Covid-19 et IVG médicamenteuse : les conditions de mise en oeuvre assouplies

21.04.2020

Droit public

Pendant la pandémie de Covid-19, les conditions de mise en oeuvre des IVG médicamenteuses sont assouplies : le délai de réalisation de ces IVG hors milieu hospitalier est étendu et la première prise des médicaments nécessaires à l'IVG peut être effectuée dans le cadre d'une téléconsultation.

La France est entrée, le 14 mars 2020, en stade 3 de l’épidémie de Covid-19. Plusieurs associations s’inquiètent alors que, du fait de cette crise sanitaire majeure, certains établissements hospitaliers et centres de planification n’assurent plus leur mission en matière d’interruption volontaire de grossesse (IVG), et que ces difficultés nouvelles entraînent des délais d’attente tels que certaines femmes se trouvent hors délai pour avorter.
Le 31 mars 2020, plus d’une centaine de professionnels de l’IVG appellent, dans une tribune au « Monde », soutenue par des personnalités du monde politique et de la culture, à « protéger les droits des femmes et maintenir l’accès aux avortements ». Ils exigent ainsi des mesures d’urgence :
– autorisation des avortements par voie médicamenteuse au domicile jusqu’à 7 semaines de grossesse ;
– pour limiter les déplacements des femmes, suppression du délai de 48 heures imposé aux mineures entre leur première consultation et le consentement écrit à l’IVG afin que l’IVG puisse être pratiquée lors de cette consultation ;
– allongement du délai légal de 12 à 14 semaines pour les femmes qui seraient hors délai du fait des difficultés liés à la situation sanitaire. 
Dans une lettre du 7 avril 2020, le ministre des solidarités et de la santé saisit la HAS en vue d’élaborer rapidement des recommandations pour la réalisation d’IVG médicamenteuses hors établissements de santé à la 6ème et 7ème semaine de grossesse. Il demande également d’analyser la prise en charge de la douleur lors de la réalisation de ces IVG, dans un contexte où les pratiques de la prescription des anti-inflammatoires peuvent être modifiées.
Arguant qu’« il est en effet apparu impératif dans la situation épidémique actuelle de garantir une réponse aux demandes d’IVG, dans des conditions ne conduisant pas à dépasser les délais légaux d’IVG, tout en limitant les expositions des patientes et des professionnels au Covid-19, et en ménageant les ressources des établissements de santé », la HAS élabore un protocole en ce sens le 9 avril.
Un arrêté du 14 avril 2020 valide ce protocole en assouplissant temporairement les conditions de l’IVG médicamenteuse.
Allongement du délai légal
L’assouplissement le plus important concerne la condition relative au délai propre à cette forme d’interruption de grossesse. Alors que l’article R. 2212-10 du code de la santé publique prévoit que l’IVG médicamenteuse hors établissement de santé ne peut être pratiquée que jusqu’à la fin de la 5ème semaine de grossesse, l’article 10-4, I de l’arrêté autorise sa mise en œuvre jusqu’à la fin de la 7ème semaine. Un allongement supplémentaire n’était guère envisageable dans la mesure où la HAS déconseille cette forme d’IVG au-delà de 7 semaines de grossesse.
Conditions de mise en œuvre de l’IVG médicamenteuse
Les autres assouplissements concernent les conditions de mise en œuvre de cette IVG. L’objectif de ces mesures est de permettre à la femme d’obtenir et de s’administrer à domicile le médicament nécessaire à l’interruption de sa grossesse dans le cadre d’une téléconsultation.
Approvisionnement du médicament nécessaire à l’IVG
Il s’agit de pouvoir déroger temporairement à un certain nombre de règles assurant un suivi très strict de la femme concernée, notamment quant à l’approvisionnement et à l’administration de ce type de médicament placés sous la seule responsabilité des médecins et des sages-femmes, dont on rappelle qu’elles peuvent, depuis la loi du 26 janvier 2016, pratiquer ces formes d’IVG aux cotés des médecins (C. santé publ., art. L. 2212-2, al. 1er).
Seuls les médecins, les sages-femmes, les centres de planification ou d’éducation familiale et les centres de santé ayant conclu une convention, prévue à l’article R. 2212-9 du code de la santé publique, peuvent s’approvisionner en médicaments nécessaires à la réalisation d’une IVG par voie médicamenteuse. Les médicaments sont administrés par un médecin ou une sage-femme dans les conditions prévues aux articles R. 2212-9 à R. 2212-19 du code de la santé publique.
L’arrêté s’appuie certes toujours sur ces deux professionnels de santé à travers notamment la télémédecine pour mettre en place cette nouvelle procédure, mais un autre professionnel de santé, le pharmacien d’officine, est exceptionnellement et de façon centrale mis à contribution pour assurer la délivrance du médicament à la femme enceinte.
Délivrance du médicament nécessaire à l’IVG
La femme peut se faire prescrire le médicament nécessaire à son interruption de grossesse par un médecin ou une sage-femme. Mais la prescription ne lui est pas directement remise : c’est la sage-femme ou le médecin prescripteur qui « transmet une copie de cette prescription » à la pharmacie d’officine désignée par la femme. Cette transmission se fait « en recourant à des outils numériques respectant la politique générale de sécurité des systèmes d’information en santé et la réglementation relative à l’hébergement des données de santé ou à tout autre outil numérique ». Cette alternative, prévue pour faciliter la transmission de la prescription, signifie que celle-ci peut être transmise en dehors des outils prévus pour préserver les données de santé dans le cadre du parcours de soins, par un simple mail par exemple, ce qui n’est pas sans susciter certains questionnements d’ordre éthique.
Par dérogation, ces spécialités pharmaceutiques « peuvent être délivrées directement à la femme concernée par la pharmacie d’officine préalablement désignée par cette dernière ». Des règles viennent cependant encadrer cette délivrance directe à la femme :
– un conditionnement adapté à une prise individuelle ;
– l’apposition du timbre de la pharmacie d’officine ;
– la date de la délivrance ;
– les numéros d’enregistrement ;
– la mention de la « délivrance exceptionnelle ».
Afin d’assurer un suivi de la femme, le pharmacien doit également informer le prescripteur de la délivrance des médicaments. Cette délivrance s’effectue dans le respect des principes d’anonymat et de gratuité attachés à l’IVG.
Administration du médicament encadrée par téléconsultation
Une fois la femme en possession du médicament délivré par le pharmacien, l’administration du médicament n’est plus le fait d’un médecin ou d’une sage-femme mais, comme tout autre médicament délivré en pharmacie, du patient lui-même. Cependant, cette administration ne peut se faire que dans le cadre d’une téléconsultation afin de préserver une surveillance médicale. L’article 10-3, I de l’arrêté prévoit que « par dérogation au second alinéa de l’article R. 2212-17, la première prise de médicaments (…) peut être effectuée dans le cadre d’une téléconsultation avec le médecin ou la sage-femme ».
La mesure dérogatoire à l’administration par un médecin ou une sage-femme du médicament est ainsi celle d’une administration numériquement accompagnée par ces professionnels.
Outre le fait qu’il est impossible d’exiger de la femme qu’elle recourt à cette téléconsultation, on peut s’interroger sur la qualité d’une telle surveillance numérique quand on sait que les risques de complication augmentent avec la durée de la grossesse et que cette forme d’IVG était déjà critiquée pour l’isolement de la femme. N’aurait-il pas mieux valu prévoir aussi une adaptation de l’autre forme d’IVG qu’est l’IVG chirurgicale afin de laisser à la femme le choix effectif de la méthode comme prévu par l’article L. 2212-2 du code de la santé publique ?

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Sophie Paricard, professeur de droit privé à l'Institut National Universitaire d'Albi, Institut de droit privé EA 1920 Université Toulouse 1-Capitole
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