Dans sa chronique, Emilie Letocart-Calame, directrice juridique et responsable des opérations de Legalcluster, administratrice de l’AFJE, revient sur les difficultés budgétaires des directions juridiques. Mais pour faire valoir leurs besoins, il existerait des solutions, tant dans la posture à incarner par les juristes que dans les outils technologiques à acquérir.
Trente-quatre… C’est le pourcentage de directeurs et directrices juridiques ne faisant partie ni du comité de direction ni du comex de leur entreprise, selon la cartographie des directions juridiques 2018 de l’AFJE et du Cercle Montesquieu. A l’inverse, au sein des comités de direction resserrés, les directeurs financiers sont eux, toujours représentés. Pourtant, dans l’univers juridique anglo-saxon les general counsel (GC) sont habituellement très proches des cercles de pouvoirs de l’entreprise, et conseils stratégiques des CEO. En France, encore 20 % des directeurs ou directrices juridiques sont rattachés non pas au PDG mais au directeur administratif et financier, symbole d’une fonction juridique subalterne qui ne saurait exister par elle-même.
Régulièrement étiquetée « fonction support » ou même « centre de coût », la direction juridique peine à faire entendre sa voix et démontrer sa plus-value face aux « fonctions business » dont on ne doute pas qu’elles soient, elles, créatrices de valeur.
Et pourtant, les directions juridiques sécurisent les relations contractuelles, préviennent les litiges en adaptant avec réactivité leurs pratiques internes, s’acharnent à diffuser la culture juridique au sein de leur entreprise afin de sensibiliser les commerciaux aux risques et encourager les bonnes pratiques. Elles gèrent les contentieux lorsqu’ils existent, transigent lorsqu’il est nécessaire, ou les éteignent lorsqu’il ne s’agit encore que de précontentieux. Elles recouvrent les créances de débiteurs de mauvaise foi après des procédures longues et ardues, et renégocient régulièrement auprès des avocats leurs honoraires afin de rester toujours plus en maîtrise de leurs budgets.
Malgré un champ de compétences toujours plus vaste - puisque 70 % des directeurs et directrices juridiques ont un périmètre géographique international sous leur responsabilité - les moyens alloués aux directions juridiques restent constants depuis des années. Ainsi, les dépenses juridiques totales rapportées au CA de l’entreprise sont actuellement de 0,17 % (!)… soit autant qu’en 2013 ! Cela fait relativiser l’investissement réalisé au sein de ce département, une fois rapporté à sa production effective et aux coûts évités.
Dans un contexte économique toujours difficile, les directions juridiques voient leur budget toujours plus restreint, l’heure étant à l’internalisation des dépenses juridiques : il est désormais de 62 % contre 38 % de budget externalisé, versus 60/40 en 2013. En rapportant l’effectif des juristes au CA, tous secteurs confondus, nous sommes passés de 7 juristes par milliard d’euros de CA en 2013 à 7,9 en 2015, et seulement 9,4 juristes par milliard d’euros de CA en 2017 tandis que les directions juridiques ont désormais à mettre en œuvre toujours plus de politiques de conformité/éthique (loi Sapin II, loi Vigilance, RSE) ou de règlementation spécifique (RGPD). La direction juridique n’est plus uniquement juridique, elle encadre désormais régulièrement un compliance officer, ainsi qu’un data protection officer, certains cumulant plusieurs fonctions au sein des équipes réduites.
Ces chiffres sont éloquents et amènent une légitime question : et si la direction juridique était encore trop peu considérée car elle n’avait pas les moyens de mettre en lumière – et surtout en chiffres – sa contribution propre à l’économie de l’entreprise ?
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Il ne suffit désormais plus d’obtenir des résultats : encore faut-il savoir et pouvoir communiquer à leur sujet. De « gardien des intérêts de l’entreprise » à « business partner », le directeur ou la directrice juridique doit désormais avoir deux nouvelles cordes à son arc : être un bon gestionnaire (d’équipes et de dossiers) mais également un excellent communiquant à ce sujet. Cela contribuera ainsi à projeter une image positive de la direction juridique et par là même à diffuser la culture juridique au sein de l’entreprise en tant que bonne pratique. Alors que certaines équipes commerciales font encore leurs meilleurs efforts pour éviter de solliciter leurs juristes internes, parfois injustement perçus comme entravant le bon développement commercial de l’entreprise.
Entendre que la direction juridique n’est pas créatrice de valeur financière est parfaitement inexact, et par ailleurs injuste. Elle œuvre dans l’ombre à la sécurisation des meilleurs intérêts de l’entreprise et au développement de son business. Sa contribution est ingrate, elle est peu visible car il s’agit d’économies générées, de coûts évités, ou de recouvrement de créances oubliées. Sa rentabilité est propre, mais cachée. Souvent, elle ne dispose surtout pas d’outils de reporting lui permettant d’afficher instantanément et en un clin d’œil ses résultats trimestriels ou annuels. Lorsqu’on sait par ailleurs qu’un tiers des directions Juridiques ne sont pas présentes aux comex ou aux codir, comment défendre ses résultats et valoriser le travail de ses équipes ?
Comment justifier auprès du comex des éléments chiffrés et précis à première demande tels que :
- le nombre de litiges en cours,
- le nombre de contentieux remportés,
- les montants de condamnation évités,
- le montant global des créances recouvrées,
- le nombre de contrats négociés,
- le nombre de formations dispensées en interne,
- le nombre total de dossiers traités par chaque juriste,
le tout sur une période donnée, un domaine juridique précis ou une business unit identifiée ?
De même, lorsqu’un contentieux financièrement significatif est perdu, le board souhaitera connaître dans l’heure les dossiers en cours présentant le même segment de risque afin d’effectuer un risk assessment global et prendre des décisions informées. Comment les répertorier en un clin d’œil, que ce soit par typologie de risque, par montant des demandes, par montant provisionnés ou par dates d’échéances ?
Sans outil informatique fiable et robuste, la direction juridique sera toujours démunie et réduite à une compilation lourde, fastidieuse, manuelle et chronophage de son activité. Sans compter que les résultats présentés seront uniquement valables à « l’instant T » et que la visualisation évolutive de l’activité sera rendue quasi impossible. Les directions juridiques pâtissent d’autant plus de cette absence d’équipement que les autres directions de l’entreprise - RH, DSI, DAF ou Business notamment - disposent eux d’outils spécifiques ou ERP permettant d’afficher de façon rapide et concise leurs éléments chiffrés.
C’est finalement l’accès à ce genre d’éléments précis, concrets et empiriques qui permettront à la direction juridique de faire valoir et reconnaître le travail discret mais néanmoins capital qu’elle réalise au quotidien au service de l’entreprise, afin que celle-ci ne soit plus la grande oubliée de l’entreprise, et puisse enfin faire valoir sa place à la table des comités de direction et autres comex.
Encore faut-il mettre à sa disposition un budget nécessaire à la mise en place d’un outil informatique fiable et sécurisé lui assurant la possibilité de piloter son département avec le plus de précision possible, mais également communiquer efficacement sur ses missions et réalisations. Le paradoxe du développement interne d’une telle solution est qu’elle grèverait d’autant sa productivité, la détournant de son activité principale afin de pouvoir s’en prévaloir.
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