Le Conseil d'Etat fixe à 59 ans l'âge limite au-delà duquel un homme ne peut plus recourir à une assistance médicale à la procréation (AMP).
Par un arrêt du 17 avril 2019, le Conseil d’Etat considère que compte tenu du large consensus existant dans la communauté scientifique et médicale, l'âge de procréer pour un homme au sens et pour l'application de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique peut être fixé, en principe, à 59 ans.
L’arrêt rapporté était attendu et marque l’épilogue d’une affaire ayant donné lieu à des décisions divergentes. En l’espèce, un homme âgé de plus de 60 ans avait fait conserver ses gamètes en vue de prévenir une infertilité due à des anomalies génitales. Il avait ensuite épousé sa compagne, d’origine étrangère (Côte d’Ivoire), celle-ci présentant elle-même, en raison d’une contamination par le VIH, un risque procréatif. Leur projet parental n’ayant pu être réalisé en France au moyen d’une AMP par fécondation
in vitro, le couple s’avisa de se tourner vers l’étranger (Espagne) pour y bénéficier d’une législation moins stricte lui permettant de satisfaire son projet parental. Mais cela supposait une autorisation de l’Agence de la biomédecine (ABM) pour exporter les gamètes conservés vers le pays de destination. Ce fut le point de départ du litige en raison du refus opposé par l’ABM. Dans un premier temps, un jugement du tribunal administratif de Montreuil du 14 février 2017 avait annulé la décision de l’ABM refusant d’autoriser la demande d’exportation : le tribunal ayant reproché à l’ABM d’avoir fondé son refus sur le fait que l’homme dans le couple était d’un âge trop avancé (61 et 63 ans à la date des prélèvements de ses gamètes et 68 ans lors de la demande auprès de l’ABM) alors que la loi ne fixe aucun âge légal de procréer en matière d’AMP. Dans un second temps, un arrêt de la
Cour administrative d’appel de Versailles du 5 mars 2018 avait infirmé le précédent jugement et donné raison à l’ABM de ne pas accéder à une demande d’AMP lorsque l’âge de l’homme est supérieur à 59 ans révolus, en se fondant sur diverses études et recommandations médicales. C’est cet arrêt dont le Conseil d’Etat a eu à connaître.
Mais que de circonvolutions de sa part pour prononcer, d’une part, l’annulation de l’arrêt versaillais (ainsi d’ailleurs que du premier jugement) tout en admettant, d’autre part, au sens et pour l'application de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, qu’un refus d’exportation de gamètes vers l’étranger puisse être justifié par une limite d’âge de procréer pour un homme fixée en principe à 59 ans. Cela tient au fait que le Conseil d’Etat opère une distinction, non envisagée par les juges du fond, entre l’âge biologique et l’âge social de procréer. Mais en l’espèce, la limite de 59 ans était dépassée en toute hypothèse.
Age biologique et âge social de procréer ?
Comme les juges du fond, le Conseil d’Etat souligne que les dispositions de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique font figurer parmi les conditions requises pour bénéficier d’une technique d’AMP celle que la femme et l'homme formant le couple soient en âge de procréer. Eclairées par les travaux préparatoires de la loi de bioéthique du 29 juillet 1994, ces dispositions ont été prises pour des motifs d’intérêt général tenant à l'intérêt de l'enfant à naître, à l'efficacité des techniques mises en œuvre et aux limites dans lesquelles la solidarité nationale doit prendre en charge le traitement médical de l'infertilité.
Mais le Conseil d’Etat ajoute, ce que n’avaient pas mentionné les juges du fond, qu’en ce qui concerne l'homme du couple, la condition relative à l'âge de procréer revêt une dimension à la fois biologique et sociale. Et d’ajouter que pour déterminer l'âge de procréer d'un homme, au sens et pour l'application de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, il y a lieu de se fonder, s'agissant de sa dimension strictement biologique, sur l'âge de l'intéressé à la date du recueil des gamètes et, s'agissant de sa dimension sociale, sur l'âge de celui-ci à la date du projet d'AMP. Or, relevant en l’espèce que les juges du fond s’étaient fondés, pour apprécier du point de vue biologique la limite d'âge de procréer, sur l'âge auquel le requérant avait sollicité l'autorisation de transfert de ses gamètes et non sur celui qu'il avait à la date à laquelle il avait été procédé à leur recueil, le Conseil d’Etat juge leur décision entachée d’une erreur de droit. Il annule en conséquence tant l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles que le jugement du tribunal administratif de Montreuil.
La censure sur un tel motif peut sembler sévère. La lecture de la loi que livre le Conseil d’Etat inviterait donc à une distinction entre l’âge biologique et l’âge social de procréer ? Dans cette optique, évidemment, l’âge biologique de procréer devait s’apprécier lors du recueil des gamètes et non lors de la demande de leur transfert vers l’étranger. Mais l’on risque fort en pratique de confiner à la casuistique si l’on considère, ainsi que l’envisage le Conseil d’Etat, qu’il faut aussi considérer l’âge social de procréer. Quand faudra-t-il se placer pour apprécier cet âge ? Au même moment que pour l’âge biologique ? Pour le Conseil d’Etat, la négative s’impose puisqu’il énonce lui-même que l’âge social s’apprécie à la date du projet d’AMP et non à celle du recueil des gamètes. En pratique, la date du projet d’AMP risque cependant d’être délicate à situer. Du reste, ce n’est pas cette notion de projet d’AMP que la loi retient pour justifier le recours à une AMP, quelle que soit la technique envisagée, mais celle de « projet parental » parce que la réalisation d’un projet parental est l’objectif même de l’AMP. On observe d’ailleurs, en l’espèce, que la Cour administrative d’appel de Versailles avait pris la peine d’examiner cet élément du dossier pour conclure que le projet parental du couple par AMP (FIV en l’occurrence) était récent et n’était apparu qu’après le mariage, soit plus de 4 ans après le dernier recueil des gamètes de l’homme. Mais le Conseil d’Etat ne s’est guère attardé sur cet aspect du dossier. Quoi qu’il en soit, que décidera-t-on dans ce genre d’affaire si lors du dépôt des gamètes, l’âge biologique est correct mais ne l’est plus lors de la demande de mise en œuvre de l’AMP pour réaliser le projet parental du couple ? Dans l’affaire rapportée, le conseil d’Etat s’en tire bien car quelle que soit la date d’appréciation envisagée, l’âge de l’homme était de toute façon excessif.
Un âge de procréer fixé en principe à 59 ans pour un homme
Bien qu’ayant annulé pour erreur de droit la décision des juges du fond, le Conseil d’Etat décide de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
En l’occurrence, il approuve l’ABM d’avoir, en s’appuyant sur diverses études et recommandations médicales, et alors même que le vieillissement n'entraîne pas systématiquement chez l'homme un arrêt du fonctionnement gonadique, fixé en principe à 59 ans révolus l'âge de procréer au sens et pour l'application de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique. Constatant que le requérant était âgé de 61 et 63 ans à la date des prélèvements de ses gamètes, et en l'absence de circonstances particulières, il estime en conséquence que l’ABM était fondée à soutenir que sa décision de refus d’exportation des gamètes avait été annulée à tort par le tribunal administratif de Montreuil.
Répondant aux autres moyens du pourvoi, le Conseil d’Etat considère par ailleurs que le refus d'exportation de gamètes ainsi motivé ne pouvait être regardé, eu égard aux finalités d'intérêt général que les dispositions de l’article L. 2141-2 poursuivent et en l'absence de circonstances particulières propres au cas d'espèce, comme constituant une ingérence excessive dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme ni comme une discrimination au sens de l’article 14 de cette convention entre les hommes âgés de 59 ans dès lors que ceux-ci sont placés dans une situation différente selon qu'ils procréent naturellement ou ont recours à une AMP.
En somme, l’ABM avait eu raison en l’espèce de refuser d’autoriser l’exportation des gamètes car l’intéressé avait plus de 59 ans lors du recueil de ses gamètes. Elle n’avait cependant pas bien situé dans le temps l’appréciation de ce critère d’âge qu’elle était pourtant fondée à retenir. Mais une question demeure : que décidera-t-on dans une affaire analogue si l’intéressé a moins de 59 ans lors du recueil de ses gamètes et plus de 59 ans lors d’une demande de transfert de ses gamètes vers l’étranger ? Et quelles seront ces circonstances particulières auxquelles se réfère le Conseil d’Etat pour justifier une dérogation ? De la casuistique en perspective, c’est sûr.
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies