Le dispositif de contrôle judiciaire du placement à l'isolement et en contention en psychiatrie définitivement adopté

03.01.2021

Droit public

Faisant suite aux exigences énoncées par le Conseil constitutionnel, la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 réforme, par son article 84, l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique encadrant le recours à l'isolement ou à la contention en psychiatrie. Ce texte introduit notamment un dispositif de contrôle judiciaire potentiel de ces mesures par le JLD.

Le législateur avait, en 2016, introduit pour la première fois des dispositions encadrant les pratiques de placement à l’isolement et en contention en psychiatrie en l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique. Cependant, ce texte n’avait prévu aucun dispositif de contrôle judiciaire visant à vérifier leur respect. Suite à diverses décisions de la Cour de cassation ayant considéré qu’il n’est pas du rôle du juge des libertés et de la détention (JLD) de se pencher sur ces pratiques dans le cadre de son rôle de contrôle de légalité des mesures de soins psychiatriques sans consentement, le Conseil constitutionnel avait été saisi par QPC (Cass. 1re civ., 23 mars 2020, QPC, n° 19-40.039). Il avait alors abrogé l’article L. 3222-5-1 avec effet retardé au 31 décembre 2020 (Cons. const., 19 juin 2020, déc. n° 2020-844 QPC). Pour motiver sa solution, après avoir souligné que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible », le Conseil constitutionnel avait estimé que, « si le législateur a prévu que le recours à isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n’a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire. Il s’ensuit qu’aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l’article 66 de la Constitution ».
Le gouvernement avait choisi de répondre à cette injonction en insérant un texte modifiant l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. La première version de ce texte, présentée dans l’avant-projet, introduisait des règles visant à encadrer plus étroitement le recours à ce type de mesure, notamment en les assortissant d’une durée maximale potentiellement reconductible. Elle prévoyait ensuite que, au-delà d’une durée de 24 h pour la contention et 48 h pour l’isolement, le médecin devait informer sans délai les personnes mentionnées à l’article L. 3211-12 du code de la santé publique (proches du malade et procureur de la République), ceux-ci pouvant alors saisir le JLD aux fins de mainlevée de la mesure d’isolement et/ou de contention. Cette version initiale du texte était cependant critiquable. D’abord, elle créait une forme de discrimination implicite entre deux catégories de malades : ceux ayant un entourage social susceptible de saisir le juge ; ceux n’en ayant pas. Ensuite, cette version, qui ne prévoyait pas de saisine systématique du juge, risquait de ne pas satisfaire aux exigences de la décision du Conseil constitutionnel et risquait donc une nouvelle censure.
Durant les travaux parlementaires qui suivirent, le gouvernement s’opposait cependant à ce que soit créée une procédure de saisine systématique du JLD comparable à celle qui est prévue pour statuer sur la légalité des mesures d’hospitalisation complète, arguant de la lourdeur organisationnelle que cela impliquerait et des importantes ressources que cela nécessiterait de mobiliser, tant pour les établissements de santé que pour le ministère de la justice. Le gouvernement affirmait également qu’un contrôle systématique risquait de dégénérer en une formalité rituelle qui pourrait faire passer à côté des situations d’abus réel. Le Parlement, à l’issue des débats, a donc opté pour une solution de compromis.
Un recours davantage encadré
Comme la version initiale du texte, le texte adopté à titre définitif enserre la pratique de la contention et de la mise à l’isolement dans certains délais.
En premier lieu, le texte nouveau précise que l’isolement ou la contention ne peuvent être pratiqués que sur des personnes admises en soins psychiatriques sans consentement. Ceci est une nouveauté car, en pratique, bien des situations d’isolement ou de contention concernent des personnes admises en soins libres. Il découle du texte nouveau que, à présent, tout placement à l’isolement ou en contention d’une personne en soins libres impliquera de déclencher sur le champ une procédure d’admission en soins psychiatriques sans consentement. Le texte nouveau ajoute, enrichissant le texte ancien sur divers points, que ces mesures ne peuvent être employées « que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision motivée d'un psychiatre et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient. Leur mise en œuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin et tracée dans le dossier médical ».
Une durée davantage encadrée
En deuxième lieu, le nouveau texte cadre la durée de ces mesures. Pour ce faire, il introduit une distinction entre l’isolement et la contention, considérant qu’une mesure d’isolement ne peut être décidée que pour une durée de 12 h renouvelable jusqu’à 48 h maximum et une mesure de contention pour une durée de 6 h renouvelable jusqu’à 24 h maximum. Ces durées correspondent à une recommandation que la HAS avait émise en mars 2017.
Une information systématique du juge au-delà d’une certaine durée
Le texte ajoute ensuite que, au-delà de ces durées de 24 h pour la contention et 48 h pour l’isolement, ces mesures peuvent faire l’objet d’une prolongation « à titre exceptionnel » par un médecin. Cependant, en ce cas celui-ci devra informer sans délai les personnes mentionnées à l’article L. 3211-12 du code de la santé publique : proches du malade (famille, tuteur/curateur, ou toute personne susceptible d'agir dans l'intérêt de la personne faisant l'objet des soins) et procureur de la République. Ceux-ci, comme le prévoit alors le texte, « peuvent saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de mainlevée de la mesure » d’isolement et/ou de contention. Le juge doit également et surtout avertir le JLD qui, comme l’indique le texte, « peut se saisir d’office pour mettre fin à la mesure ». Là réside le compromis accordé aux détracteurs de la version initiale du texte modificatif présentée dans l’avant-projet de loi : il n’est pas prévu de procédure de saisine systématique du JLD mais, a minima, une information systématique de celui-ci. On évitera ainsi la contrainte d’avoir à organiser une procédure de contrôle judiciaire pour chaque mesure de contention ou d’isolement dépassant les durées prévues, tout en ménageant la possibilité que celle-ci intervienne néanmoins lorsqu’il paraîtra au juge que celle-ci serait pertinente.
Une procédure juridictionnelle en principe écrite et sans audience
L’article L. 3211-12-1 nouveau issu de la loi prévoit que, le cas échéant, ce contrôle juridictionnel se déroule « sans audience selon une procédure écrite ». Le texte prévoit néanmoins que l’intéressé peut demander à être entendu par le juge, sauf si des éléments médicaux produits aux débats font état d’une contre-indication médicale. L’audition de l’intéressé peut avoir lieu à distance par voie de télécommunication. Par ailleurs, le JLD peut dans tous les cas décider d’organiser une audience s’il l’estime approprié.
Un texte soulevant encore des questions
On notera que le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi a priori pour statuer sur la constitutionnalité de cette loi, ce qui constitue une première s’agissant des lois de financement de la sécurité sociale. Un tel contrôle pourra évidemment survenir a posteriori dans le cadre d’une QPC et certaines associations de défense des droits des personnes psychiatrisées ont d’ailleurs déjà fait connaître leur intention de soutenir une telle QPC concernant les textes d’application de cette loi. Or, dans ce contexte, on soulignera qu’il n’est pas sûr que la nouvelle version de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique satisfasse aux exigences que les sages de la rue Montpensier avaient énoncées dans leur décision de juin 2020 dans la mesure où il n’est pas sûr que le contrôle judiciaire sera véritablement effectif, notamment parce que l’auto-saisine du JLD que vise à favoriser son information obligatoire par le médecin demeure en effet incertaine. Certes, on peut soutenir que le texte se love dans l’incertitude de la formule ayant motivé l’abrogation de l’article L. 3222-5-1 ancien. Le Conseil constitutionnel avait notamment estimé que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ». Dans ce cadre, que faut-il entendre par « intervention » du juge judiciaire ? Une simple information de celui-ci lui permettant d’organiser un éventuel débat contradictoire suffirait-elle ? Ou faut-il obligatoirement qu’un tel débat ait lieu ? C’est à cela que le Conseil constitutionnel sera amené à répondre de nouveau.
Par ailleurs, il n’est pas non plus totalement évident que ce texte satisfasse aux exigences résultant de la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, la Cour européenne des droits de l'homme souligne depuis longtemps que, en matière de soins psychiatriques, une des principales exigences pour limiter le risque d’arbitraire est une intervention rapide, efficace et pertinente de l’autorité judiciaire (CEDH, 24 oct. 1979, req. 6301/73, Winterwerp c/ Pays-Bas ; CEDH, 27 juin 2002, req. 33395/96, L.R c. France ; CEDH, 27 oct. 2005, req. 68673/01, Mathieu c. France ; CEDH, 14 avr. 2011, req. 35079/06, Patoux c. France). Elle vient d’ailleurs de rendre une décision soulignant qu’une contention de 23 h qui ne serait pas suffisamment justifiée constitue un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH, 15 sept. 2020, req. 45439/18, Aggerholm c. Danemark). En prévoyant une intervention du juge au mieux à 24 h (et même davantage en pratique en raison du temps nécessaire pour mettre en place la procédure de contrôle), et pas de manière systématique de surcroît, on perçoit que le système français pourra donc encore prêter le flanc à la critique.
Informatisation du registre
Par ailleurs, la loi nouvelle prévoit une informatisation du registre dans lequel doivent être consignées les informations relatives au déclenchement et au suivi des mesures de mise à l’isolement ou en contention.

 

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
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