la connaissance du LNE/GMED par le demandeur à l’appui de sa demande tendant à obtenir les documents qui se rapportent au dispositif.

Le juge de cassation a toutefois précisé que l’organisme français pourrait légalement justifier un refus de communication sur les dispositifs médicaux qui auraient été refusés à la certification en France, mais autorisés dans un autre Etat puis commercialisés si, et seulement si, la demande impliquerait de procéder à des recherches supplémentaires auprès d’autres organismes notifiés ou entraînerait une charge de travail disproportionnée.

L’affaire a été renvoyée au tribunal administratif de Paris auquel il reviendra d’apprécier tous ces éléments.

Jérôme Peigné, Professeur à l'Université Paris Cité (Institut Droit et santé)
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