Le juge civil et le juge pénal dans la réforme de la protection de l'enfance

22.03.2016

Droit public

La réforme de la protection de l'enfance envisagée par la loi du 14 mars 2016 intéresse principalement les services de l'aide sociale à l'enfance et, par voie de conséquence, le juge des enfants. En marge, le législateur a aussi défini les contours des agressions sexuelles à caractère incestueux.

La loi du 5 mars 2007, votée au terme d'une large concertation, avait notamment pour buts de préciser les compétences respectives du département et de l'autorité judiciaire en matière de protection de l'enfance et de limiter le recours au juge en améliorant le dispositif de recueil et d'évaluation des informations préoccupantes et en développant  les actions de prévention.

Même si des avancées ont pu être relevées, le constat sur les territoires, neuf ans plus tard, n'est sans doute pas à la hauteur de la volonté affichée : les signalements judiciaires sont repartis à la hausse, le travail d'évaluation et de prévention reste à mettre en place dans de nombreux départements. Sans compter, enfin, que les enfants et les familles, quand des solutions sont trouvées, doivent encore s'adapter aux structures et aux services de prise en charge. Autre constat sur le document emblématique que constitue le projet pour l'enfant (PPE) : il est souvent embryonnaire voire parfois inexistant. Absence de moyens, difficultés pour les professionnels à faire évoluer leurs pratiques, aggravation des situations sociales … nombreuses sont les explications.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Applicable dès le 16 mars 2016 pour ses mesures dont la mise en œuvre ne nécessite pas de décret ou d'arrêté d'application, la loi du 14 mars 2016  (dite loi Meunier-Dini) aura-t-elle plus d'efficacité ? L'avenir le dira.

Même si le texte concerne principalement les services départementaux en modifiant le code de l'aide sociale et des familles (CASF), un certain nombre de ses dispositions intéressent directement le juge judiciaire, et notamment le juge des enfants.

Les intentions sont louables, il reste à espérer qu'elles ne resteront pas lettre morte, qu'elles seront mises en œuvre dans des délais rapides et que le prochain rapport d'évaluation ne dressera pas un nouveau constat préoccupant. En effet depuis longtemps, les droits formels reconnus aux mineurs et à leurs familles ont du mal à trouver une application réelle.
L'assistance éducative
Les critères de saisine de l'autorité judiciaire afin de prévenir les cas de maltraitance sont clarifiés. La saisine du procureur de la République est réalisée « aux fins de saisine du juge des enfants ». Il est précisé que cette saisine aura lieu en plus des cas déjà prévus, dans les situations de danger grave et immédiat notamment dans les situations de maltraitance (CASF, art. L. 226-4)



A l'instar des services du département, le juge des enfants doit mettre en œuvre des décisions de protection judiciaire adaptées à chaque situation et doit s'appuyer sur les ressources de la famille et l'environnement de l'enfant. L'enfant doit être associé aux décisions qui le concernent en fonction de son degré de maturité. Le juge des enfants étant directement dépendant des dispositifs mis en place par les services départementaux, ces objectifs ne pourront se mettre en œuvre que si le département les partage (CASF, art. L. 112-3).



Dorénavant, la durée de toutes les mesures ordonnées par le juge des enfants ne pourra pas excéder deux ans. Un rapport concernant la situation de l'enfant doit toujours être transmis annuellement au juge, "ou tous les six mois" pour les enfants âgés de moins de 2 ans. Jusque-là, seules les mesures d'action éducative milieu ouvert (AEMO) de placement (à l'exception du placement chez un tiers digne de confiance) étaient concernées par ce délai (C. civ., art. 375).



Le juge des enfants doit être informé au moins un mois à l'avance de la décision de modifier son lieu de placement. Cette disposition ne s'applique ni en cas d'urgence et ni pour l'enfant de 2 ans révolus confié à une même personne ou à un même établissement pendant moins de deux années, en cas de modification prévue dans le projet de pour l'enfant (CASF, art. L. 223-3).



Lorsque l'aide sociale à l'enfance (ASE) s'est vue confiée un mineur par le juge des enfants et que la durée du placement excède un seuil à définir par décret, ce service devra examiner l'opportunité de mettre en œuvre d'autres mesures susceptibles de garantir la stabilité des conditions de vie de l'enfant pour garantir une continuité relationnelle, affective et géographique dans un lieu de vie adapté à ses besoins. Évidemment, le service devra aviser le juge qui a ordonné le placement et lui préciser les raisons qui l'amènent à retenir ou à exclure les mesures envisageables (CASF, art. L. 227-2-1).

Il faut espérer qu'une circulaire viendra « préciser » les modalités et les motifs de cette disposition dont la clarté n'est pas la première qualité. L'information du juge ne saurait le priver de son pouvoir de décision s'il estime que le placement est conforme à l'intérêt de l'enfant et de sa famille.



Lorsque le juge des enfants, en application des dispositions de l'article 388-2 du code civil, désigne un administrateur ad hoc pour représenter le mineur, celui-ci doit être indépendant de la personne morale ou physique à laquelle le mineur est, le cas échéant, confié.

Cette disposition est pertinente car elle est de nature à mieux garantir l'impartialité de l'administrateur ad hoc à l'égard du mineur, et  notamment du très jeune mineur.



Pour ordonner un droit de visite en présence d'un tiers dans un espace de rencontre, autrement nommé visite médiatisée, le juge des enfants comme le juge aux affaires familiales devront rendre une décision spécialement motivée (C. civ., art. 373-2-9 et 375-7).



Lorsqu'un enfant est confié par l'ASE à un tiers, notamment sur décision du juge des enfants, les parents conservent tous les droits de l'autorité parentale qui ne sont pas incompatibles avec la mesure. Dorénavant, sera annexée au projet pour l'enfant (communiqué au juge) une liste des actes usuels de l'autorité parentale que cette personne ne peut pas accomplir sans en référer préalablement au service de l'ASE. Par le projet pour l'enfant, les parents sont ainsi informés de l'exercice des actes usuels réalisés en leur nom. Cette disposition doit rendre plus facile la vie quotidienne de l'enfant et de sa famille d'accueil . On peut penser qu'en cas de litige, il reviendra au juge de le trancher (CASF, art. L. 223-1-2).

 

La délégation ou le retrait de l'autorité parentale

 

Le ministère public peut saisir le juge aux affaires familiales, sur transmission du juge des enfants, du dossier d'assistance éducative pour qu'il statue sur la délégation totale ou partielle de l'autorité parentale. Le ministère public doit s'assurer alors que le tiers destiné à bénéficier de cette autorité a bien donné son accord avant l'engagement de la procédure (C. civ., art. 377).

Le service de l'ASE auquel est confié un enfant  peut dorénavant engager une action en retrait de l'autorité parentale, il n'est plus contraint de saisir le ministère public (C. civ., art. 378-1).



Lorsque la juridiction pénale doit se prononcer sur l'éventuel retrait de l'autorité parentale d'un des parents en raison d'un crime ou d'un délit commis sur la personne de son enfant ou de l'autre parent, elle doit également se prononcer sur le retrait éventuel de l'autorité parentale sur les autres enfants mineurs. Cette disposition permettra de clarifier et de protéger la situation des enfants qui ont échappé au comportement criminel de leur parent (C. pén., art. 221-5-5 et 222-48-2).



Ajoutant aux motifs prévus par l'article 378-1 du code civil ( mauvais traitement, consommation habituelle et excessive d'alcool et de stupéfiants, inconduite notoire ….), le législateur a prévu que le retrait de l'autorité parentale pourra être ordonné lorsque l'enfant est témoin de pressions ou de violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre (C. civ., art. 378-1). Cette action en retrait de l'autorité parentale pourra être engagée par le service de l'ASE, le ministère public, un membre de la famille ou le tuteur de l'enfant.

 

Le retour de l'inceste en droit pénal

 

La loi du 8 février 2010 avait introduit la notion d'inceste pour les infractions de viol, d'agression sexuelle et d'atteinte sexuelle commises sur un mineur dans sa famille. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil Constitutionnel, dans une décision du 16 septembre 2011, avait censuré cette disposition, estimant que le législateur n'avait pas désigné précisément les personnes qui peuvent être regardées comme membre de la famille.

La loi du 14 mars 2016, pour échapper à une éventuelle nouvelle censure, liste précisément les personnes concernées par l'incrimination. Il s'agit d'un ascendant, frère, sœur, oncle, tante, neveu, nièce, et conjoint, concubin ou partenaire lié par un PACS des précédents s'il a, sur le mineur, une autorité de droit ou de fait (C. pén., art. 222-31-1, 227-27-2 et 227-27-3).

L'avenir dira si le Conseil Constitutionnel, à nouveau saisi d'une QPC, estimera cette liste suffisamment précise.
Non dénonciation de crime ou de mauvais traitement sur mineur
La référence à l'âge de 15 ans disparaît des dispositions des articles 434-1 et 434-3 du code pénal qui répriment la non dénonciation d'un crime et des mauvais traitements sur mineur .

Cette disposition est heureuse car nombre de mineurs de plus de 15 ans, victimes de viol ou de maltraitance, ne parviennent pas à dénoncer leur agresseur notamment quand il s'agit d'un proche.
Le recensement des mesures en matière de protection de l'enfance
Pour recenser l'ensemble des mesures ordonnées en matière de protection de l'enfance, l'observatoire départemental de la protection de l'enfance et l'Observatoire national seront , en plus des mesures administratives, destinataires, sous forme anonymisée, des mesures judiciaires mentionnées aux articles 375-2, 375-3, 375-9-1 du code civil (assistance éducative et aide à la gestion du budget familial), à l'article 1er du décret du 18 février 1975 (protection des jeunes majeurs) mais aussi des informations concernant les mesures éducatives ordonnées dans le cadre de l'ordonnance du 2 février 1945 concernant les mineurs délinquants.

L'objet de ce recensement  est de valider l'adéquation entre les signalements transmis et la mise en œuvre d'une ou de plusieurs mesures.  Les modalités de transmission de ces informations seront fixées par décret (CASF, art. L. 226-3-3).
 
Bernard Azema, Magistrat honoraire
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