Le Conseil constitutionnel et la fin de vie d'une personne hors d'état d'exprimer sa volonté : une décision pour presque rien !

06.06.2017

Droit public

Le Conseil constitutionnel a considéré conformes à la Constitution les dispositions autorisant, au terme d'une procédure collégiale, l'arrêt des traitements, notamment la nutrition et l'hydratation artificielles, d'une personne hors d'état d'exprimer sa volonté.

Par une décision du 2 juin 2017, le Conseil constitutionnel a validé les dispositions sur l'arrêt des traitements par les médecins des personnes hors d'état d'exprimer leur volonté.
 
A l’occasion d’une action en annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2016-1066 du 3 août 2016 relatif aux procédures collégiales et au recours à la sédation profonde et continue jusqu'au décès prévus par la loi n° 2016-87 du 2 février 2016, l'Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés (UNAFTC) a demandé au Conseil d’Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité des articles L. 1110-5-1, L. 1110-5-2 et L. 1111-4 du code de la santé publique dans leur rédaction résultant de cette loi.
 
Le Conseil d’Etat, par une décision du 3 mars 2017 (n° 403944), lui a donné satisfaction. Cette décision de renvoi au Conseil constitutionnel est intervenue quelques jours seulement avant que le Conseil d’Etat ne vienne, par une ordonnance du 8 mars 2017, confirmer celle d’un premier juge des référés qui avait enjoint à un hôpital de suspendre une décision médicale d’arrêt des traitements à l’égard d’un enfant d’un an et de reprendre les soins.
 
C’est donc dans ce contexte que le Conseil constitutionnel, dont la décision était très attendue compte tenu de la dimension et de la gravité des questions posées, a été appelé à se prononcer sur la constitutionnalité des dispositions légales permettant, au terme d’une procédure médicale collégiale, l’arrêt des traitements, notamment la nutrition et l’hydratation artificielles, d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté.
 
Sa décision conforte la constitutionnalité du dispositif législatif contesté. Mais là s’arrête l’importance de la décision car sur le fond, celle-ci n’apporte rien ou presque et en décevra sans doute plus d’un. Le Conseil constitutionnel botte en effet en touche sur la question clé des griefs dont il était saisi, à savoir la méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et de la liberté personnelle. Quant au grief tiré d’une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, le Conseil constitutionnel n’enfonce qu’une porte ouverte.
Sur le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et de la liberté personnelle
C’est surtout à propos des patients hors d’état d’exprimer leur volonté que le dispositif législatif était contesté dans sa constitutionnalité. L’association requérante soutenait en effet que ces dispositions méconnaissent l’article 34 de la Constitution en ce qu’elles privent de garanties légales, d’une part, le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine dont découle le droit à la vie et, d’autre part, la liberté personnelle, protégée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ces dispositions ne garantissent pas, selon elle, le respect de la volonté du patient lorsque ce dernier est hors d’état de l’exprimer dans la mesure où, à l’issue d’une procédure collégiale dont la définition est renvoyée au pouvoir réglementaire, le médecin décide seul de l’arrêt des traitements sans être lié par le sens des avis recueillis.
 
C’était de loin une question fondamentale que celle de savoir si la loi peut mettre en place, sans méconnaître les droits constitutionnels les plus essentiels, un mécanisme permettant de décider, au terme d’une procédure médicale collégiale, d’arrêter les traitements, notamment la nutrition et l’hydratation, d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté, particulièrement vulnérable et, ce faisant, d’en provoquer la mort.
 
Dans sa réponse, et au titre des fondements constitutionnels pertinents, le Conseil constitutionnel rappelle que le Préambule de la Constitution de 1946 reconnaît à tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, des droits inaliénables et sacrés. Il rappelle aussi que la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle. Quant à la liberté personnelle, elle est proclamée par les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration de 1789.
 
Le Conseil constitutionnel réitère en outre, de façon classique, qu’il appartient au législateur, en application de l’article 34 de la Constitution, de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques. A ce titre, il estime le législateur compétent, en matière médicale, pour déterminer les conditions dans lesquelles une décision d’arrêt des traitements de maintien en vie peut être prise, dans le respect de la dignité de la personne.
 
Mais encore faut-il que cette compétence s’exerce dans le respect de la Constitution, d’où l’importance du contrôle de constitutionnalité. Or, et alors que l’on pouvait espérer en la matière un contrôle exigeant, le Conseil constitutionnel se limite pratiquement à égrener, sans réellement les éprouver, les dispositions que le législateur a prévues pour habiliter un médecin à décider de la fin de vie d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté. Silence complet sur le principe même d’une décision humaine, fût-elle médicale, conduisant à la mort d’autrui, qui plus est incapable de s’exprimer et dont la volonté passée demeure inconnue ou incertaine. Comme cela tend à devenir une habitude chaque fois qu’il lui faut se prononcer sur des questions éthiques et juridiques très sensibles ou d’ordre sociétal, le Conseil constitutionnel se borne à dire qu’il « ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement », et déclare qu’il ne lui appartient pas « de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conditions dans lesquelles, en l’absence de volonté connue du patient, le médecin peut prendre, dans une situation d’obstination thérapeutique déraisonnable, une décision d’arrêt ou de poursuite des traitements ». Tout au plus le Conseil constitutionnel insiste-t-il, lorsque la volonté du patient demeure incertaine ou inconnue, sur la nécessité pour le médecin de ne pas se fonder sur cette seule circonstance, dont il ne peut déduire aucune présomption, pour décider de l’arrêt des traitements. Mais la loi le dit déjà à sa façon puisqu’il doit consulter certaines personnes et respecter une procédure collégiale.
 
En conclusion de son examen, le Conseil constitutionnel estime qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a assorti de garanties suffisantes la procédure qu’il a mise en place et n’a pas porté d’atteinte inconstitutionnelle au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et à la liberté personnelle.
Sur le principe d'un recours juridictionnel effectif
Le Conseil constitutionnel réaffirme, sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration de 1789, le droit de toute personne à un recours juridictionnel effectif. En l’occurrence, et faute de dispositions particulières, le recours contre la décision d’un médecin relative à l’arrêt ou à la limitation des soins de maintien en vie d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté s’exerce dans les conditions du droit commun.
 
Pour le Conseil constitutionnel, le droit à un recours juridictionnel effectif à l’encontre d’une décision d’arrêt ou de limitation de traitements de maintien en vie conduisant au décès d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté impose que cette décision soit notifiée aux personnes auprès desquelles le médecin s'est enquis de la volonté du patient, dans des conditions leur permettant d'exercer un recours en temps utile. Ce recours doit par ailleurs pouvoir être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée.
 
Sous ces réserves, le Conseil constitutionnel écarte le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif.
 
La solution sur ce point ne surprendra pas. Ce n’est pas parce que la loi n’a prévu aucun recours particulier en la matière qu’aucun recours ne peut être exercé, que ce soit à des fins d’annulation ou de suspension. Les voies de recours du droit commun sont assurément applicables, ainsi que le rappelle le Conseil constitutionnel.  Du reste, les affaires soumises jusqu’à présent aux tribunaux, notamment l’affaire Lambert, témoignent de la variété des recours possibles. Dans ce cadre, les réserves exprimées par le Conseil constitutionnel concernant la nécessité d’une notification de la décision médicale aux personnes auprès desquelles le médecin s’est enquis de la volonté du patient, dans des conditions leur permettant d’exercer un recours en temps utile, sont certes à retenir. Mais elles ne révolutionnent rien. On savait, au moins depuis le début de l’affaire Lambert et un jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 11 mai 2013 (n° 1300740), que les parents d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté devaient été informés en temps utile de la mise en place d’une procédure collégiale et de la décision d’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation prise à l’issue de celle-ci. Reste que ce qui est évident va toujours mieux en le disant.

 

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies
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