Isolement et contention en psychiatrie : nouvelle abrogation de l'article L. 3222-5-1 par le Conseil constitutionnel

07.06.2021

Droit public

Un an après une première censure de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique relatif à la mise à l'isolement ou en contention en psychiatrie, le Conseil constitutionnel, saisi sur QPC, a abrogé, avec effet retardé au 31 décembre 2021, la nouvelle version de ce texte issu de la LFSS pour 2021 en raison de ce qu'il ne prévoit pas de contrôle judiciaire systématique de légalité des mesures de mise à l'isolement ou en contention en psychiatrie mais seulement une information obligatoire du juge des libertés et de la détention.

La décision était prévisible : le Conseil constitutionnel, tirant les conséquences de sa propre jurisprudence, considère dans une décision du 4 juin 2021 que la nouvelle version de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, relatif aux conditions de mise à l’isolement et en contention en psychiatrie, issue de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 est non conforme à la Constitution.

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Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Cette nouvelle version du texte avait été introduite suite à une première abrogation de l’article L. 3222-5-1 prise en 2020 par le Conseil constitutionnel qui lui avait reproché que la « privation de liberté » que constituent la mise à l’isolement ou en contention ne soient pas assorties, à partir d’une certaine durée, d’une intervention du juge judiciaire (Cons. const., 19 juin 2020, déc. n° 2020-844 QPC). Le gouvernement avait donc proposé au législateur d’adopter dans la loi de financement de la sécurité sociale une nouvelle version de l’article L. 3222-5-1, mais qui transcrivait néanmoins de manière très minimaliste l’exigence d’intervention du juge : le nouvel article L. 3222-5 prévoit que, au-delà de certaines durées (24 h pour la contention et 48 h pour l’isolement), le juge des libertés et de la détention reçoit seulement une « information » obligatoire par le médecin décisionnaire de la mise en isolement ou en contention, la saisine du juge étant laissée à l’appréciation des tiers, du parquet ou même du juge lui-même dans le cadre d’une auto-saisine. Il s’agissait ainsi de ne pas compliquer outre mesure le fonctionnement des établissements psychiatriques mais aussi de ne pas alourdir la charge de travail de l’autorité judiciaire qui a déjà fort à faire avec le contrôle obligatoire des mesures de soins psychiatriques sans consentement en hospitalisation complète.

Une information du juge n’est pas une intervention du juge

Sur le fond, on peut comprendre le souci de ne pas surcharger des institutions qui le sont déjà mais il n’en reste pas moins que cela ne constitue pas un motif suffisant pour mal transposer les exigences exprimées dans la décision du Conseil de 2020. Sur l’initiative de Raphaël Mayet, avocat versaillais bien connu pour son activité en matière de protection des droits des personnes psychiatrisées, le tribunal judiciaire de Versailles puis la Cour de cassation avaient décidé de faire suivre une QPC interrogeant la conformité à la Constitution et notamment à son article 66 des nouvelles règles entourant le recours à la mise à l’isolement ou en contention prévues (Cass. 1re civ., 1er avr. 2021, QPC, n° 21-40.001, 21-40.002, 21-40.003). Dans sa décision du 4 juin 2021, le Conseil constitutionnel, bien logiquement, censure à nouveau sèchement le travail législatif en reprenant, pour bien souligner l’incongruité de la nouvelle version de l’article L. 3222-6-5-1, strictement la même formule que celle qu’il avait employée dans sa décision de juin 2020 : « aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention au-delà d’une certaine durée à l’intervention systématique du juge judiciaire, conformément aux exigences de l’article 66 de la Constitution ».

Cette solution semblait inévitable et l’on ne peut que regretter que le gouvernement et législateur aient fait le choix d’une transposition manifestement imparfaite de la décision du Conseil constitutionnel qui portait très clairement ce risque de nouvelle invalidation. En effet, dans sa première abrogation de l’article L. 3222-5-1 en juin 2020, le Conseil constitutionnel avait fait usage exactement de la même formule que celle qu’il avait employée, en 2010 et 2011, pour abroger la loi de juin 1990 et imposer un contrôle judiciaire systématique des mesures de soins psychiatriques sans consentement en hospitalisation complète (Cons. const., déc., 26 nov. 2010, no 2010-71 QPC ; Cons. const., déc., 9 juin 2011, no 2011-135/140 QPC) : « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ». En somme, à motif égal, conséquence égale : une simple information du juge ne suffit pas, il faut un contrôle judiciaire systématique des mesures d’isolement et de contention, tout comme il fallait un contrôle judiciaire systématique des hospitalisations complètes car les unes comme les autres sont des privations de liberté. C’est d’ailleurs ce que souligne le Conseil dans cette décision de juin 2021 en soulignant que « les mesures d’isolement et de contention qui peuvent être décidées dans le cadre d’une hospitalisation complète sans consentement constituent une privation de liberté. » En somme, La mise à l’isolement ou en contention représente une forme de privation de liberté dans la privation de liberté. Il s’ensuit que, même dans le cadre d’une hospitalisation complète qui constitue déjà en soi une privation de liberté contrôlée par le juge, la mise à l’isolement ou en contention représente une strate supplémentaire de privation de liberté qui s’y surajoute et qui justifie à son tour un contrôle supplémentaire du juge.

Les solutions offertes au législateur

Le Conseil constitutionnel tance donc le gouvernement et le législateur tout en leur renvoyant les cartes. Partant du constat qu’il faut impérativement mettre en place un contrôle par le juge judiciaire, plusieurs options s’ouvrent à eux. La première serait de remplacer poste pour poste « l’information obligatoire » du JLD à 24 ou 48 h par un processus de contrôle juridictionnel complet. Une telle solution satisferait en toute hypothèse aux exigences formulées par le Conseil constitutionnel. Mais, sachant que le gouvernement avait fait le choix d’une transposition minimaliste de la décision du Conseil constitutionnel de juin 2020 pour ne pas alourdir le travail des établissements de santé et des juridictions, on peut se demander s’il ne sera pas tenté d’explorer d’autres voies. L’une d’elles pourrait être de placer ce contrôle systématique du juge plus tard que 24 h pour la contention et 48 h pour l’isolement. Cette voie n’est a priori pas formellement proscrite car le Conseil constitutionnel, dans sa décision de juin 2020, avait certes imposé que le juge contrôle la mesure au-delà d’une « certaine durée », mais sans préciser l’ampleur de cette dernière. En somme, le législateur ne rechercherait plus l’allègement sur la nature de l’intervention du juge mais sur le moment de cette intervention, ce qui permettrait de faire échapper au contrôle du juge un nombre plus important de mesures d’isolement ou de contention.

Dans cette perspective, il serait bon, néanmoins, que le législateur ne se pense pas autorisé à aller trop loin. En effet, dans sa décision de juin 2020, le Conseil avait bien pris soin de préciser que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ». Cette exigence, qui rejoint celle de la jurisprudence de la CEDH soulignant qu’une des principales exigences pour limiter le risque d’arbitraire en matière de soins psychiatriques est une intervention rapide, efficace et pertinente de l’autorité judiciaire (CEDH, 24 oct. 1979, req. 6301/73, Winterwerp c/ Pays-Bas, CEDH, 27 juin 2002, req. 33395/96, L.R c. France ; CEDH, 27 oct. 2005, req. 68673/01, Mathieu c. France ; CEDH, 14 avr. 2011, req. 35079/06, Patoux c. France), rappelle que le délai d’intervention du juge n’est pas extensible à l’envi. Il s’agit qu’il intervienne dans le plus court délai possible, c’est-à-dire dans un délai ménageant un équilibre entre les nécessités, d’une part, de laisser l’autorité investie du pouvoir de mettre en place la mesure privative de liberté de le faire sans perturbation excessive et, d’autre part, celle de prévoir l’intervention du juge aussitôt que la situation juridique de privation de liberté qui exige son contrôle est clairement caractérisée afin qu’elle ne se prolonge pas trop longtemps, le cas échéant, hors de la légalité. Le législateur ne pourra donc pas étendre le délai d’intervention du contrôle judiciaire à son bon plaisir, au risque d’exposer, dans le cas contraire, l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique à une troisième censure de la part du Conseil constitutionnel.

Ainsi, à titre d’indice de ce qu’une contention de 24h paraît déjà une durée bien longue, on soulignera que la CEDH a rendu en 2020 une décision indiquant qu’une contention de 23h qui ne serait pas suffisamment justifiée constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la convention EDH (CEDH, 15 sept. 2020, req. 45439/18, Aggerholm c. Danemark). Il faut rappeler que la contention consiste à sangler un individu sur un lit dont il ne peut se détacher librement ni pour boire, ni pour manger, ni pour accomplir des besoins naturels comme la miction. Sans contester la nécessité médicale d’une telle mesure dans des situations d’agitation voire d’agressivité dont font preuve certains malades, on peut considérer comme logique que l’autorité judiciaire, qui est constitutionnellement la seule à pouvoir priver un individu de sa faculté essentielle de se mouvoir dans l’espace, soit amenée à se prononcer très rapidement sur une atteinte aussi massive à sa condition d’être humain.

Vers une coproduction médico-judiciaire du fonctionnement de la psychiatrie

Tout ceci va donc amener les médecins à travailler en collaboration encore plus étroite avec les juristes, dans un processus qu’il faudra finalement analyser comme une coproduction médico-judiciaire (que Michel Foucault aurait sans doute observée avec beaucoup d’intérêt) de la régulation des comportements en milieu hospitalier et du fonctionnement des établissements de santé. Il y a fort à parier que nombre de psychiatres verront la décision du Conseil constitutionnel comme génératrice d’une nouvelle source de lourdeurs et de complications de nature à entraver toujours davantage un travail devenu déjà bien difficile au plan administratif depuis la loi de réforme de la psychiatrie de 2011. Ceci souligne que cette coexistence renforcée voire cette intrication de la logique juridique et de l’action thérapeutique ne pourra fonctionner qu’à une double condition. Du côté des juristes, il faudra faire un effort d’explication et de pédagogie à l’endroit des soignants pour ne pas leur laisser croire que le magistrat arrive en terrain conquis, sans pour autant que ce dernier renie les exigences propre à sa logique d’action. Du côté du gouvernement, il faut prendre acte de cette décision et renforcer enfin les moyens dévolus au fonctionnement de la psychiatrie (mais pas seulement elle : nombre de mesures de contention se déroulent, en pratique, au sein de services d’urgences non psychiatriques) mais aussi de l’institution judiciaire afin de permettre à l’une comme à l’autre d’absorber le choc.

Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
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