Par un arrêt du 25 février 2025, le Conseil d’État considère que la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1°du quatrième alinéa de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique prévoyant que le décès d’un des membres du couple fait obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux et décide en conséquence qu’il n’y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
L’affaire avait déjà donné lieu à une décision du Conseil d’État du 28 novembre 2024, rendue sur pourvois en cassation contre deux décisions des juges des référés des tribunaux administratifs de Montreuil et de Caen, par laquelle il avait jugé que le dispositif résultant de la loi de bioéthique n° 2021-1017 du 2 août 2021 relatif à l’interdiction de la procréation post mortem et à l’exportation d’embryons humains vers l’étranger est compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme, sous réserve de circonstances particulières caractérisant une atteinte disproportionnée aux droits qu’elle garantit (Dalloz actualité, 16 déc. 2024, obs. D. Vigneau).
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
Découvrir tous les contenus liés
Saisi dans la même affaire par une demande de la veuve tendant à l'annulation de la décision par laquelle le directeur du CHU de Caen lui avait refusé la poursuite de son parcours de procréation médicalement assistée et notamment l'implantation des embryons qui y étaient conservés, le président de la 1re chambre du tribunal administratif de Caen avait décidé, avant qu'il ne statue sur cette demande, de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1° du quatrième alinéa de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, la requérante soutenant que ces dispositions méconnaissent les articles 2 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et le dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
C’est sur cette question de constitutionnalité que statue le Conseil d’État dans l’arrêt rapporté. Mais il refuse le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel, considérant que la question posée n’est ni nouvelle ni sérieuse.
Le refus de renvoi de QPC sous l’angle du droit au respect de la vie privée et familiale
Pour qu’un renvoi de QPC puisse être envisagé, il faut, en application des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que la question de constitutionnalité réponde à une triple condition : être applicable au litige ou à la procédure, ne pas avoir été déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, être nouvelle ou présenter un caractère sérieux.
C’est sur cette dernière condition que porte la décision du Conseil d’Etat, laissant ainsi à penser que les deux premières étaient satisfaites.
La requérante invoquait une méconnaissance par le dispositif législatif contesté des articles 2 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 en tant qu’ils consacrent, entre autres, la liberté comme l’un des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme, laquelle implique le droit au respect de la vie privée. Elle invoquait aussi une méconnaissance du dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 selon lequel la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement et garantit le droit de mener une vie familiale normale.
Pour écarter ces griefs, le Conseil d’État reprend, mutatis mutandis, son analyse développée sous un angle conventionnel dans sa précédente décision du 28 novembre 2024. On n’en sera pas surpris vu que c’est sous l’angle du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Convention européenne des droit de l’homme que la question avait alors été examinée. Le voir dire le contraire aujourd’hui sous un angle constitutionnel relevait d’une espérance vaine. Quoi qu’il en soit, le Conseil d’État considère qu’en édictant, au 1° du quatrième alinéa de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, l'interdiction, pour la femme d'un couple dont le conjoint est décédé, de poursuivre, par transfert des embryons du couple, le projet parental du couple que l'assistance médicale à la procréation (AMP) était destinée à mettre en œuvre, le législateur a entendu tenir compte de ce qu'au regard de l'objet désormais conféré à l’AMP, la situation d'une femme, membre d'un couple ayant conçu en commun un projet parental, dont la poursuite est subordonnée au maintien de ce projet, au consentement des deux membres du couple, est différente, lorsque ce projet a été interrompu par le décès du conjoint, qui était destiné à devenir parent de l'enfant, de la situation d'une femme non mariée qui a conçu seule, dès l'origine, un projet parental à l'issue duquel l'enfant n'aura qu'une filiation maternelle. Ce faisant, selon la Haute juridiction, le législateur « ne peut en tout état de cause être regardé comme ayant, dans l'exercice de sa compétence, méconnu le droit au respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ou le droit à une vie familiale normale garanti par le dixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre1946 ».
Si l’on était convaincu par la décision du Conseil d’État du 28 novembre 2024, on le sera par celle du 25 février 2025. Il n’est pas dit cependant que cette conviction soit partagée par tous (v. obs. D. Vigneau, précit.). Du reste, la question n’est peut-être pas close.
Un argument en suspens : le principe d’égalité ?
C’est peut-être l’aspect le plus intéressant de la décision rapportée, bien qu’elle ne donne aucune réponse. Le Conseil d’État relève en effet que le grief tiré de la méconnaissance par les dispositions contestées du principe d'égalité devant la loi résultant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'a pas été soumis au tribunal administratif en vue de la transmission de la demande de QPC. La Haute juridiction n’y répond donc pas, rappelant à cet égard que ce grief ne pouvait « être présenté pour la première fois devant le Conseil d'État, saisi, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, d'une ordonnance de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité tirée de la méconnaissance d'autres dispositions ou principes constitutionnels ».
Qu’aurait décidé le Conseil d’État ? Il n’est pas interdit de penser que l’argument n’aurait pas fait l’objet de plus de faveur de sa part, compte tenu de la différence de situations qu’il croit pouvoir déceler entre une veuve et une femme célibataire au regard des dispositions contestées. On sait que des situations différentes peuvent justifier des solutions différentes sans méconnaissance du principe d’égalité. Restons cependant sur le silence gardé par le Conseil d’État sur cet aspect de la question.
La véritable attente est, pour tout dire, plutôt tournée maintenant vers la Cour européenne des droits de l’homme ou vers le législateur à l’occasion d’une nouvelle révision de la loi de bioéthique. Quoi qu’en pense le Conseil d’État, la donne a bel et bien changé, en même temps que la loi du 2 août 2021 a rompu radicalement avec les finalités assignées à l’AMP dans le droit antérieur.
Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies