Le plan de relance économique américain : avantages, limites et risques pour les sociétés françaises présentes aux Etats-Unis

Le plan de relance économique américain : avantages, limites et risques pour les sociétés françaises présentes aux Etats-Unis

15.05.2020

Gestion d'entreprise

Le «Coronavirus Aid, Relief, and Economic Security Act» («CARES Act»), entré en vigueur le 27 mars 2020, avec une enveloppe de plus de 2.000 milliards de dollars, constitue le plus gros plan d’urgence économique de l’histoire des Etats-Unis. Dans leur chronique, Valérie Demont, avocate associée, et Karl Buhler, collaborateur au sein du cabinet Sheppard, Mullin, Richter & Hampton LLP à New York, nous expliquent comment les sociétés françaises peuvent en bénéficier.

L’objectif du plan fédéral est de préserver l’économie américaine d’une faillite générale, à travers, notamment, un renflouement des caisses des entreprises afin de préserver l’emploi par le biais de prêts et aides financières pour les sociétés. Mais aussi par un étalement des impôts fédéraux, une augmentation des aides au chômage, des paiements directes aux foyers modestes et des mesures d’aide aux locataires.

Les dispositifs du CARES Act sont en général accessibles à toutes les sociétés américaines qui remplissent les critères d’éligibilité et même si leurs propriétaires et actionnaires sont étrangers ou non. L’utilisation des fonds, en revanche, est en général limitée à la préservation des opérations aux Etats-Unis et certaines sociétés, dont la majorité des employés ne sont pas sur le territoire américain, sont exclues de certains dispositifs du CARES Act.

Les deux principaux programmes de prêts du CARES Act sont décrits ci-dessous.

Le « Paycheck Protection Program »

Le « Paycheck Protection Program » ou « PPP » est le premier régime de prêts mis en œuvre par le CARES Act et le plus populaire à ce jour – à tel point que le programme dont l’enveloppe initiale totale s’élevait à 349 milliards de dollars a été épuisé en trois semaines et a dû être réhaussé à hauteur de 659 milliards de dollars le 24 Avril 2020.

Le PPP est un régime de prêts aux petites entreprises garantis par l’Etat fédéral dans le cadre de la Section 7(a) du « Small Business Act » (« SBA Act »). Ces prêts sont autorisés par la « Small Business Administration » (« SBA »), une agence fédérale au service des petites et moyennes entreprises. Ces prêts présentent de nombreux avantages avec, par exemple, un taux d’intérêt fixe à 1%, une date de maturité à 2 ans et un report de 6 mois de remboursements. Autre élément important, ces prêts n’exigent ni garantie, ni caution personnelle, ni frais de l’emprunteur pour y souscrire. Surtout, ces prêts peuvent être convertis en une aide d’Etat pure et simple.

Initialement, les conditions d’éligibilité des entreprises souhaitant souscrire à ces prêts étaient peu claires et provoquaient une grande confusion parmi les banques, les entreprises candidates aux emprunts et le public. C’est pourquoi la SBA a dû intervenir en urgence à de nombreuses reprises pour clarifier un certain nombres d’aspects du PPP. Mais, la confusion et les difficultés ont été encore plus grandes pour les sociétés américaines détenues par des capitaux étrangers qui se sont vues initialement refusées l’accès à ces prêts avant de recevoir indirectement confirmation qu’elles pouvaient être éligibles.

A ce jour, les personnes éligibles à ce type de prêts incluent: (i) les sociétés de droit américain qui (avec leurs sociétés et personnes affiliées) ont moins de 500 employés basés aux Etats-Unis en tout, et (ii) les sociétés qui (avec leurs sociétés et personnes affiliées) constituent des « small businesses » limitées en revenus ou nombre d’employés selon différents critères du SBA Act. Il existe toutefois certaines exceptions pour les secteurs de la franchise, l’hôtellerie ou la restauration, où le nombre d’employés peut se mesurer par location et non dans son ensemble.

Les filiales américaines de sociétés mères françaises peuvent souscrire à un prêt PPP si elles remplissent les critères ci-dessus. Pour mesurer le nombre d’employés ou montant en revenus, l’emprunteur doit non seulement compter ses employés basés aux Etats-Unis ou revenus et ceux de ses filiales mais également ceux de ses sociétés et personnes affiliées (actionnaires, investisseurs, etc.). Les règles d’affiliation visent le contrôle majoritaire mais aussi le contrôle par les minoritaires par le biais d’une minorité de blocage au conseil d’administration, d’un droit de véto ou droit de consentement sur les décisions de nature « opérationnelle » de la société telles que l’approbation des dividendes ou du budget, l’embauche ou le licenciement de cadres, etc. Ceci rend particulièrement difficile l’éligibilité de sociétés détenues par des fonds d’investissements de private equity ou venture capital.

Les emprunteurs doivent également certifier de bonne foi que « les incertitudes économiques actuelles rendent le prêt nécessaire afin de supporter les opérations de l’emprunteur » en prenant en compte l’activité actuelle de la société et sa capacité à accéder à d’autres sources de liquidités (la bonne foi pouvant être présumée pour les prêts de moins de 2 millions de $). Cette certification très vague a fait l’objet d’une énorme controverse lors de l’épuisement de la première vague de fonds du PPP lorsqu’il a été établi que beaucoup d’entreprises cotées en bourse ou autrement bien établies avaient fait des demandes de prêts, épuisant le programme au détriment des petites entreprises. Le sujet a fait scandale aux Etats-Unis. Depuis, la SBA a effectivement interdit aux sociétés cotées en bourse ayant une bonne capitalisation et accès à du financement sur les marchés de capitaux ainsi qu’aux fonds d’investissements de faire des demandes de prêts. La SBA a indiqué que la bonne foi sera présumée pour les prêts de moins de 2 millions de dollars. Les certifications de mauvaise foi seront quant à elle punissables jusqu’à 30 ans d’emprisonnement et 1 million de dollars d’amende. La SBA a indiqué, de surcroit, qu’elle allait auditer tous les prêts de plus de 2 millions de dollars.

Le montant maximal des prêts est égal à au moins (i) 2,5 fois la moyenne mensuelle totale de la charge salariale américaine de l’emprunteur sur les 12 derniers mois ou (ii) 10 millions de dollars. Les fonds ne peuvent être utilisés que pour le paiement de salaires américains (y compris leur couverture médicale), loyers, certains emprunts et charges d’eau, électricité, etc.

L’un des aspects les plus attractif de ces prêts tient en ce que ces derniers peuvent être convertis en une aide pure et simple (le prêt n’aura pas à être remboursé par l’emprunteur). Pour bénéficier de cette conversion, l’emprunteur doit maintenir la masse salariale de ses employés à plein temps durant les 8 semaines suivant réception du prêt ou au 30 juin 2020 au plus tard. La conversion du prêt en aide sera cependant réduite si l’emprunteur venait à licencier pendant ladite période de 8 semaines ou à réduire les salaires de plus de 25 % et qu'il ne corrigerait pas cela au 30 juin 2020. Il est également important de souligner que l’obtention de ces prêts prive l’emprunteur de certains bénéfices fiscaux et l’engage à certifier qu’il « veillera, dans la mesure du possible, à acquérir des équipements et produits fabriqués aux Etats-Unis ».

Malheureusement pour de nombreuses entreprises, ces prêts arrivent un peu tard et les conditions d’utilisation des fonds et de conversion des prêts en aide sont peu adaptées aux réalités économiques auxquelles ces sociétés font face. Malgré ces défauts et en raison de sa grande popularité, il est cependant probable que le PPP soit de nouveau à cours de financement rapidement et que de nouveaux amendements y soient apportés en raison du prolongement de la crise et des difficultés prévisibles des entreprises à court et moyen terme. Le PPP doit en principe se terminer le 30 juin 2020...

Le « Main Street Loan Program »

La réserve fédérale américaine a également annoncé l’ouverture prochaine d’un « Main Street Loan Program » consistant en la création d’un nouveau régime de prêts ainsi que des nouvelles facilités obligataires pour les sociétés éligibles. Ces prêts présentent de nombreux avantages avec, notamment, des taux d’intérêt faibles, une maturité de 4 ans, le report du paiement du principal et intérêts d’un an ainsi que l’absence de pénalité pour remboursement anticipé. De surcroit, ces prêts sont dépourvus de cautionnement, excepté quand ils viennent en augmentation de prêts existant sécurisés. 

Les montants empruntables varient eux aussi en fonction du type de prêt, entre 500 000 et 25 millions de dollars pour un nouveau prêt et entre 10 et 200 millions de dollars pour une augmentation de prêt existant (sous des limites maximum d’endettement des emprunteurs).

Pour être éligibles à ces prêts, l’emprunteur doit être une société de droit américain, ayant des « opérations significatives » ainsi qu’une « majorité de ses employés aux Etats-Unis » et ayant (avec ses sociétés et personnes affiliées) soit moins de 15 000 employés en tout (y compris les employés à l’étranger) soit un chiffre d’affaires en 2019 égal ou inférieur à 5 milliards de dollars. Les règles d’affiliation applicables au PPP s’appliquent également à ce programme. De plus, l’emprunter doit également justifier que le financement est dû en raison de « circonstances exigeantes » liées au Covid-19.

Les fonds empruntés ne peuvent pas servir à repayer ou refinancer des prêts ou lignes de crédits existants. L’emprunteur ne peut également procéder au paiement de dividendes ou distributions à ses actionnaires ou au rachat d’actions de l’emprunteur ou de sa société mère cotée en bourse pendant la durée du prêt et pour un an après le remboursement du prêt. La rémunération des cadres de l’emprunteur est également limitée selon certains paramètres.

Le Main Street Loan Program est encore en cours de développement et devrait devenir opérationnel dans les semaines à venir, mais de nombreuses questions restent en suspens et de nombreuses interprétations à venir.

Le programme doit se terminer le 30 septembre prochain mais pourrait être prolongé.

Valérie Demont Co-auteur : Karl Buhler (collaborateur au sein du cabinet Sheppard, Mullin, Richter & Hampton LLP à New York)

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