La place du droit dans le suivi gynécologique et obstétrical

15.03.2024

Droit public

Un rapport de recherche sur "Les violences gynécologiques et obstétricales saisies par le droit", soutenu par l'Institut des Études et de la Recherche sur le Droit et la Justice, est paru.

Avec l’intégration de l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, c’est sous le signe de la promotion des droits reproductifs des femmes que s’est déroulée, le 8 mars 2024, la journée de la femme. Au-delà de la reconnaissance juridique de ces droits, l’importance de leur effectivité pratique a pu être rappelée et, plus généralement, la bonne prise en charge de la santé des femmes. Or, à cet égard, de nombreuses critiques ont pu être formulées ces dernières années. En particulier, l’année 2018 a été marquée par la dénonciation, parfois virulente, de pratiques qualifiées de « violences gynécologiques et obstétricales ». Ce mouvement de dénonciation peut être regardé en France comme le fruit d’une rencontre. Celle des luttes féministes, notamment en matière de droits reproductifs, et de la dénonciation, beaucoup plus générale, du paternalisme médical. Contrairement à ce qui a pu se constater dans d’autres pays, le mouvement féministe en France a reçu le soutien d’une partie du corps médical dans sa lutte pour la reconnaissance du droit à la contraception ou la légalisation de l’avortement. Aussi, « contrairement aux féministes américaines qui ont dû produire une contre-expertise face au savoir médical, les féministes françaises ont eu les experts pour alliés. La question de l’accès à l’information et, plus largement, celle du droit à une prise de décision autonome au sein de la consultation médicale ne se sont donc pas posées de la même manière en France et aux Etats-Unis ». Il aura fallu la loi Kouchner du 4 mars 2002 et la reconnaissance juridique d’un rééquilibrage du pouvoir décisionnel entre professionnels de santé et patients pour « que les féministes françaises se saisissent du consentement, pour développer une lecture politique de la santé des femmes et déconstruire le discours médical sur la sexualité adressé aux femmes. L’émergence d’une telle lecture se fait alors en dehors des mouvements organisés, et se caractérise par l’indécision entre une critique féministe de la gynécologie et une analyse plus générale de l’asymétrie de pouvoir dans la relation médicale. Les femmes qui portent cette lecture remettent en cause à la fois les pratiques médicales, à partir de la notion de consentement, longuement pensée par les théoriciennes et les militantes féministes autour de la définition de la sexualité – et notamment autour du viol –, et les discours médicaux sur la sexualité des femmes, et ce en mettant au centre de leur analyse l’expérience vécue des femmes ». Comme pour les revendications en lien avec la contraception et l’IVG, les revendications montantes des femmes quant au respect de leur autonomie dans le cadre de leur suivi gynécologique et obstétrical a reçu le soutien de certains professionnels de santé et ce, dès les années 1970. Ainsi, on retrouve à la fin des années 1990 de vives attaques formulées par des professionnels à l’encontre de la surmédicalisation et de l’infantilisation des femmes dans le cadre de leur accouchement à l’instar, par exemple, du docteur Patrick Bensoussan. Enfin, il est important de rappeler que de grandes affaires médiatiques ayant attiré l’attention sur la problématique des « violences gynécologiques et obstétricales » ont trouvé leur origine dans la prise de parole de professionnels de santé ou d’étudiants en médecine. Pour autant, c’est bien des femmes qu’est né le mouvement de dénonciation des « violences gynécologiques et obstétricales » par le biais de leurs témoignages innombrables postés, notamment, sur les réseaux sociaux. A titre d’exemple, on peut citer le blog « Marie accouche là » par la juriste Marie-Hélène Lahaye à compter de septembre 2013 et qui a permis de donner une visibilité médiatique et une formulation juridique au concept, nouveau pour la France, de « violences obstétricales ». La même année est lancé sur Twitter le hashtag « PayeTonUtérus » qui rassemble 7000 témoignages en moins de 24h, soulignant la fréquence et la banalité de propos condescendants, paternalistes, voire discriminatoires, adressés à des patientes lors de consultations gynécologiques ou obstétricales. Enfin, il faut noter le succès du Tumblr « Je n’ai pas consenti », qui dénonce des pratiques médicales imposées aux patientes sans information préalable ni recueil du consentement. Face à l’ampleur des critiques, la nouvelle secrétaire d’État en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, demande, en 2017, au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes de rédiger un rapport sur le sujet.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Remis le 29 juin 2018, ce rapport définit les violences gynécologiques et obstétricales comme les « actes sexistes les plus graves qui peuvent se produire dans le cadre du suivi gynécologique et obstétrical des femmes […] ». Pour la première fois dans un rapport public, les « violences gynécologiques et obstétricales » sont décrites comme étant au croisement des violences institutionnelles et des violences de genre. Réagissant au travail du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, l’Académie de médecine a adopté le 18 septembre 2018 un rapport intitulé « De la bientraitance en obstétrique – la réalité du fonctionnement des maternités ». Selon ce rapport, les violences obstétricales doivent être comprises comme « tout acte médical, posture, intervention, non appropriée ou non consenti. Il recouvre donc non seulement des actes non conformes aux recommandations pour la pratique clinique (RPC) mais aussi des actes médicalement justifiés réalisés sans information préalable et/ou sans le consentement de la patiente ou avec une apparente brutalité. Enfin, les attitudes, comportements, commentaires ne respectant pas la dignité, la pudeur et l’intimité des femmes sont également cités sous ce terme et rapprochés de la non prise en compte de la douleur pendant et après l’accouchement ». Le Conseil de l’Europe s’est également saisi de la question et souligne que « la parole des femmes n’est pas écoutée, elle est même considérée comme étant de moindre importance. Les femmes ne seraient plus pleinement actrices de leur accouchement mais guidées par leurs émotions, fragiles et incapables de prendre des décisions raisonnables. Ces violences nous démontrent que les stéréotypes de genre ont des conséquences non seulement sur la place des femmes dans la société mais aussi dans l’accès aux soins et aux traitements ».

Mais de quelle violence parle-t-on ? Utiliser le terme de violence invite à envisager une réponse pour la faire cesser et une sanction pour son auteur. C’est donc logiquement vers le droit, comme en atteste au demeurant la rédaction de plusieurs projets/propositions de loi sur le sujet, que les regards se tournent. Pourtant, la qualification juridique de violence, telle qu’elle peut être définie en droit, ne recouvre qu’une toute petite partie des actes dénoncés sous le vocable de « violences gynécologiques et obstétricales ». Est-ce à dire que le droit n’est pas armé pour se saisir des faits ainsi dénoncés ? C’est pour répondre à cette question qu’une recherche a été proposée par des juristes et soutenue par le GIP Justice, devenu aujourd’hui l’Institut des Études et de la Recherche sur le Droit et la Justice (IERDJ).

En réalité, le droit se retrouve partout en creux dans la relation médicale, même si c’est lorsque des difficultés apparaissent dans la relation qu’il s’en saisit de la manière la plus visible pour le non juriste. A cet égard, les sanctions proposées par le droit pénal sont sans doute les plus connues des contribuables. Mais, il ne faut pas oublier la grande diversité des outils juridiques susceptibles d’être mobilisés pour sanctionner le professionnel ou l’administration défaillant et/ou indemniser les victimes. En réalité, le droit, en venant tracer les contours de la relation médicale, se veut d’abord un outil de prévention. Mettre en évidence ce corpus juridique et sa logique participe ainsi d’une sécurisation des pratiques pour les professionnels et les femmes, desquels, malheureusement, il est encore souvent trop mal connu ou mal compris. A ce droit outil de prévention vient correspondre, quasiment en miroir, le droit comme un instrument de sanction dont la recherche a pu constater simultanément la pertinence et les limites.

La promotion de la bientraitance par le droit

Fort heureusement, pour beaucoup de femmes, le suivi gynécologique et obstétrical sera bien vécu. La relation médicale peut alors paraître étrangère au champ du droit qui, pourtant, la guide, l’encadre et impose les grands principes visant à garantir notamment le respect de la personne et de son autonomie. En cela, le droit apparaît donc comme un outil de prévention des « violences gynécologiques et obstétricales ». Le code de la santé publique pose ainsi aujourd’hui plusieurs principes généraux visant à faire de la personne non pas un simple patient dans la relation, mais bien un sujet, un acteur de la relation médicale. Deux principes sont à cet égard essentiels : le principe de co-décision qui ménage une place prépondérante au respect de la volonté et, à travers elle, de l’autonomie de la personne, et le principe de libre choix du praticien qui doit permettre à chacun d’établir une relation de confiance avec son professionnel de santé. Ces principes ont naturellement vocation à s’appliquer en matière de gynécologie et d’obstétrique. Or le mouvement de dénonciation des « violences gynécologiques et obstétricales », ou de malpractices, met en exergue la pénétration parfois encore difficile du principe d’autonomie dans ces contextes médicaux.

Autonomie de la femme et médicalisation de sa santé

« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. Le suivi du malade reste cependant assuré par le médecin, notamment son accompagnement palliatif. Le médecin a l'obligation de respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix et de leur gravité ». Ces dispositions de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique datent de 2002 et posent ce qui a pu être décrit comme un principe de co-décision. Les vingt ans de la loi Kouchner ont été l’occasion pour beaucoup de faire le point sur les évolutions de la pratique médicale suite à l’adoption de ce texte et d’en souligner une mise en œuvre encore perfectible.

La gynécologie et l’obstétrique n’échappent pas à ce constat général et sous-tendent au contraire une forte médicalisation “ordinaire” du corps des femmes. En effet, contrairement à d’autres spécialités médicales, cette médecine de l’intime (qu’il s’agisse de la gynécologie ou de l’obstétrique) concerne exclusivement les femmes et ne repose pas en premier lieu sur une motivation thérapeutique : la grossesse n’est pas en soi un processus pathologique et la consultation de gynécologie médicale s’est largement structurée autour de la contraception. Mais, ces « processus corporels ou psychiques sont pensés au prisme de discours médicaux, en termes de pathologies et de risques, et font l’objet d’interventions professionnelles dans des institutions dédiées ».

Cette médicalisation est aujourd’hui justifiée par des arguments de prévention et partant largement acceptée socialement. Il apparaît alors normal de mettre en place des consultations médicales régulières indépendamment de l’existence d’une demande ou d’un besoin exprimé par la femme. Cette soumission « naturelle » à une surveillance médicale, quoique mise en place pour promouvoir la santé des femmes (ou des enfants à naître), peut expliquer une certaine lenteur à intégrer véritablement le respect de l’autonomie des femmes dans les pratiques des professionnels de santé. Ainsi, par exemple, l'hyper-médicalisation de la grossesse, interrogée dès les années 1970-1980 dans les pays anglo-saxons et critiquée par certains professionnels de santé, n’a été discutée que récemment en Europe continentale, notamment en France où la tradition du paternalisme médical et l’argument sécuritaire sont encore très présents. Finalement c’est d’abord à travers la remise en cause de la fréquence et/ou de la pertinence de certains gestes courants, comme l’expression abdominale ou l’épisiotomie, que ces interrogations ont émergé. Ces remises en cause semblent moins marquées dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation où la dépendance au corps médical est plus forte. Au-delà de la dimension technique, ce qui est soulevé c’est la question de la liberté de la femme quant à son suivi gynécologique et obstétrical, notamment à l’occasion de son accouchement.

Autonomie de la femme : une effectivité progressive

Cette liberté est juridiquement reconnue à travers, notamment, le principe de co-décision et ses deux piliers : l’information et le consentement. Ces principes s’appliquent d’une manière générale à la relation médicale et ne sont donc pas propres à la gynécologie et à l’obstétrique. Ils y soulèvent néanmoins certaines difficultés particulières tenant à la particularité de l’objet : la vie sexuelle et la naissance. Concernant la naissance, les évolutions techniques contribuent à faire du fœtus un enfant à part entière avant même sa naissance et, corrélativement, à faire de la femme une mère dont on attend qu’elle se dévoue entièrement au bien-être de son enfant. Pour les médecins, ils ont en charge la santé non pas d’une, mais de deux personnes, dont il est attendu de l’une, la mère supposément dévouée, qu’elle soit prête à toutes les atteintes jugées nécessaires sur son corps pour le bien-être du bébé à naître. Cette présentation caricaturale a pour objet de faire comprendre la difficulté dans laquelle se retrouvent les médecins face à certains refus d’actes. Car le droit postule quant à lui clairement que, jusqu’à la naissance vivant et viable du fœtus, seule la femme enceinte dispose de droits et donc de la liberté de refuser certains actes sur son corps. Entre respect de la volonté de la mère et risque de poursuites disciplinaires et/ou pénales s’ils n’interviennent pas pour la santé de l’enfant, les médecins se prévaudront souvent – quoique de manière juridiquement contestable – de l’urgence pour intervenir. Concernant la vie sexuelle, le législateur est ainsi intervenu pour favoriser une autonomie sécurisée des mineures face aux décisions touchant à la contraception ou à la grossesse. Il est également intervenu récemment pour limiter les risques d’atteintes irréversibles à l’intégrité corporelle des enfants intersexes et non justifiées par un enjeu vital. Mais le cadre juridique manque parfois de précision et les conditions pratiques de sa mise en œuvre soulèvent par ailleurs d’importantes difficultés (durée, disponibilité, accessibilité, pour les femmes avec un handicap notamment).

Plus généralement, les consultations de gynécologie et/ou d’obstétrique sont un lieu d’échange où la femme doit pouvoir trouver l’écoute et les informations utiles pour lui permettre de faire des choix sur sa santé, sa sexualité et sa vie conformément à ses besoins ou ses contraintes. Ainsi, par exemple, même si le médecin pense qu’au regard des conditions physiologiques de la femme, la pilule est le contraceptif le plus indiqué, si celle-ci n’adhère pas – soit en raison de ses convictions personnelles, soit parce qu’elle a essayé la pilule envisagée et ne l’a pas appréciée, soit parce que ses rythmes de vie lui rendent compliqué le respect des indications associées à la pilule – il est essentiel que le médecin puisse entendre son besoin particulier. Plus généralement, eu égard au caractère particulièrement intime de la consultation, la femme doit pouvoir se sentir à l’aise avec les habitudes médicales du praticien, son mode d’interaction. Et, si tel n’est pas le cas, elle doit pouvoir en changer pour favoriser sa santé. Or, la possibilité d’un suivi gynécologique par un médecin de cette spécialité est restreinte eu égard à la diminution drastique du nombre de gynécologues en exercice. La possibilité pour les sages-femmes d’assurer ce suivi est encore mal connue de beaucoup de femmes et surtout, ces professionnels de santé n’ont pas les mêmes autorisations que les médecins en termes de prescriptions et d’actes. Quant au choix du lieu d’accouchement, libre dans la loi, il est en pratique particulièrement contraint avec la fermeture de nombreuses maternités de proximité au profit de grosses structures hospitalières, les contraintes lourdes pour l’ouverture de maisons de naissance et les entraves, notamment assurantielles, pour les accouchements assistés à domicile. Pourtant la demande d’alternatives aux maternités est croissante et les études publiées, à l’étranger notamment, montrent la plus-value de cette diversité pour la santé des mères et des bébés.

Il apparaît alors clairement qu’au-delà de la lettre des textes juridiques, il reste beaucoup à faire pour promouvoir un suivi gynécologique et obstétrical épanouissant, tant pour les femmes que pour les praticiens, soumis quant à eux à des conditions de travail souvent dégradées. La réalité pratique révèle alors de nombreuses situations de « violences gynécologiques et obstétricales » dont le droit pourra se saisir, dans une démarche répressive cette fois.

La répression de la maltraitance par le droit

Outre que la grande majorité de situations ne feront simplement pas l’objet de plainte, tous les actes dénoncés au titre des « violences gynécologiques et obstétricales » ne sont pas susceptibles d’être sanctionnés juridiquement. La gynécologie et l’obstétrique touchent à l’intime et à certains moments exceptionnels de l’existence. Ces disciplines médicales sont ainsi le théâtre de grandes déceptions et d’immenses douleurs pouvant résulter des circonstances d’une annonce (annonce d’une infertilité, d’une interruption de la grossesse, d’une pathologie de la mère ou de l’enfant, d’une séparation de son nouveau-né imposée pour des raisons médicales, par exemple) ou d’actes portant atteinte à l’intégrité physique et sexuelle que peuvent s’imposer à l’occasion d’un accouchement notamment (épisiotomie, déchirure, extraction instrumentale de l’enfant, révision utérine…). En revanche, le droit s’intéresse aux comportements contraires aux normes qu’il véhicule en ce qu’ils sont susceptibles de générer des dommages aux personnes qui en sont victimes et ouvre alors la voie à une action, ordinale ou judiciaire.

Mobilisation du droit : un enjeu de qualification juridique

Si toutes les situations dénoncées au nom des « violences gynécologiques et obstétricales » ne sont pas susceptibles d’être sanctionnées par le droit, toutes les violences pouvant être sanctionnées juridiquement ne le seront pas au titre d’une qualification de “violence”. En effet, parmi les comportements susceptibles d’être appréhendés par le droit – comme instrument de sanction – tous ne correspondent pas à la définition de “violences” au sens du droit. La violence dénoncée doit correspondre à une qualification juridique pour pouvoir être sanctionnée par le droit. Les qualifications juridiques susceptibles d’être mobilisées sont nombreuses et pourront fonder l’ouverture d’actions diverses. Cependant, le droit ne peut être mobilisé à titre de sanction que lorsqu’une défaillance dans le parcours de soin de la personne plaignante est constatée et imputable à un professionnel de santé ou à un établissement. Seuls les comportements contraires au droit, donc illégaux, sont sanctionnés. Aussi, les qualifications juridiques susceptibles d’être mobilisées sont généralement dotées de deux composantes : un comportement en violation de la norme (déontologique, médicale, pénale…) ayant eu des conséquences en termes d’atteinte à la personne plaignante ou encore de dommage pour reprendre une terminologie bien connue du droit de la responsabilité. Concernant la qualification juridique, il peut s’agir de comportements qui seront simplement qualifiés de fautes. L’examen du Code de déontologie médicale, conjugué à celui de la jurisprudence et des réclamations formulées par les patientes auprès des services juridiques des établissements de santé, permet de dégager une typologie des actes générateurs de « violences gynécologiques et obstétricales » pouvant être qualifiées de fautes médicales : aux côtés de la faute technique et de la faute résultant d’un défaut d’information, bien connues de la responsabilité médicale, apparaît nettement une autre catégorie de faute identifiée en matière médicale : la faute d’humanisme. La source du contentieux possible des « violences gynécologiques et obstétricales » se trouve donc non seulement dans le soin en tant que tel mais encore, et peut-être même surtout, dans la relation de soin. 

Plus spontanément peut-être, le terme violence conduit à envisager la possibilité d’une répression pénale. En effet, il est important de rappeler qu’aucun domaine, pas même celui du soin, n’est exclu du champ de la répression pénale. Lorsqu’un comportement correspond aux éléments constitutifs d’une infraction, la responsabilité pénale de son auteur peut être recherchée en application du droit commun. Le statut de médecin ou plus généralement de soignant n’apporte aucune immunité particulière à celui ou celle qui se rendrait coupable d’une infraction pénale. Tant les abstentions fautives des personnels de santé que les agissements de ceux-ci pourraient constituer l’élément matériel d’une infraction. Toutefois, si certains actes dénoncés pourraient valablement être qualifiés de violences au sens du droit pénal, cela n’est que l’une des qualifications parmi les infractions nombreuses qui méritent d’être envisagées dans le cadre de cette recherche. Ainsi, un médecin gynécologue pourrait être poursuivi pour des atteintes non intentionnelles à l’intégrité, pour des violences volontaires, ou même des infractions sexuelles telles que le viol. Encore faut-il que les éléments constitutifs de l’infraction soient caractérisés. L’application du principe d’interprétation stricte de la loi pénale impose en effet la réunion de tous les éléments constitutifs de l’infraction, pour que la répression puisse être envisagée. Ainsi, pour les infractions sexuelles, elles ne pourront être retenues que si l’intention sexuelle de l’auteur des faits est établie, ce qui, concernant des professionnels de santé, pourra souvent faire défaut et conduira à privilégier d’autres infractions dans le champ des atteintes à l’intégrité de la personne.

Outre la qualification des faits reprochés, la mise en œuvre d’une action supposera souvent que soit établie l’existence d’un préjudice pour la ou les victimes. Car en effet, si c’est souvent la femme dont la prise en charge gynécologique et/ou obstétricale a été défaillante qui dénonce des violences, d’autres proches peuvent également, dans certaines hypothèses, se plaindre de telles défaillances, à l’instar de l’autre membre du couple ou de l’enfant. Ces différentes victimes peuvent chacune avoir subi différents préjudices qu’il est indispensable de recenser et de quantifier précisément. La question probatoire est de taille et expose les victimes à l’inévitable expertise médicale, souvent très éprouvante et dont les conditions de réalisation sont l’objet de critiques. Ces chefs de préjudice sont eux-mêmes répartis en deux grandes catégories : les préjudices patrimoniaux, qui regroupent les conséquences pécuniaires du dommage, et les préjudices extrapatrimoniaux qui couvrent les souffrances physiques ou psychiques résultant pour la personne du dommage qu’elle a subi. Cette distinction est, elle aussi, importante dans la mesure où les préjudices patrimoniaux vont, au moins pour partie d’entre eux, pouvoir être pris en charge par un tiers. Ainsi, les frais médicaux précédemment évoqués pourront être remboursés à la victime par la sécurité sociale ou par un assureur. Ces tiers payeurs vont cependant avoir un recours. Autrement dit, les dommages-intérêts auxquels sera condamné le responsable du dommage pourront être alloués à ces tiers, en remboursement de ce qu’ils ont ou vont payer, et non à la victime. Au contraire, en principe, les indemnités versées au titre des préjudices extrapatrimoniaux, en ce qu’elles ont un caractère personnel, correspondant à la souffrance physique ou psychique endurée par la victime, ne sont pas susceptibles d’être affectées par le recours des tiers payeurs.

Mais obtenir une indemnisation n’est pas forcément la principale motivation de la victime qui peut être animée par le désir d’éviter que d’autres ne vivent la même situation qu’elle ou par la volonté de comprendre ce qu’il s’est passé. La question est importante car du croisement entre les qualifications susceptibles d’être invoquées et de l’objectif poursuivi par la victime, va dépendre, pour elle, le choix de la procédure dans laquelle elle décide de s’engager.

Mise en oeuvre du droit : un choix procédural à personnaliser

Le traitement des réclamations des patientes dénonçant des « violences gynécologiques et obstétricales » dont elles auraient été victimes permet d’identifier les attentes et les motivations de ces dernières. Elles peuvent exprimer le souhait d’obtenir des explications concernant leur prise en charge et de comprendre ce qu’il s’est passé ou encore celui qu’aucune autre patiente ne vive ce qu’elles ont vécu, à l’avenir. Elles peuvent également souhaiter être reconnues comme victimes et voir établir que les événements dont elles se plaignent revêtent un caractère traumatique ou anormal. Enfin, elles peuvent exprimer le souhait d’une sanction du professionnel de santé et/ou d’une indemnisation de leurs préjudices. Ces différentes attentes peuvent être satisfaites plus ou moins aisément selon la procédure choisie. Aussi, il apparaît indispensable pour les patientes d'identifier précisément ces attentes afin de s’orienter vers la procédure la plus pertinente.

Deux voies procédurales peuvent être envisagées : la voie juridictionnelle et la voie non juridictionnelle. Dans le cadre de la procédure juridictionnelle, la patiente s’en remet à un juge, chargé de se prononcer sur le litige qui l’oppose à un professionnel de santé. La procédure juridictionnelle peut conduire à deux résultats : l’indemnisation des préjudices subis par la patiente et la sanction du professionnel de santé. En fonction de la nature du manquement reproché au professionnel ayant participé à la prise en charge gynécologique et/ou obstétricale défaillante différentes voies de recours sont susceptibles de s’ouvrir à la victime, qui pourront être mises en œuvre alternativement ou cumulativement. Ainsi, la violation d’une norme déontologique ouvre un recours devant la juridiction ordinale, la commission d’une faute à l’origine d’un préjudice, caractérisée par un comportement en contradiction avec celui qu’adopterait un professionnel normalement raisonnable et diligent, ouvre des recours indemnitaires qui seront exercés soit devant le juge civil soit devant le juge administratif en fonction du lieu de prise en charge. Enfin, le comportement contesté peut correspondre à la définition d’une infraction pénale justifiant un recours devant le juge pénal après la mise en mouvement de l’action publique. Il est à noter qu’un même comportement peut violer en même temps ces trois types de normes et permettre théoriquement trois recours. Ainsi, la victime des “violences gynécologiques et obstétricales” peut obtenir à la fois une indemnisation et une sanction du professionnel concerné.

La voie non juridictionnelle, quant à elle, est celle qui se déroule en dehors d’une juridiction afin qu’une solution conventionnelle soit donnée au litige opposant la patiente à un professionnel de santé. C’est ce que l’on appellera ici la résolution amiable qui garantit également une forme de confidentialité. Comme l’indique Chantal Arens, la « médiation est un processus de communication éthique, souple et confidentiel ». Cette voie est moins connue du grand public, mais fréquemment utilisée par les justiciables dans le cadre d’un contentieux relatif à leur prise en charge médicale. Elle peut permettre d’obtenir des explications et, le cas échéant, une indemnisation du préjudice subi.

Elsa Supiot, Professeure en droit privé à l'université d'Angers
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