L’aide active à mourir comme élément d’un projet de société selon le CESE

23.05.2023

Droit public

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) se prononce en faveur d'une légalisation de l'aide active à mourir.

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rendu public un avis répondant à la question qui lui avait été posée par le Gouvernement : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté à toutes les situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? ». Cet avis, pour répondre, prend en compte les conclusions du rapport final d’avril 2023 de la Convention citoyenne sur la fin de vie organisée, à la demande du Président de la République, par le CESE. Il exprime également les positions adoptées par une commission temporaire sur la fin de vie composée de conseillères et conseillers du CESE ainsi que les analyses portées par les organisations qui composent le CESE.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Un avis en faveur de l’aide active à mourir

La réponse du CESE est très clairement favorable à une légalisation de l’aide active à mourir (AAM). Ses préconisations en ce sens clôturent un document dont seule la lecture peut pleinement rendre compte. Mais elles ne surprendront personne. La position du CESE était connue depuis un précédent rapport, rendu public le 10 avril 2018, déjà favorable à la reconnaissance légale d’un droit à demander au médecin une sédation profonde et continue « explicitement létale «  (Avis CESE, 10 avr. 2018, Fin de vie : la France à l’heure des choix). Une position du CESE allant à l’encontre de la précédente et des conclusions de la Convention citoyenne aurait d’ailleurs été surprenante, surtout dans un contexte où, le cas réservé de l’Ordre national des médecins pour le moins rétif sur le sujet, toutes les instances consultables ont été mobilisées pour appuyer de leurs avis les déclarations du Président de la République annonçant, pour l’été 2023, une réforme de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie (loi dite Claeys-Leonetti).

Un avis inscrit dans un projet de société

 Le CESE situe pour sa part son propos dans le cadre d’un projet de société qu’il soutient et qui se veut humaniste, inclusif mais aussi émancipateur. Pour lui, et faisant sienne la position de la Convention citoyenne,  « l’accompagnement de la fin de vie est à la croisée de l’intime et du collectif », ce qui exprime bien son idée que si la solidarité envers les plus faibles et les plus vulnérables est le ciment d’une société dite inclusive, chacun doit pouvoir ne pas se ressentir comme un poids pour la société et les autres.

A partir de là, toutes les perspectives sont ouvertes, allant d’une prise en considération, au niveau médical et social, de la nécessité pour tout être humain d’être respecté et valorisé quel que soit son âge, son état de santé physique ou mental, à la reconnaissance de sa liberté de choisir sa fin de vie, notamment pour ne pas peser sur celles des autres. On aura compris que le paradigme est appelé à changer : il ne s’agit plus seulement dans ce projet de société défendu par le CESE d’affirmer dans la loi le devoir d’accompagner dignement la fin de vie de tous mais aussi le droit pour chacun de choisir l'accompagnement de sa fin de vie.

Les treize préconisations du CESE

Pour le CESE, si l’article L. 1110-9 actuel du code de la santé publique dispose déjà que « toute personne malade dont l'état le requiert a le droit d'accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement », il n’intègre cependant pas l’aide active à mourir. D’où la principale préconisation du CESE (n° 1 de l’avis) : une modification souhaitée de la loi « pour affirmer qu’en fin de vie, le droit à l’accompagnement est ouvert jusqu’à l’aide active à mourir ».

Certes, sur les treize préconisations du CESE, toutes ne sont pas aussi directes et engagées. Nombre d’entre elles rejoignent des préoccupations plus consensuelles déjà exprimées par d’autres, notamment dans les milieux éthiques, médicaux et sociaux. On retiendra sous cet angle les préconisations tendant à améliorer l’information sur le droit à l’accompagnement de la fin de vie (n° 3 de l’avis) et à conforter légalement dans ses missions (n° 2 de l’avis) le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) ; celles tendant à valoriser les directives anticipées et la désignation d’une personne de confiance (n° 4 et 5 de l’avis) ; celle prônant une égalité d’accès aux soins d’accompagnement et palliatifs dans tous les territoires, particulièrement les territoires ultramarins (n° 6 de l’avis) ou bien encore celle visant à améliorer la place faite aux associations de bénévoles ainsi que la condition sociale des aidants familiaux (n° 7 de l’avis).

Sous un angle plus institutionnel, le CESE préconise de revoir et d’assurer, au moyen d’une loi de programmation et de plans pluriannuels, le financement des soins palliatifs (n° 8 de l’avis) ; le conventionnement des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) avec les équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) (n° 9 de l’avis). Le CESE préconise également au Gouvernement, au moyen d’un rapport annuel, de vérifier l’efficacité des mesures prises au regard des objectifs de soins palliatifs, en vue de procéder aux ajustements nécessaires (n° 10 de l’avis).

Mais les préconisations qui retiendront le plus l’attention sont celles qui tendent à mettre en œuvre la première (n° 1 de l’avis). A ce titre, on retiendra (n° 11 de l’avis) la reconnaissance d’un « droit pour les personnes atteintes de maladies graves et incurables, en état de souffrance physique ou psychique insupportable et inapaisable, de demander l’aide active à mourir : suicide assisté ou euthanasie ». Pour le CESE, « la loi devra définir le cadre et la procédure de déclinaison de ce droit avec une attention particulière pour les personnes en situation de vulnérabilité ».

En symétrie, le CESE préconise de reconnaître « le droit pour les professionnels de santé de refuser de pratiquer ces actes eux-mêmes en faisant valoir la clause de conscience prévue par l’article R. 4127-47 du code de la santé publique assortie de l’obligation d’information et d’orientation des patients et de prise en charge des patients par une ou un autre professionnel ».

Brochant sur l’ensemble, le CESE préconise que « les actes nécessaires (prescription médicale, injection létale…) à la mise en œuvre de la décision du patient soient considérés comme des actes médicaux rentrant dans les dispositions du code de la santé publique et du code de la sécurité sociale », autrement dit une prise en charge des actes par la collectivité.

Cela dit, le CESE porte aussi son attention sur des situations délicates, et du reste pourvoyeuses de contentieux : celles où il est constaté une absence de directives anticipées et une impossibilité d’expression de la volonté individuelle et du consentement (n° 12 de l’avis). Il est préconisé de « renforcer le rôle de la personne de confiance et le processus collégial élargi à l’entourage de la personne » et « d’instaurer une procédure judiciaire spécifique dans l’hypothèse où le processus collégial ne permettrait pas d’aboutir à une décision partagée ».

Le CESE est cependant conscient des conséquences, dans certains domaines du droit, d’une consécration légale de l’aide active à mourir (n° 13 de l’avis). Il appelle à la vigilance du législateur « sur les modifications à apporter aux dispositions des codes existants et en particulier le code pénal, le code de la santé publique et le code des assurances, afin de prévenir d’éventuelles poursuites et de préserver les droits des bénéficiaires et de leurs héritiers au titre des contrats de prévoyance, d’assurance décès, d’assurance vie ». De même, « le volet médical du certificat de décès devra être renseigné en conséquence (pathologie à l’origine de l’acte) tout en permettant le suivi statistique pour une mise en œuvre de l’ouverture de l’AAM en toute transparence ».

Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies
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