Irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental : l'origine de l'abolition du discernement est indifférente

07.05.2021

Droit public

La décision d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental de l'auteur d'un meurtre à caractère antisémite, qui avait commis les faits sous l'empire d'une bouffée délirante survenant après une forte consommation de cannabis, ne peut être remise en cause dès lors que la loi ne fait aucune distinction relativement à l'origine de l'abolition du discernement justifiant le prononcé de cette irresponsabilité.

Dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Halimi, du nom de la victime d’un crime de meurtre à caractère antisémite, la Cour de cassation vient d’apporter un point final en validant l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris ayant retenu l’irresponsabilité pénale de l’auteur des faits.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

Découvrir tous les contenus liés

Un homme âgé de 27 ans et consommateur habituel de cannabis, dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, surgit au domicile d’une de ses voisines dans un immeuble parisien, une femme de 65 ans de confession juive, et la tue en la rouant de coups puis en la défenestrant aux cris de « Allah akbar, c’est le Sheitan (satan), je vais la tuer » puis « j'ai tué le Sheitan ». Durant l’instruction, sept médecins se succèdent pour procéder à l’expertise psychiatrique de l’individu. Tous retiennent unanimement un diagnostic de bouffée délirante à caractère psychotique survenu subitement sans antécédent connu chez l’individu. Six d’entre eux concluent à une abolition du discernement, synonyme d’irresponsabilité pénale, et un seul retient une simple altération du discernement, considérant que la détérioration des facultés mentales de l’auteur des faits résulte de sa prise massive et volontaire de cannabis.

La juge d’instruction puis la chambre de l’instruction ayant conclu, sur le fondement de l’article 122-1 du code pénal, à l’irresponsabilité de l’auteur des faits en raison d’une abolition de son discernement, les parties civiles forment un pourvoi en cassation. Elles reprochent notamment à la chambre de l’instruction d’avoir retenu l’abolition du discernement de l’auteur des faits alors même que la bouffée délirante qui l’a amené à commettre son acte est d’origine exotoxique et résulte d’une prise de produit stupéfiants, faute qui empêcherait ainsi l’application de l’article 122-1 du code pénal. La chambre criminelle de la Cour de cassation, s’appuyant sur les motifs de la chambre de l’instruction ayant clairement mis en évidence que les faits avaient été commis sous l’empire d’une bouffée délirante, rejette ce pourvoi le 14 avril 2021. En effet, selon la Cour de cassation, « les dispositions de l'article 122-1, alinéa 1er, du code pénal, ne distinguent pas selon l'origine du trouble psychique ayant conduit à l'abolition de ce discernement ».

Un arrêt suscitant un malaise dans l’opinion

Après cet arrêt, de nombreux et vifs débats ont eu lieu dans l’opinion et la presse, une manifestation ayant même réuni à Paris plusieurs milliers de personnes scandant des slogans hostiles à la Cour de cassation. Globalement, la décision de la Cour de cassation a été mal reçue, nombre de personnes n’ayant pas compris comment, dans le même temps, un meurtre pourrait être reconnu comme ayant un caractère antisémite et son auteur bénéficier d’une décision d’irresponsabilité pénale.

Il faut admettre que la question des rapports entre l’abolition ou l’altération du discernement et l’absorption de toxiques est une affaire sans doute difficile à cerner par la norme juridique. D’un côté, pour certaines infractions (homicide involontaire, agression sexuelle, etc.), le droit pénal érige la consommation de produits stupéfiants ou d’alcool comme une cause d’aggravation de la peine maximale encourue, la consommation de stupéfiants demeurant d’ailleurs une infraction pénale en tant que telle. De l’autre, des décisions, à l’image de celle que vient de rendre la Cour de cassation, admettent que la consommation volontaire de produits stupéfiants ne fait pas obstacle à la reconnaissance de l’atténuation voire de la disparition de la responsabilité pénale pour cause de trouble mental. Ainsi, s’agissant, en 2004, de la tristement célèbre affaire de Pau (qui a d’ailleurs déclenché la réforme de la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental opérée par la loi du 25 février 2008) dans laquelle deux infirmières d’un hôpital psychiatrique avaient été sauvagement tuées par un psychotique, celui-ci était également au moment des faits sous l’empire d’une consommation importante de cannabis. Mais, l’auteur des faits étant aussi en proie à des pensées délirantes quant à une invasion de la terre par des nazis extraterrestres, cela n’avait pas empêché la reconnaissance de son irresponsabilité pénale par la chambre de l’instruction (CA Pau, ch. instr., 14 déc. 2007).

Un problème complexe qui ne peut connaître une réponse simple

L’affaire Halimi soulève donc des problèmes complexes que, malheureusement, une certaine forme de pensée simplificatrice serait tentée d’analyser sous l’angle du laxisme de la justice voire d’une certaine complaisance à l’égard de crimes antisémites, ou au moins d’une insuffisance du droit. On doit comprendre la souffrance des familles et des proches, voire la stupeur d’une partie de l’opinion publique face à de tels faits. Néanmoins, l’arrêt de la Cour de cassation ne mérite pas l’opprobre qu’on lui a infligé.

De même, il ne mérite peut-être pas l’empressement que d’aucuns ont témoigné à vouloir renverser la solution qu’il a retenue. Si le rapport rendu le 27 avril par la mission sur l’irresponsabilité pénale présidée par les députés Philippe Houillon et Dominique Raimbourg (Mission sur l’irresponsabilité pénale, févr. 2021, n° 017-21, n° 2020-00108) concluait en proposant de « conserver la rédaction actuelle de l’article 122-1 du code pénal », un autre rapport établi au Sénat au nom de la commission des lois de la commission des affaires parlementaire proposait au contraire de le modifier « en prévoyant que l’irresponsabilité pénale ne peut concerner que les personnes atteintes, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique, issu d’un état pathologique ou des effets involontairement subis d’une substance psychoactive » (J. SOL et J.-Y. ROUX, Rapport d’information sur l’expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale : mieux organiser pour mieux juger, Doc. Sénat, n° 432, 10 mars 2021). Que l’on adhère ou pas à la proposition, on postulera néanmoins qu’elle peine à apporter une réponse adéquate à l’affaire Halimi car dans celle-ci, les effets de la substance psychoactive n’ont sans doute pas été « volontairement subis » par l’auteur des faits. Celui-ci a certes voulu l’inhalation de cannabis mais n’a en aucun cas voulu la bouffée délirante dont elle aurait favorisé la survenance.

Plus globalement, le problème lié à l’affaire Halimi est double. D’une part, contrairement à une certaine idée répandue dans l’opinion, il n’apparaît pas que l’auteur des faits ait pris le toxique en ayant conscience du risque que celui-ci puisse contribuer à l’apparition d’une telle bouffée délirante et encore moins en la souhaitant : il ne s’agissait pas d’un terroriste ayant délibérément absorbé des produits stupéfiants en vue de faciliter un passage à l’acte criminel. La consommation de cannabis répondait à la volonté de l’auteur des faits de calmer des angoisses importantes, apparues deux jours auparavant, accompagnées d’insomnies. D’autre part, au contraire d’un individu ingérant de l’alcool avant d’agresser sexuellement une victime ou d’un délinquant routier consommant du cannabis avant de prendre le volant, la prise de toxiques par l’auteur des faits n’a pas eu ici simplement pour effet de le désinhiber ou d’altérer ses réflexes et sa perception. Elle a véritablement causé ou contribué à causer la survenance d’une bouffée délirante aigüe de type psychotique dans laquelle l’auteur des faits a identifié sa voisine à Satan lui-même.

Par ailleurs, les experts n’étaient pas en total accord sur la nature exacte des interactions à postuler entre la consommation de cannabis et la survenance de la bouffée délirante : bien que sans antécédents psychiatriques clairement identifiés par les services sanitaires, l’auteur des faits était-il déjà atteint avant les faits d’une fragilité psychotique que la consommation massive de cannabis aurait déverrouillé et ainsi révélé ? Ou bien cette consommation massive de cannabis aurait-elle, à elle seule, généré la crise psychotique aigüe ayant présidé à la commission des faits ? Les méandres de la pensée humaine étant particulièrement difficiles à lire et à décrypter, il est probablement impossible de répondre de manière catégorique et univoque à cette question.

Bref, la psychiatrie est une discipline aussi complexe que l’est l’esprit humain et il est douteux qu’il soit aisé de normer juridiquement la définition et les frontières de distinguos subtils visant à faire efficacement la part entre de bonnes ou de mauvaises maladies mentales ayant obscurci la rationalité de l’auteur d’une infraction pénale, ou des maladies mentales bien ou mal provoquées dans l’esprit de celui qui les subi, ou encore des maladies mentales volontairement ou involontairement subies. Seul un fou pourrait avoir l’idée de déclencher volontairement sa folie, serait-on presque tenté d’affirmer…

Cette complexité du problème fait probablement obstacle à toute tentation d’y apporter une réponse simple. Néanmoins, suite à l’arrêt de la Cour de cassation, le président de la République a énoncé dans la presse une position plaidant clairement pour une évolution des textes en vue d'une pénalisation de ce type de situation. En réponse à cette injonction, le ministre de la justice a fait part, dans un communiqué de presse du 25 avril, du dépôt prochain d’un projet de loi visant à « répondre à la main tendue par la Cour de cassation » et à « tenir compte de la prise volontaire de substances toxiques par un individu conduisant à l’abolition de son discernement ». On n'en sait, à ce stade, pas davantage sur la tonalité de ce projet.

Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
Vous aimerez aussi

Nos engagements