Plusieurs décisions de justice récentes ont pointé l'incapacité de la France à garantir en toutes circonstances des conditions de détention dignes en établissement pénitentiaire et l'absence de recours offert au détenu pour en tirer les conséquences qui s'imposent. Il convient, pour mémoire, d'en rappeler la chronologie.
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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Le 30 janvier 2020, la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire J.M.B. et autres condamnait l'État français, non seulement pour traitements inhumains et dégradants du fait des conditions de détention indignes dans plusieurs maisons d'arrêt (art. 3 de la convention) mais également à raison de l'absence de voie de recours effective offerte aux détenus pour faire cesser de telles conditions (art. 13).
Prenant acte, le 8 juillet 2020 la Chambre criminelle créait ex-nihilo, sans attendre une éventuelle modification législative, les étapes et les modalités d'exercice d'un tel recours, au profit du détenu provisoire, devant le juge judiciaire.
Pour autant, et fort logiquement, le 2 octobre 2020 le Conseil constitutionnel censurait l'alinéa 2 de l'article 144-1 du code de procédure pénale faute d'ouvrir une possibilité de recours permettant qu'il soit mis fin à la détention provisoire au (seul) motif de ses conditions d'exécution contraires à la dignité humaine. Un appel était ainsi lancé au législateur, l'abrogation de ce texte étant fixée au 1er mars 2021.
C'est dans ce contexte, après que la procédure accélérée pour l'examen de la proposition de loi déposée par le sénateur Jean-Noël Buffet le 11 février ait été déclenchée, que la loi a été adoptée le 8 avril.
Cette loi, composée d'un article unique, insère dans le code de procédure pénale une nouvelle voie de recours qui permet à toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire, qu'elle le soit à titre provisoire ou après condamnation, qu'elle soit prévenue ou définitivement condamnée, de saisir le juge judiciaire de conditions de détention qui seraient contraires à la dignité. La "marche procédurale à suivre" est ainsi dictée par l'article 803-8 nouvellement crée, auquel les articles 144-1 et 707, III renvoient. Elle est identiquement définie, que le recours soit exercé devant le juge des libertés et de la détention (JLD) par le détenu provisoire ou devant le juge de l'application des peines (JAP) par le condamné incarcéré en exécution d'une peine privative de liberté.
Les conditions et modalités du recours
Largement inspirée de l'arrêt de la Chambre criminelle précité du 8 juillet 2020, la loi définit une procédure de recours en 4 étapes.
1er temps, l'examen de la recevabilité du recours. Là où la Cour de cassation exigeait du détenu qu'il fournisse une description "crédible, précise et actuelle" de ses conditions de détention, la loi attend "des allégations circonstanciées, personnelles et actuelles de sorte qu'elles constituent un commencement de preuve que les conditions de détention de la personne ne respectent pas la dignité de la personne". Les termes retenus sont proches. Mais la loi insiste sur le caractère personnel que les conditions de détention contestées doivent revêtir. Sans doute est-ce la volonté de prendre, là, distance avec la Chambre criminelle qui, dans un arrêt du 25 novembre 2020, avait assoupli les critères d'appréciation de la situation d'indignité carcérale. Elle avait en effet alors relevé que les juges ne sauraient "s'arrêter au fait que cette description [la description des conditions de détention par le détenu] ne renverrait qu'aux conditions générales de la détention". Il appartiendra ainsi au juge d'apprécier in concreto chaque situation et de déterminer, au-delà du seul constat d'une situation de surpopulation carcérale de l'établissement pénitentiaire, si les conditions d'incarcération affectent ou non le respect de la dignité due à chaque détenu.
2ème temps, l'examen du bien-fondé de la requête. La requête ayant été déclarée recevable, il s'agit alors d'établir les faits par l'examen des conditions de détention. Pour ce faire, le juge procède ou fait procéder aux vérifications nécessaires et recueille les observations de l'administration pénitentiaire.
3ème temps, la réaction de l'administration pénitentiaire. La requête ayant été jugée fondée, il appartient à l'administration pénitentiaire de prendre les mesures pour remédier à la situation. Sur ce point, le texte ne saurait être plus explicite : à ce stade en effet de la procédure, les moyens à mettre en œuvre sont de la compétence de l'administration pénitentiaire, seule, sans que le juge ne se voit reconnaître un quelconque pouvoir d'injonction.
4ème et dernier temps, la décision judiciaire. Phase ultime et simplement éventuelle puisque ce n'est que si les actions engagées par l'administration pénitentiaire sont jugées insuffisantes par le juge que ce dernier peut (et doit) intervenir. Sur ce point, les débats parlementaires ont permis une évolution utile du texte. Dans sa version initiale, il n'offrait aucun moyen au juge pour vérifier, a priori, l'adéquation de la mesure mise en œuvre aux exigences de dignité. Dans sa version entérinée, il indique que cette appréciation est effectuée au vu " des éléments transmis par l'administration pénitentiaire concernant les mesures prises" et "de toute vérification" que le juge, de son initiative, estime utile.
Précisons enfin que l'Assemblée nationale a introduit une double limite, cohérente, au droit du détenu d'exercer recours. Est ainsi irrecevable toute nouvelle requête formulée alors qu'aucun élément nouveau modifiant les conditions de détention n'est survenu depuis la première qui avait été jugée infondée. Est également irrecevable, parce que précipitée, la requête nouvellement déposée alors que le juge, dans le respect des délais définis, n'a pas encore statué sur la précédente.
La temporalité de la procédure de recours
Chaque étape est enserrée dans des délais, définis (logiquement) par des maxima et parfois (curieusement) par des minima.
Ainsi la décision sur la recevabilité de la requête doit intervenir dans un délai de 10 jours au plus à compter de sa réception. Cette première décision est le point de départ de deux délais : l'un compris entre 3 et 10 jours pour permettre l'établissement des faits et l'autre, de 10 jours maximum, au terme duquel le juge doit se prononcer sur le bien-fondé de la demande. S'ouvre ensuite un nouveau délai, compris ici entre 10 jours et un mois, durant lequel l'administration pénitentiaire doit mettre en œuvre les mesures idoines pour mettre fin aux conditions de détention indignes. A son issue, et si ces mesures lui paraissent insuffisantes, le juge a, à son tour, un délai de 10 jours pour prendre sa décision.
La loi précise également les délais en cas de recours exercé contre les décisions prises par le JLD et le JAP. Ainsi, de manière générale, l'appel, respectivement exercé devant le président de la chambre de l'instruction ou devant le président de la chambre de l'application des peines, doit être interjeté dans un délai de 10 jours à compter de la notification de la décision et l'affaire doit être examinée dans un délai d'un mois. Mais de manière particulière, l'appel (suspensif) du ministère public, formé dans le délai de 24 heures, oblige à un examen de l'affaire dans le délai de 15 jours, faute de quoi l'appel est non avenu.
Il en résulte que, ces délais mis bout à bout, la procédure ne peut être traitée dans un délai inférieur à 13 jours mais peut s'étaler sur une période de 60 jours, soit deux mois, sans compter le temps de l'appel, de 40 jours, susceptible de s'ajouter. Au regard de la gravité des enjeux, cette temporalité est jugée bien trop longue, tant par la Commission nationale consultative des droits de l'homme que par différents syndicats professionnels ou associations, qui soulignent la nécessité d'une intervention en urgence face à toute situation de conditions de détention contraires à la dignité humaine.
Les différentes solutions déclinées par la loi pour remédier aux conditions indignes de détention.
Parmi les voies envisagées pour remédier aux atteintes à la dignité, la loi envisage l'élargissement du détenu, soit par la remise en liberté du détenu provisoire, éventuellement assortie d'un contrôle judiciaire ou d'une assignation à résidence avec surveillance électronique, soit par l'aménagement de la peine du condamné, à condition qu'il y soit éligible.
Mais elle privilégie, à deux reprises, le transfèrement du requérant vers un autre établissement. Cette mesure est en effet spécifiquement pointée, c'est la seule qui le soit, par le texte au titre des mesures possibles mises en œuvre par l'administration pénitentiaire (3ème phase). Elle est ensuite énoncée comme première solution possible à disposition du juge qui aurait constaté l'ineffectivité de l'intervention de l'administration (4ème phase).
La loi va même beaucoup plus loin, en précisant que le juge peut refuser de prendre une quelconque décision au motif que la personne s'est opposée au transfèrement que lui avait proposé, comme solution de remédiation, l'administration pénitentiaire. Dit autrement, cela signifie que le détenu qui ne donne pas son accord à son changement d'établissement perd son "droit" à être considéré dans sa demande et, comme il a été relevé plus haut, d'être entendu dans les suivantes, comme s'il devenait seul "responsable" des conditions indignes de détention dans lesquelles il évolue.
La seule limite cible les condamnés si le transfèrement proposé "aurait causé, eu égard au lieu de résidence de sa famille, une atteinte excessive au droit au respect de sa vie privée et de sa vie familiale". A contrario, cette possibilité de s'opposer à son transfert n'est pas prévue au profit du prévenu alors pourtant qu'une telle mesure pourrait l'éloigner lui aussi, des mois, des années, du lieu de résidence de sa famille.
Des modalités d'application bientôt précisées
La loi indique qu'un décret en Conseil d'État précisera les modalités d'application de ce nouveau texte, notamment les modalités de saisine, par "requête", du juge des libertés et de la détention ou du juge de l'application des peines ainsi que la nature des vérifications que le juge peut ordonner pour juger du bien-fondé des prétentions (sachant qu'il peut toujours ordonner une expertise ou se transporter sur les lieux de détention).
Depuis la loi, une nouvelle décision du Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 janvier 2021 d'une nouvelle QPC relative cette fois à la situation spécifique des personnes définitivement condamnées pour lesquelles l'article 707, III, ne prévoyait, à cette date, nulle solution pour permettre qu'il soit mis fin à l'exécution d'une peine privative de liberté dans des conditions indignes.
Aux mêmes causes, les mêmes effets. Les motifs de la décision sont presque mécaniquement reproduits. Ainsi est-il rappelé, paragraphe 12 (parallèle avec le &14 de la décision du 2 oct. 2020), "qu’il appartient aux autorités judiciaires ainsi qu’aux autorités administratives de veiller à ce que la privation de liberté des personnes condamnées soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne" et qu'il "incombe dès lors au législateur de garantir la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin".
Or, le Conseil constitutionnel note que ni l'article 707, III, ni aucune autre disposition ne permet à une personne condamnée d'obtenir un aménagement de peine au seul motif qu'elle est détenue dans des conditions indignes ou de saisir le juge judiciaire pour qu'il soit mis fin à cette situation par une autre mesure. Et en conclut que, par voie de conséquence, les dispositions du code de procédure pénale doivent être déclarées contraires à la Constitution.
En soi, la déclaration d'inconstitutionnalité s'avère sans véritable objet dès lors qu'au jour de la décision du Conseil, les dispositions contestées avaient déjà été modifiées, plus exactement complétées, par la loi du 8 avril 2021.
Mais les termes de cette décision interrogent déjà très directement l'encadrement légal du recours nouvellement accordé. Les prévisions de la loi du 8 avril sont-elles suffisantes ? Permettent-elles d'assurer "en toutes circonstances" le respect de la dignité de la personne condamnée ? Il n'en pas certain….
On perçoit en effet combien les nouvelles dispositions légales sont très en-deçà de ce qui est attendu du législateur. D'une part, la loi nouvelle ne consacre pas une obligation d'aménagement de la peine privative de liberté pour la raison unique de conditions de vie carcérales indignes. S'il doit effectivement, comme l'y invite l'article 707, être tenu compte des conditions matérielles de détention et du taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire, ces éléments ne constituent pas, en soi, des critères d'aménagement de la peine. D'autre part, la loi n'offre au juge, pour seule autre mesure susceptible de mettre fin à la situation d'indignité dénoncée, que celle du transfert du détenu vers un autre établissement. Si cette option peut paraître, de prime abord, une solution pour le détenu ainsi soustrait aux conditions de détention indignes (avec toutefois toutes les entraves au maintien de l'exercice effectif de ses droits dont les liens familiaux qu'elle est susceptible de générer), elle ne constitue nullement un remède à la situation endémique dénoncée par la CEDH dans sa décision du 30 janvier 2020, à savoir la situation de surpopulation carcérale. Or, face à ce phénomène structurel, c'est bien à l'adoption de "mesures générales" visant "la résorption définitive de la surpopulation carcérale" que l'État français était appelé (&316). Mais ainsi qu'il a été souligné, "en donnant la priorité au transfèrement, le dispositif proposé ne règle pas le problème soulevé par la personne détenue à l'origine de la procédure, à savoir l'indignité des conditions de détention dans l'établissement de départ".