L'« arme atomique » du retrait de délégation

05.02.2020

Droit public

Peut-on provoquer la disparition d'une fédération pour changer son équipe dirigeante ?

L’émotion générale qui a suivi la publication d’un livre portant des accusations de viol sur une mineure de quinze ans à l’encontre de son ancien coach sportif par une patineuse artistique multimédaillée et la publicité donnée soudain au fait que de tels actes n’étaient pas exceptionnels dans cette fédération,  ont conduit la ministre des sports à rencontrer le président de la fédération concernée auquel elle a demandé de présenter sa démission, estimant qu’un « dysfonctionnement général » existait au sein de celle-ci et que son président, selon elle, «  ne peut se dédouaner de sa responsabilité morale et personnelle ».
Le président en question ayant répondu par la négative à cette pressante et publique sollicitation, la ministre affirme avoir engagé la procédure conduisant à ce qu’elle a décrit comme « l’arme atomique » : le retrait de la délégation à la fédération.
Les textes applicables
L’article L. 131-14  du code du sport dispose simplement que « Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'attribution et de retrait de la délégation, après avis du Comité national olympique et sportif français ». L’article  R. 131-31 fixe les cas dans lesquels la délégation peut être retirée par le ministre chargé des sports, après avis du Comité national olympique et sportif français (ou éventuellement du Comité paralympique et sportif français) :
- la fédération sportive concernée ne justifie plus du respect des conditions mentionnées aux articles R. 131-26 et R. 131-27, c’est-à-dire de la conformité des règlements relatifs à la ligue professionnelle et le règlement intérieur sur le calendrier et la surveillance médicale ;
- non-respect des dispositions de l’article  L. 333-6 du code du sport organisant les conditions de l’accès des moyens d’information aux manifestations sportives ;
- atteinte à l’ordre public ou à la moralité publique ou un motif d’intérêt général qui s’attache à la promotion et au développement des activités physiques et sportives ;
- pour « un motif justifié par l'intérêt général qui s'attache à la promotion et au développement des activités physiques et sportives », ce qui ne parait pas être précisément en cause ici.
Remarque : compte tenu des faits relatés, on n’aura aucune difficulté à admettre que le troisième cas, celui d’une atteinte à l’ordre public ou à la moralité publique, correspondrait à la situation s'il apparaissait bien établi que des actes criminels ou au moins délictueux ont pu, sur une longue période, se dérouler dans un silence général plus ou moins complice et l’indifférence de la direction. Si les faits sont établis, il ne semble pas y avoir d’obstacle à la mise en œuvre d’un retrait de délégation.
 
Le texte prévoit le respect d’une procédure contradictoire : la fédération bénéficiaire de la délégation est préalablement informée des motifs susceptibles de fonder le retrait et mise à même de présenter des observations écrites ou orales.
Selon la presse générale, la fédération se serait vue accorder  quinze jours pour répondre au ministère, dont la décision ne devrait ensuite pas tarder,  le Comité national olympique et sportif français devant toutefois être consulté pour avis.
Ce  dernier, dans l’hypothèse d’un  retrait de délégation, est amené alors à prendre l’initiative d’une solution provisoire, prévue à l’article L. 131-19 du code du sport  : « Lorsque, dans une discipline sportive, aucune fédération sportive n'a reçu de délégation, les compétences attribuées aux fédérations délégataires par la présente section et par les articles L. 222-7, L. 222-11, L. 222-15, L. 222-16, L. 222-18, L. 222-19, L. 311-2 et L. 331-4 à L. 331-7 peuvent être exercées, pour une période déterminée et avec l'autorisation du ministre chargé des sports, par une commission spécialisée mise en place par le Comité national olympique et sportif français ».
Celui-ci, dans un communiqué publié le mardi 4 février, s’est borné à indiquer qu' « en ce qui concerne la demande de retrait de la délégation à ladite fédération, le CNOSF prendra toutes ses responsabilités conformément aux dispositions prévues dans le code du sport ».
Remarque : il faut noter que le retrait de l’agrément entraînant automatiquement celui de la délégation, c’est plutôt à cette solution que l’administration a eu recours, dans le passé.
 
Les précédents
Il existe deux types de précédents dont l’un est topique et pas l’autre, sans qu’il soit nécessaire de distinguer entre retrait de l’agrément et de la délégation, les deux relevant de la même logique, même si les textes dont différents.
 
Disparition de la personne morale
Dans un premier cas, c’est la fédération elle-même qui est en déshérence, principalement financière. La personne morale a vocation à disparaître, puisqu'une prochaine mise en liquidation est prévue ou que son intégration dans une autre fédération est souhaitée.
La Fédération française d'haltérophilie, musculation et disciplines associées a ainsi fait l’objet d’un arrêté du 15 avril 1998 portant retrait de l'agrément qui relevait « que la fédération a fait l'objet de nombreuses mises en demeure pour factures impayées ; que le Comité national olympique et sportif français a été assigné en qualité de caution pour le non-remboursement de dettes contractées par la fédération ; qu'elle n'a pas honoré en temps utiles le versement de ses affiliations pour les années 1997 et 1998 auprès de la fédération internationale, ce qui a porté atteinte à l'image de l'haltérophilie française à l'étranger et a discrédité la France dans les relations sportives internationales ; que la fédération ne dispose plus des moyens financiers nécessaires à son fonctionnement normal ; qu'une procédure collective de redressement judiciaire a dû être engagée ; qu'un administrateur a été nommé à cet effet et qu'aucun plan de redressement n'a été trouvé ; que, par suite de sa situation financière, la fédération n'est plus en état d'offrir à ses licenciés les structures administratives et l'encadrement technique minimum ; que, notamment, le siège fédéral n'a plus qu'une existence juridique ; que cette situation a entraîné le licenciement d'un entraîneur national, celui d'une secrétaire et le départ du directeur technique national ; que, par conséquent, la fédération n'est plus en mesure de mettre en oeuvre ni politique sportive de haut niveau ni une politique de développement de la pratique de l'haltérophilie dont l'organisation et la promotion constituent des éléments déterminants de la participation à la mission de service public d'une fédération agréée ». La liquidation de la personne morale n’a en effet pas tardé.
Un autre retrait d’agrément est intervenu par un arrêté du 1er août 2014 portant retrait de l'agrément accordé à la Fédération française de muaythaï et disciplines associées (Fédération de muaythaï et disciplines associées) qui se fondait sur  la méconnaissance des règles d'hygiène et de sécurité ayant, selon la décision, « mis en jeu la santé mentale et physique des pratiquants de la discipline ».
Enfin un arrêté du 18 juillet 2014 a retiré la délégation accordée à la Fédération française de wushu, arts énergétiques et martiaux chinois deux ans plus tôt sans explication sur les motifs de ce retrait.
Dans ces deux derniers  cas,  il s’agissait de fédérations de faible envergure et de peu de poids qui étaient sacrifiées dans le jeu des recombinaisons pour produire -enfin- une fédération fiable dans le domaine des boxes pieds-poings. On est aujourd’hui dans une situation qui n’a rien de commun, le périmètre fédéral étant stabilisé depuis le départ du hockey qui a créé sa propre fédération.
 
Changement de président
Un cas tout autre concerne celui où ce qui était recherché n’était pas à la disparition de la personne morale mais le changement de président, pour des raisons nettement moins avouables que dans le cas présent. Un arrêté du 3 août 2005 a constaté la perte, par la Fédération française d'équitation, de la délégation en se fondant sur une décision de la veille abrogeant l'arrêté du 1er février 2005 portant agrément de cette fédération.
Une commission spécialisée de l’équitation fut  mise en place au sein du CNOSF mais ne put ou ne voulut jamais, en fait, se substituer véritablement à la fédération et agissait plutôt comme une simple instance de validation des décisions fédérales, voire comme une boite aux lettres. Elle avait ainsi décidé le 13 octobre 2005, « pour des raisons logistiques », de confier par voie de convention la délivrance de ses licences à la fédération d’équitation,  « les personnes souhaitant obtenir une licence pour la pratique de l’équitation, qu’il s’agisse de la licence « pratiquant » ou de la licence « compétition », devant directement s’adresser à la fédération d’équitation qui subsistait sans problème et sans subvention. Si cette crise était théoriquement causée par la non-conformité de certains textes , statuts, règlement disciplinaire ou règlement antidopage, cela varia au fil des explications et le Conseil d'Etat évita prudemment de se prononcer sur le sujet, l’enjeu véritable étant la succession du président en place. Or celui-ci, malgré la saisine du juge judiciaire infructueuse par le ministre, convoqua une nouvelle assemblée générale qui le réélut massivement. Le ministre finit donc par rendre agrément et délégation.
 
Il est clair que la méthode qui consiste à retirer -ou menacer de le faire- la délégation d’une fédération pour la faire changer de dirigeants consiste un peu à menacer de tuer le malade pour qu’il prenne sa potion, ce qui n’est pas la politique la plus assurée de réussir. Il y a deux ans, dans un rapport intitulé « Mission relative au modèle sportif français : état des lieux des relations entre l’Etat et le mouvement sportif », deux inspecteurs généraux notaient, dans un paragraphe intitulé « le ministre ne peut agir directement contre les administrateurs ou les fédérations sportives »,  que « Le  ministre  chargé  des  sports  ne  dispose d’aucun pouvoir lui permettant, à la différence du préfet à l’égard du maire d’une commune par exemple, de suspendre ou de révoquer un président de fédération. Le ministre ne peut pas non plus, contrairement à ce qui concerne les assemblées délibérantes locales, déclarer les membres des organes  dirigeants des fédérations démissionnaires d’office. Le ministre ne peut pas non plus dissoudre une fédération. Comparativement aux élections locales, la convocation des élections fédérales relève de la seule  fédération concernée qui n’a même pas l’obligation de procéder à une publication particulière ou une information d’office du ministre chargé des sports ». On ne sait s’il faut partager ce qui semble avoir été leur regret que ce soit  l’état du droit, mais il est sûr que l’on ne peut que partager leur constat.
 

 

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Dominique Rémy, Conseiller scientifique Dictionnaire permanent Droit du sport
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