A la suite de l'affaire Halimi, une mission d'enquête parlementaire propose des aménagements à la règle de l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Une nouvelle pierre vient de s’ajouter à l’édifice des propositions ayant suivi l’affaire Halimi. Les députés Naïma Moutchou et Antoine Sauvignat ont mené une mission d’information parlementaire à l’issue de laquelle ils proposent divers aménagements au principe de la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental prévue à l’article 122-1 du Code pénal visant à exclure l’intoxication volontaire du champ de celle-ci.
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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Pour mémoire, on rappellera que la Cour de cassation y a considéré qu’une décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental de l’auteur d’un meurtre à caractère antisémite, qui avait commis les faits sous l’empire d’une bouffée délirante survenant après une forte consommation de cannabis, ne peut être remise en cause dès lors que la loi ne fait aucune distinction relativement à l’origine de l’abolition du discernement justifiant le prononcé de cette irresponsabilité (Cass. crim., 14 avr. 2021, n° 20-80.135).
Dans l’appel d’air créé par cette affaire, diverses instances se sont saisies du sujet pour formuler des suggestions ou propositions d’évolution de la loi. Ainsi, si la mission parlementaire sur l’irresponsabilité pénale présidée par les députés Philippe Houillon et Dominique Raimbourg (Mission sur l’irresponsabilité pénale, février 2021, n° 017-21, n° 2020-00108), créée avant l’arrêt de la Cour de cassation, concluait en proposant de « conserver la rédaction actuelle de l’article 122-1 du code pénal », mais en proposant diverses pistes parallèles pour améliorer les rapports entre la justice et l’expertise pénale. Un autre rapport établi au Sénat par les sénateurs Sol et Roux au nom de la commission des lois proposait, pour sa part, de modifier l’article 122-1 « en prévoyant que l’irresponsabilité pénale ne peut concerner que les personnes atteintes, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique, issu d’un état pathologique ou des effets involontairement subis d’une substance psychoactive » (J. SOL et J.-Y. ROUX, Rapport d’information sur l’expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale : mieux organiser pour mieux juger, Doc. Sénat, n° 432, 10 mars 2021).
A la suite de l’arrêt de la Cour de cassation, le 4 mai 2021, la commission des lois avait confié aux députés Naïma Moutchou et Antoine Savignat la charge de procéder à une mission d’information sur l’application de l’article 122-1 du code pénal. Celle-ci s’inscrit plutôt dans la lignée du rapport des sénateurs Sol et Roux mais en retenant des options un peu différentes sur certains points.
Exclure l’intoxication volontaire en vue de commettre un crime du champ de l’article 122-1
Les députés proposent de conserver l’article 122-1 mais en lui adjoignant de nouveaux adminicules, notamment en excluant l’application de ce texte en cas d’intoxication délibérée dans le cadre d’un projet criminel préalable. Il s’agirait du cas où un individu absorberait un toxique afin de faciliter le passage à l’acte, par exemple pour se désinhiber avant un attentat terroriste (les auteurs du rapport ayant notamment donné l’exemple du Captagon qu’utiliseraient les djihadistes). Cette proposition paraît peu contestable sur le principe, d’autant qu’elle fait écho à la théorie de la faute préalable que la jurisprudence déploie en matière d’infractions non intentionnelle pour retenir, par exemple, l’homicide involontaire contre une personne ayant causé un accident de la route après avoir consommé des stupéfiants. On notera cependant qu’elle ne répond pas au problème soulevé par l’affaire Halimi dans lequel la prise de stupéfiant ne procédait nullement d’un projet criminel ourdi par avance mais simplement de la volonté de l’auteur des faits de calmer de fortes angoisses survenues avant les faits.
Créer une infraction d’intoxication volontaire
Pour répondre plus précisément à l’affaire Halimi, les députés proposent la création d’une infraction nouvelle d’intoxication délibérée. Celle-ci réprimerait le fait de s’intoxiquer volontairement et, dans l’état de trouble mental temporaire résultant de cette intoxication, de commettre une infraction contre l’intégrité physique ou la vie d’une autre personne (violences ou homicide). Cette incrimination s’appliquerait donc à l’individu qui consomme des stupéfiants, perd la maîtrise de ses actes ou de sa pensée, commet une infraction, puis revient à la raison. Le projet est intéressant mais il soulève certaines questions. D’abord, il ne répond pas exactement au cas de l’affaire Halimi dans lequel la consommation de psychotropes a déclenché ou contribué à déclencher un épisode psychotique durable chez l’auteur des faits (qui reste depuis les faits internés en soins psychiatriques sans consentement). Ensuite, quelle serait la durée à conférer à cet épisode « temporaire » ? Le principe de légalité pourrait faire obstacle à l’introduction dans la loi d’une notion à contenu aussi variable. Enfin, le texte créerait de potentiels conflits de qualification en cas d’application du dispositif précédent relatif à l’inapplicabilité de l’article 122-1 en cas d’ingestion d’un toxique en vue de commettre une infraction : un même fait (ex. : un terroriste ingérant délibérément un produit visant à abolir son discernement avant de tenter de commettre un attentat) pourrait être poursuivi sur le fondement de l’incrimination de l’homicide volontaire à caractère terroriste et sur le fondement de cette nouvelle qualification pénale d’intoxication volontaire. Le conflit pourrait certes se résoudre, en vertu des règles applicables en cas de cumul idéal d’infractions, au profit de la plus haute expression pénale, c’est-à-dire l’homicide terroriste. Mais il n’en demeure pas moins que cette concurrence pourrait créer des confusions préjudiciables à la clarté de la loi pénale.
Repenser les rapports entre la justice et l’expertise pénale
Par ailleurs, les députés Moutchou et Sauvignat, concernant la question des évolutions à donner au fonctionnement de l’expertise psychiatrique et psychologique dans le procès pénal, s’en remettent essentiellement aux propositions formulées par le rapport des sénateurs Sol et Roux.
Ceux-ci suggéraient notamment d’essayer de mieux organiser les usages de l’expertise. Les sénateurs proposaient notamment, dans le cadre d’une information judiciaire, de mieux encadrer la possibilité pour les parties de solliciter un complément d’expertise pénale ou une contre-expertise pénale. Les sénateurs proposaient également de séparer les rôles en distinguant l’expertise pré-sententielle, qui ne devra répondre qu’à la question de savoir si l’intéressé était atteint d’un trouble mental ayant aboli ou altéré son discernement en vue de statuer sur l’application de l’article 122-1 du code pénal et sur son accessibilité à une sanction pénale, de l’expertise post-sententielle visant à déterminer son degré de dangerosité en matière de risque de récidive.
Les sénateurs Sol et Roux ont également émis des suggestions visant à favoriser le développement des vocations d’expert. On sait que les volontaires se font de plus en plus rares. Pour encourager les candidatures, les sénateurs proposaient de réévaluer la tarification des actes de psychiatrie et de psychologie légale, notamment en prêtant une attention particulière à la modulation de la rémunération en fonction de l’ampleur de l’affaire et de l’investissement requis de l’expert. Par ailleurs, afin de populariser et faire connaître la fonction expertale chez les étudiants de médecine ou de psychologie, les sénateurs proposaient de mettre en place, au niveau national, une option de psychiatrie ou de psychologie légale intégrée à la maquette du troisième cycle d’études médicales spécialisées en psychiatrie ou du master 2 de psychologie.
Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen