Interprètes afghans de l'armée française : pas de « droit » au visa

20.10.2017

Droit public

Pour le Conseil d'État, il n'y a pas de droit à la délivrance d'un visa « asile » pour les civils afghans qui ont apporté leur concours aux forces armées étrangères, sauf s'ils démontrent être de ce fait exposés à des risques élevés pour leur vie ou leur sécurité.

Saisi en cassation d’une série d’ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Nantes, le Conseil d’État examine, dans plusieurs décisions du 16 octobre 2017, les refus de visas opposés à d’anciens personnels civils afghans ayant collaboré avec les forces armées françaises en Afghanistan.
Remarque : deux de ces décisions sont publiées au recueil Lebon (CE, 16 oct. 2017, n° 408344 ; CE, 16 oct. 2017, n° 408374).
Dans une de ses ordonnances de rejet particulièrement motivée, le Conseil d’État pose d’abord le cadre général dans lequel s’inscrivent ces demandes de visas dont le but est de solliciter le bénéfice d’une protection internationale en France (CE, 16 oct. 2017, n° 408374).
 
Puis, dans des décisions particulières, la Haute juridiction estime que la situation dans laquelle ces personnels se sont trouvés après le départ des forces françaises, caractérise une situation d’urgence justifiant qu’un refus de visa soit déféré au juge des référés. Elle considère par ailleurs que, lorsqu’il est parfaitement établi qu’ils ont effectivement participé aux opérations menées par les forces armées françaises, cette circonstance est de nature à faire regarder le refus de visa comme entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.
Absence de droit à la délivrance d’un visa
Pas de visa au titre de l’asile...
Dans sa décision la plus motivée, le Conseil d'État rappelle que le droit constitutionnel d’asile garantit une protection sur les territoires de la République pour « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ».
 
Toutefois, pour le Conseil d’État, les garanties attachées à ce droit « reconnu aux étrangers qui résident sur le territoire de la République n’emportent aucun droit à la délivrance d’un visa en vue de déposer une demande d’asile en France ou pour y demander le bénéfice de la protection subsidiaire prévue à l’article L. 712-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ».
 
Ainsi, le droit d’asile et le droit à une protection internationale ne sont opposables que par les personnes présentes sur le territoire.
... des droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme...
Poursuivant dans la même logique, le Conseil d’État estime également que l’invocation des articles 2 (droit à la vie), et 3 (protection contre la torture et les traitements inhumains et dégradants) de la Convention européenne des droits de l’homme ne saurait imposer « un droit à la délivrance d’un visa d’entrée en France ».
... ou au titre de la protection fonctionnelle...
Et, alors que les requérants faisaient valoir la protection juridique que doit le ministre de la défense à ses militaires ou personnels civils (C. défense, art. L. 4123-10), le Conseil d’État estime que, compte tenu de l’office du juge des référés, un moyen fondé sur le droit à la protection fonctionnelle dans le cadre d’un refus de visa ne peut caractériser un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
Remarque : le Conseil d’État renvoie donc cette question délicate aux juridictions du fond.
... même si la décision attaquée méconnaît les orientations générales arrêtées par les autorités françaises
Enfin, pour le Conseil d’État, aucune disposition de droit international ou de droit interne n’impose aux autorités françaises de délivrer un visa d’entrée aux personnes qui allèguent, voire démontrent, être exposées à des persécutions ou des risques graves.
 
En conséquence, la seule circonstance que le gouvernement a arrêté des orientations générales fixant les conditions de mise en œuvre d’une procédure de relocalisation au bénéfice de ces personnels civils locaux ne saurait faire regarder une décision de refus de visa comme étant entachée d’une erreur manifeste d’appréciation de ce seul fait, quand bien même le requérant justifierait remplir les critères qui y sont énoncés.
Nécessité de délivrer un visa aux auxiliaires locaux particulièrement exposés
Bien qu’il ne reconnaisse pas de droit à la délivrance d’un visa, le Conseil d’État juge que la recrudescence des violences résultant de la dégradation de la situation en Afghanistan est susceptible d’exposer à des risques élevés les personnels civils afghans qui ont apporté leur concours à des forces armées étrangères, sous réserve qu’ils justifient d'éléments de personnalisation.
 
Cette circonstance est alors de nature à caractériser aussi bien une situation d’urgence (CE, 16 oct. 2017, n° 408748) qu’un doute sérieux quant à la légalité de la décision refusant la délivrance du visa (CE, 16 oct. 2017, n° 308444 ; CE, 16 oct. 2017, n° 408750).
Condition d’urgence
Pour le Conseil d’État, la condition d’urgence s’apprécie au regard de deux éléments combinés :
 
- le climat de violence qui règne en Afghanistan, et même à Kaboul ;
 
- les allégations de l’intéressé.
 
A ce titre, le Conseil d'État censure pour dénaturation des faits l'ordonnance ayant rejeté la demande de suspension pour défaut d'urgence sans prendre en compte les allégations du requérant qui, vivant à Kaboul, faisait état de menaces et prétendait être contraint à se déplacer et à vivre caché (CE, 16 oct. 2017, n° 408748).
Doute sérieux quant à la légalité de la décision
L’appréciation du doute sérieux quant à la légalité de la décision de refus de délivrance de visa s’opère compte tenu de la capacité du requérant à établir de manière certaine et incontestable qu’il a participé aux opérations militaires ou collaboré avec les forces armées.
 

Tel est le cas pour les interprètes qui ont œuvré « auprès des forces françaises au sein du quartier général de la Force internationale d’aide et d’assistance, ainsi que dans un camp de formation de l’armée afghane à Kaboul [...] et participé à des opérations sur le terrain » (CE, 16 oct. 2017, n° 408344 ; CE, 16 oct. 2017, n° 408750), ou en qualité de journaliste animateur de l'une des radios militaires française (CE, 16 oct. 2017, n° 408748). En revanche, la fonction de magasinier n'est pas de nature, par elle-même, à établir que la personne serait exposée à des menaces de représailles (CE, 16 oct. 2017, n° 408786).

Remarque : cette distinction paraît discutable dès lors qu'en Afghanistan la collaboration avec les forces étrangères expose largement les intéressés aux représailles des Talibans, quelles que soient les fonctions exercées. Et ce d'autant plus que, compte tenu de la structure de la société afghane, cette collaboration est nécessairement notoire.
Lorsqu’il existe un doute sur la participation de l’intéressé aux opérations menées par les forces françaises ou que celle-ci est sérieusement contestée par le ministre, les risques ne sauraient être regardés comme étant établis, au moins au stade de la procédure de référé, compte tenu de l’office du juge (CE, 16 oct. 2017, n° 408374).
 
Et, la seule circonstance qu’un personnel civil a servi aux côtés des forces armées étrangères ne suffit pas, par elle-même, à établir des risques.
 
En effet, l'intéressé doit également démontrer, ou alléguer de manière crédible, que, suite à cet engagement et après le départ des forces armées étrangères, il a fait l’objet de mesures de représailles directes ou indirectes.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Christophe Pouly, avocat
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