Le genre dans le parcours d’AMP mis à l’épreuve devant le Conseil d’État

04.04.2024

Droit public

Le Conseil d’État rejette la requête d’une association dénommée « Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles » en annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2021-1243 du 28 septembre 2021 fixant, en application de la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, les conditions d'organisation et de prise en charge des parcours d'assistance médicale à la procréation.

Les prémices

L’arrêt rapporté du Conseil d’État du 22 mars 2024, en ce qu’il rejette la requête du Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles (GIAPS) demandant l’annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2021-1243 du 28 septembre 2021 fixant les conditions d'organisation et de prise en charge des parcours d'assistance médicale à la procréation, mettra-t-il fin à une saga bioéthique dont le script, il faut bien le reconnaître, a été inspiré par le législateur lui-même comme par le pouvoir réglementaire ?

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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En ouvrant l’assistance médicale à la procréation (AMP) à des couples de femmes ou à des femmes seules mais non aux couples d’hommes ou aux hommes seuls, la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique a bel et bien introduit une différence de traitement fondée sur le sexe, laquelle n’a pas fait l’unanimité même si elle s’explique par le souci d’éviter une légalisation de la gestation pour autrui (GPA) comme moyen de satisfaire des demandes d’hommes ou de couples d’hommes. Cela devait en tout cas soulever, parmi les nombreux problèmes posés par le nouveau périmètre de l’AMP, celui de la revendication des personnes transgenres à un accès à l’AMP, qu’elles soient seules ou vivant en couple, surtout lorsqu’elles ont conservé leurs capacités reproductrices ou gestationnelles. On songe en particulier au cas des femmes devenues hommes, et à cette figure possible d’un nouveau genre : l’« homme enceint ».

 Cela dit, l’article L. 2141-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi du 2 août 2021, réserve l’accès à l’AMP à « tout couple formé d'un homme et d'une femme ou de deux femmes » ou à « toute femme non mariée ». Ce texte peut difficilement être compris comme permettant aux personnes transgenres d’accéder à l’AMP. La question a certes été évoquée lors des travaux préparatoires de la loi, par voie d’amendement, mais le Gouvernement, à l’époque, n’a pas souhaité pareille ouverture. Ainsi, un homme devenu femme ne doit pas pouvoir accéder à une AMP, fût-ce avec ses propres gamètes, pas plus qu’une femme devenue homme, en couple ou seule, ne doit pouvoir porter un enfant conçu par AMP. Telle est la volonté du législateur. Mais sur quel critère ? La mention d’homme et de femme doit s’entendre au sens de l’état civil a-t-on pu dire.

Critère clair et objectif que celui de la mention du sexe à l’état civil ? Le bât blesse à cet égard. Car depuis une loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice au XXIe siècle, une modification de la mention du sexe à l’état civil peut aisément être obtenue en justice sans avoir à subir de traitements médicaux, d’opération chirurgicale ou de stérilisation, dans les conditions prévues aux articles 61-5 et 61-6 du code civil. C’est ainsi que des hommes mentionnés comme tels à l’état civil peuvent être biologiquement des femmes ayant conservé leurs capacités gestationnelles et inversement, des femmes à l’état civil peuvent être des hommes capables de produire ou de donner des spermatozoïdes. Que faire lorsque la mention du sexe à l’état civil trouble à ce point le donné biologique, qu’un homme se présente pour demander le prélèvement de ses ovocytes ou qu’une femme demande le recueil de ses spermatozoïdes ?

Des recours en justice étaient prévisibles. La parution du décret du 28 septembre 2021 d’application de la loi du 2 août 2021 allait en fournir l’occasion. Ce décret enfonçait d’ailleurs le clou en fixant des conditions d’âge pour le prélèvement ovocytaire en visant la « femme », le recueil de spermatozoïdes en visant « l’homme ». Il procédait de la même façon pour l’accès à l’insémination artificielle ou au transfert d’embryons à la suite d’une fécondation in vitro (FIV) en distinguant « la femme, non mariée ou au sein du couple, qui a vocation à porter l’enfant » de l’autre « membre du couple qui n’a pas vocation à porter l’enfant » (C. santé publ., art. R. 2141-36 à R. 2141-38). Cela devait s’entendre comme excluant des personnes ayant changé de sexe à l’état civil du bénéfice de l’autoconservation de gamètes, même pour motif médical, et limitant aux seules personnes nées femmes et mentionnées comme telles à l’état civil la possibilité de bénéficier d’une insémination ou du transfert d’un embryon dans le cadre d’une AMP.

Demande au Conseil d’État de renvoi d’une QPC

Dans un premier temps, le Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles (GIAPS) a demandé au Conseil d'État, à l'appui de sa requête en annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 septembre 2021, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique aux droits et libertés garantis par la Constitution, en soutenant que ce texte porterait atteinte au principe d'égalité devant la loi en tant qu’il exclut de l'accès à l’AMP les personnes ayant changé la mention de leur sexe à l'état civil mais disposant de la capacité de mener une grossesse. Considérant ce texte applicable au litige et n’ayant pas déjà été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, le Conseil d’État, par une décision du 12 mai 2022, a donné favorablement suite à cette demande en renvoyant au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

Réponse du Conseil constitutionnel

Dans une décision n° 2022-1003 QPC du 8 juillet 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions contestées conformes à la Constitution. S’appuyant sur les travaux préparatoires de la loi du 2 août 2021, il a relevé  que « le législateur a entendu permettre l’égal accès des femmes à l’assistance médicale à la procréation, sans distinction liée à leur statut matrimonial ou à leur orientation sexuelle. Ce faisant, il a estimé, dans l’exercice de sa compétence, que la différence de situation entre les hommes et les femmes, au regard des règles de l’état civil, pouvait justifier une différence de traitement, en rapport avec l’objet de la loi, quant aux conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation ». Considérant en outre qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, d’une telle différence de situation, il a admis que les dispositions de la loi de bioéthique du 2 août 2021 qui privent d’accès à l’AMP les personnes transgenres, nées femmes à l’état civil, qui ont obtenu la modification de la mention relative à leur sexe tout en conservant leurs capacités gestationnelles, sont conformes à la Constitution.

Retour vers le Conseil d’État

Le Conseil d’État, dans l’arrêt rapporté du 22 mars 2024, répond au recours du  GIAPS en annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 septembre 2021. Enonçant d’abord les dispositions légales pertinentes en la cause (C. santé publ., art. L. 2141-2 ; L. 2141-11 et L. 2141-12), le Conseil d’État examine ensuite les dispositions réglementaires prises pour leur application par le décret contesté. Il rappelle que celui-ci a fixé dans un nouvel article R. 2141-36 du code de la santé publique, les conditions d'âge pour bénéficier d'un prélèvement ou recueil de gamètes en vue d'une assistance médicale à la procréation ou d'un prélèvement ou recueil de gamètes ou de tissus germinaux en application de l'article L. 2141-11 de ce code en vue d'une assistance médicale à la procréation. Dans un nouvel article R. 2141-37, le décret a également fixé les conditions d’âge pour bénéficier de l'autoconservation de gamètes en vue de la réalisation ultérieure d'une assistance médicale à la procréation, ainsi que, dans un nouvel article R. 2141-38, celles pour bénéficier de l'insémination artificielle, de l'utilisation de gamètes ou de tissus germinaux recueillis, prélevés ou conservés à des fins d'assistance médicale à la procréation ainsi que du transfert d'embryons.

Cependant, à la différence de la requête initiale, le Conseil d’État relève que le GIAPS « demande l'annulation du seul article R. 2141-38 en tant qu'à son 1°, il prévoit que ces opérations peuvent être réalisées jusqu'à son quarante-cinquième anniversaire chez la femme, non mariée ou au sein du couple, qui a vocation à porter l'enfant ».

Non sans rappeler les termes de la décision n° 2022-1003 QPC du 8 juillet 2022 du Conseil constitutionnel, le Conseil d’État rejette la requête en annulation du GIAPS.

Il considère d'une part que le GIAPS « n’est pas fondé à soutenir que l'article R. 2141-38 du code de la santé publique serait illégal au motif que les dispositions législatives dont il fait application seraient contraires à la Constitution ».

Il relève d'autre part  qu’« en faisant référence à la femme qui a vocation à porter l'enfant, le 1° de l'article R. 2141-38 du code de la santé publique s'est borné à tirer les conséquences de ce que le législateur avait entendu exclure que des personnes, nées femmes à l'état civil, qui ont obtenu la modification de la mention relative à leur sexe tout en conservant leurs capacités gestationnelles accèdent à l'assistance médicale à la procréation en vue de mener elles-mêmes une grossesse. Par suite, l'association requérante ne peut utilement soutenir que l'article R. 2141-38 du code de la santé publique méconnaîtrait, pour ce motif, l'article L. 2141-2 de ce code ou le principe d'égalité ».

Il pose enfin, sous l’angle cette fois du droit au respect de la vie privée et familiale, que ces dispositions, tant réglementaires que légales, ne privent pas « les personnes, nées femmes à l'état civil, qui ont obtenu la modification de la mention relative à leur sexe tout en conservant leurs capacités gestationnelles, de la possibilité de devenir parent ou de celle de bénéficier, dans les conditions prévues par la loi pour les couples formés d'un homme et d'une femme, de l'assistance médicale à la procréation ». L'association requérante n'est donc pas fondée à soutenir que ce dispositif, en prenant en considération la situation des personnes au regard de leur état civil en vue notamment de permettre l'établissement d'une filiation maternelle à l'égard de la personne qui accouche, aurait excédé la marge d'appréciation admise en la matière, et porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou serait constitutif d'une discrimination prohibée par les stipulations de l'article 14 de cette convention.

Observations

Si l’on considère la volonté du législateur de 2021 telle qu’elle est rappelée en l’espèce ainsi que la position adoptée par le Conseil constitutionnel, on ne sera guère surpris par l’analyse et la conclusion du Conseil d’État.

Assurément, pour prendre un exemple, une personne née femme à l'état civil, qui a ensuite obtenu la modification de la mention relative à son sexe tout en conservant ses capacités gestationnelles, conserve la possibilité de devenir parent, même naturellement d’ailleurs, qu’elle vive seule ou en couple avec un homme. Sous l’angle d’une filiation biologique, l’accouchement et donc le fait de porter l’enfant demeure le critère déterminant pour établir la filiation maternelle. Si l’on prend l’exemple inverse d’une personne née homme à l’état civil qui a obtenu la modification de la mention relative à son sexe mais qui conçoit un enfant avec une autre femme, il n’y a en revanche guère de place à l’établissement d’une double filiation maternelle, le transgenre ne pouvant faire reconnaître son lien de parenté biologique qu'en ayant recours aux modes d'établissement de la filiation réservés au père (en ce sens : Cass. 1re civ., 16 sept. 2020, n° 18-50.080, D. 2020. 2072, note B. Moron-Puech et 2096, note S. Paricard ; AJ fam. 2020. 534, obs. G. Kessler et E. Viganotti ; JCP 2020. 1164, note Ph. Reigné et L. Brunet ; Dr. famille, n° 11, nov. 2020, comm. 146, obs. C. Siffrein-Blanc ; RTD. civ. 2020. 866, obs. A.-M. Leroyer). Tout est affaire d’espèce. Sans détailler ici tous les cas de figure possibles, le droit laisse en tout cas des portes ouvertes à la personne transgenre, même à un homme/femme, pour établir avec un enfant une filiation par le sang, le cas échéant au moyen d'une reconnaissance de paternité, ou même une filiation adoptive, dans son nouveau sexe, par le biais de l'adoption de l'enfant du conjoint, du partenaire ou du concubin.

Si une AMP est envisagée, les possibilités paraissent plus limitées car l’accès à celle-ci reste interdit aux hommes ou aux couples d'hommes et cette situation n’est vouée, on le sait, ni à la censure du Conseil constitutionnel ni à celle du Conseil d’État. Pour l’instant, une personne transgenre, née femme, devenue homme à l’état civil par changement de la mention de son sexe mais qui a conservé ses capacités gestationnelles ne peut accéder seule à l’AMP, pas davantage s'il elle vit en couple avec un autre homme. Inversement, une personne transgenre, née homme, devenue femme à l’état civil par changement de la mention de son sexe, peut en théorie demander une AMP puisque celle-ci est ouverte aux femmes, seules ou en couple. Mais la demande n’ira pas bien loin car la personne transgenre née homme ne peut pas porter un enfant ni, pour la même raison, accueillir un embryon humain. Pour qu’une AMP lui soit ouverte, il faut que sa demande procède de celle d'un couple formé avec une autre femme qui, elle, portera l'enfant. La nouvelle « reconnaissance conjointe » prévue par l’article 342-11 du code civil permettra alors à la personne transgenre d'établir une filiation maternelle à l'égard de l'enfant (v. notamment : J. J. Lemouland, « La reconnaissance conjointe : un nouveau mode énigmatique d’établissement de la filiation », Semaine juridique notariale et immobilière, oct. 2021, n° 41, act. 945 ; D. Vigneau, « La PMA à tout faire », Rev. gén. dr. médical (RGDM), n° 81, déc. 2021, p. 41).

Il est sans doute souhaitable, ne serait-ce que pour l’enfant à naître dont l’intérêt supérieur mériterait d’être considéré plus attentivement, que l’ouverture de l’AMP réalisée en 2021 trouble le moins possible le donné réel de la filiation. Reste que les règles de l’état civil et le droit de la filiation sont sortis ébranlés par les réformes récentes et le système d’AMP mis en place, de surcroît déconnecté désormais de toute considération d’infertilité, ne vaut que dans la mesure où l’on estime que la demande d’un homme ou d’un couple d’hommes mérite un traitement différent de celui réservé aux femmes.

Combien de temps un tel édifice va-t-il tenir ? Il est permis de se le demander à la lumière d’un nouveau décret n° 2022-1187 du 25 août 2022 mettant en œuvre le droit d’accès aux origines pour les personnes nées d’une AMP mais qui, de façon ponctuelle, est venu modifier les articles R. 2141-36 et R. 2141-37 du code de la santé publique. Bien que l’arrêt du Conseil d’État du 22 mars 2024 n’en dise mot, la parution de ce décret explique probablement pourquoi dans ses dernières écritures, le GIAPS ne contestait plus devant le Conseil d’État que le seul article R. 2141-38. La modification de la mention du sexe à l’état civil n’affecte pas en elle-même les capacités procréatrices ou gestationnelles d’une personne transgenre. Mais en fixant des conditions d’âge pour le prélèvement ovocytaire en visant la « femme » et le recueil de spermatozoïdes en visant « l’homme », les articles R. 2141-36 et R. 2141-37 pouvaient, avant leur modification, se comprendre, dans le système d’AMP mis en place et validé par le Conseil constitutionnel, comme excluant des personnes ayant changé de sexe à l’état civil du bénéfice de l’autoconservation de gamètes, même pour motif médical. Pour contourner l’obstacle, les rédacteurs du décret du 25 août 2022 ont tout simplement remplacé dans ces textes les mots « femme » et « homme » par les mots « une personne ». L’objectif poursuivi par le Gouvernement, à la lecture de l’exposé de présentation du décret, peut néanmoins interroger. Il est précisé que le décret « met enfin les dispositions relatives aux conditions d’âge applicables au prélèvement de gamètes ou d’embryons, jusqu’ici distinctes selon le genre, en cohérence avec la loi qui permet à une personne transgenre de bénéficier d’une assistance médicale à la procréation, pour autant qu’elle satisfasse, par ailleurs, aux conditions légales ». La formule peut sembler bien audacieuse dans un système d’AMP traitant différemment les demandes des femmes et celles des hommes et qui est censé ne pas permettre l’accès à l’AMP aux personnes transgenres. Certes, les auteurs du décret ont pris soin de préciser, quant au prétendu bénéfice d’une AMP pour une personne transgenre, qu’elle doit satisfaire « aux conditions légales ». Mais en l’état de la législation, satisfaire à ces conditions est loin d’être évident et le Gouvernement ne pouvait l’ignorer. Il n’empêche que, sans modification de la loi, les praticiens sont maintenant autorisés, par voie réglementaire, à accepter le recueil et l’autoconservation des gamètes d’une « personne » transgenre alors pourtant que cette autoconservation, qu’elle soit ou non envisagée pour motif médical, a pour finalité, en vertu de la loi, « la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d'une assistance médicale à la procréation » (C. santé publ., art. L. 2141-11 et L. 2141-12). À quelle AMP le Gouvernement songeait-il donc ? Faut-il voir dans ces modifications du décret voulues par le Gouvernement les prémices d’une nouvelle révision de la loi bioéthique dans un avenir plus ou moins proche en vue d’ouvrir directement aux personnes transgenres l’accès à l’AMP puisqu’elles peuvent désormais obtenir la conservation de leurs gamètes dans ce but ? Il apparaît difficile en tout cas de regarder l’arrêt du Conseil d’État du 22 mars 2024 comme mettant un point final sur le sujet.

Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies
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