L'exclusion des concubins homosexuels du regroupement familial est discriminatoire

18.08.2016

Droit public

Faute de justification objective et raisonnable, la Cour européenne des droits de l'homme condamne l'Italie pour violation de l'article 14 combiné à l'article 8 de la Convention en raison du refus de délivrer un titre de séjour au concubin étranger d'un Italien.

Par un arrêt du 30 juin 2016, la Cour européenne des droits de l’homme juge que l’impossibilité, pour le concubin étranger d’un ressortissant italien, d’obtenir un titre de séjour pour raison familiale constitue une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle qui n’a aucune justification objective et raisonnable, en violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Existence d’une ingérence dans le droit à la vie familiale
Tout d’abord, selon la Cour, la décision des autorités italiennes de refuser un titre de séjour pour raison familiale au ressortissant d’un État tiers, concubin d’un ressortissant italien, impliquant pour le premier l’obligation légale de quitter de l’Italie, constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale. Cette circonstance a empêché les intéressés de vivre ensemble et a ainsi « constitué une ingérence dans l’un des éléments essentiels de leur « vie familiale » telle qu’ils avaient souhaité l’organiser et donc dans leur droit au respect de celle-ci tel que garanti par l’article 8 de la Convention ».
 
Cette analyse s’inscrit dans une jurisprudence maintenant bien établie de la Cour selon laquelle la relation d’un « couple homosexuel cohabitant de facto de manière stable, relève de la notion de « vie familiale » au même titre que celle d’un couple hétérosexuel se trouvant dans la même situation » et doit bénéficier de la protection garantie par l’article 8 de la Convention (CEDH, 24 juin 2010, aff. 30141, Schalk et Kopf c/ Autriche ; CEDH, grande ch., 19 févr. 2013, aff. 19010/07, X et autres c/ Autriche).
Une ingérence constitutive d’une discrimination non justifiée
Pour la Cour, le fait de traiter la situation des concubins homosexuels de façon analogue à un couple hétérosexuel constitue une discrimination indirecte dans la mesure où les seconds peuvent bénéficier d’une protection de leur familiale en modifiant leur situation juridique au regard de l’état civil alors que cette possibilité est exclue pour les premiers.
Un traitement analogue pour des situations différentes
Pour appréhender la question de la discrimination, selon la jurisprudence de la Cour, une question ne peut se poser au regard de l’article 14 que lorsqu’il existe une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations comparables ou lorsque les États n’appliquent pas un traitement différent à des personnes dont les situations sont sensiblement différentes.
 
En Italie, le droit en vigueur n’ouvrait la possibilité du regroupement familial qu’au « membre de la famille », lequel ne pouvait être que l’époux d’un ressortissant italien.
 
Alors que la Cour de cassation italienne avait écarté le grief du caractère discriminatoire au motif que l’exclusion du regroupement familial des concubins concernait également les couples hétérosexuels, faisant ainsi prévaloir l’apparence d’une situation identique sur la différence résultant de l’orientation sexuelle des concubins, la Cour de Strasbourg, au terme d’une analyse plus fine, juge pour sa part qu’une mesure qui a des effets préjudiciables sur un groupe de personnes peut être considérée comme discriminatoire « même si elle ne vise pas spécifiquement ce groupe et s’il n’y a pas d’intention discriminatoire » (CEDH, 13 nov. 2007, aff. 57325/00, D.H. et autres c. République tchèque).
 
Ainsi, selon la Cour, la situation des requérants ne saurait être considérée comme analogue à celle d’un couple hétérosexuel non marié car, à la différence de ce dernier, les intéressés n’avaient pas la possibilité de se marier et ne pouvaient donc pas bénéficier de la qualité d’« époux » selon le droit national. « Dès lors, une interprétation restrictive de la notion de « membre de la famille » ne constitu [ait] un obstacle insurmontable à l’octroi du permis de séjour pour raison familiale que pour les couples homosexuels. »
Absence de justification objective et raisonnable
La Cour rappelle ensuite qu’une discrimination ne peut être admise que si elle repose sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle poursuit un but légitime. De plus, l’interdiction de discrimination consacrée par l’article 14 de la Convention n’a de sens que si, dans chaque cas particulier, la situation personnelle du requérant par rapport aux critères énumérés dans cette disposition est prise en compte telle quelle.
 
Tenant compte de l’émergence d’un consensus européen selon lequel, en matière d’immigration, les unions entre personnes de même sexe tendent à être vues comme une « vie familiale », la Cour, sans surprise, a estimé que la question de la protection de la famille traditionnelle « ne saurait constituer une raison « particulièrement solide et convaincante » de nature à justifier, dans les circonstances de l’espèce, une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ». De plus, l’interprétation restrictive de la législation en vigueur par les autorités nationales n’a pas dûment tenu compte de la situation personnelle des requérants et notamment de l’impossibilité pour eux d’obtenir un mode de reconnaissance juridique de leur relation.
 
Ainsi, les autorités ont enfreint les droits des requérants de ne pas subir de discrimination fondée sur leur orientation sexuelle dans la jouissance de leurs droits, en violation de l’article 14 de la Convention combiné à l’article 8.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Estelle Faury, Juriste au Défenseur des droits
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