Le pouvoir du médecin d'écarter des directives anticipées qu'il juge inappropriées ou non conformes n'est pas contraire à la Constitution

28.11.2022

Droit public

Le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions du troisième alinéa de l’article L. 1111-11 du code de la santé publique fixant les conditions dans lesquelles un médecin est susceptible d'écarter les directives anticipées d’un patient en fin de vie.

Le Conseil d’État, statuant en référé le 19 août 2022, avait renvoyé au Conseil constitutionnel une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur le point de savoir si le pouvoir reconnu à un médecin de ne pas appliquer des directives anticipées en application de l’article L. 1111-11 du code de la santé publique est contraire à la Constitution.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Le refus d’appliquer des directives anticipées soumis à QPC

Le renvoi de QPC au Conseil constitutionnel par le Conseil d’État était d’autant plus intéressant dans cette affaire que la famille du patient avait produit des directives anticipées rédigées par ce dernier mentionnant sans ambiguïté son souhait, dans l’hypothèse où il ne serait plus en mesure de s’exprimer, ce qui était le cas en l’occurrence, d’être maintenu en vie, même artificiellement, en cas de coma prolongé. Or, l’équipe médicale, constatant l’évolution négative du patient, l’estimant irréversible et s’appuyant sur le pouvoir reconnu au médecin par l’article L. 1111-11 du code de la santé publique de ne pas respecter des directives anticipées lorsqu'elles apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, avait poursuivi la procédure collégiale pour mettre en œuvre l’arrêt des soins et des traitements du patient et mettre ainsi fin à sa vie.

C’est cette décision médicale qui avait été suspendue par le Conseil d’État dans l’attente de la réponse du Conseil constitutionnel sur la QPC qui lui avait été transmise.

Le Conseil constitutionnel a donné sa réponse par une décision n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022. En substance, il estime que les dispositions contestées, à savoir le troisième alinéa de l’article L. 1111-11 du code de la santé publique, en ce qu’elles permettent au médecin d’écarter les directives anticipées d’un patient notamment lorsqu’elles sont manifestement inappropriées ou non conformes à sa situation médicale sont conformes à la Constitution.

Les griefs contre la loi

Il était pourtant fait grief à ces dispositions d’accorder au médecin un pouvoir trop important d’appréciation, sans garanties suffisantes, en lui permettant d’écarter, en les jugeant manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale, des directives anticipées d’un patient ayant exprimé clairement sa volonté que soient poursuivis des traitements le maintenant en vie, en méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, dont découlent le droit au respect de la vie humaine, ainsi que de la liberté personnelle et la liberté de conscience. Mais ce fut en vain devant le Conseil constitutionnel.

Le cadre constitutionnel de référence

Le Conseil constitutionnel, en s’appuyant sur le Préambule de la Constitution de 1946, rappelle d’abord que la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation est au nombre des droits inaliénables et sacrés appartenant à tout être humain et constitue un principe à valeur constitutionnelle. Il rappelle également que la liberté personnelle est proclamée par les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

De ce cadre constitutionnel et de l’article 34 de la Constitution, le Conseil constitutionnel déduit qu’il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques, notamment en matière médicale, et de déterminer les conditions dans lesquelles la poursuite ou l’arrêt des traitements d’une personne en fin de vie peuvent être décidés, dans le respect de ces exigences constitutionnelles.

Les motifs de la décision du Conseil constitutionnel

Le Conseil relève en premier lieu qu’en permettant au médecin d’écarter des directives anticipées, « le législateur a estimé que ces dernières ne pouvaient s’imposer en toutes circonstances, dès lors qu’elles sont rédigées à un moment où la personne ne se trouve pas encore confrontée à la situation particulière de fin de vie dans laquelle elle ne sera plus en mesure d’exprimer sa volonté en raison de la gravité de son état. Ce faisant, il a entendu garantir le droit de toute personne à recevoir les soins les plus appropriés à son état et assurer la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie ». Selon une formule qui n’est pas nouvelle sous sa plume, le Conseil rappelle à cette occasion « qu’il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement et qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur ».

En second lieu, le Conseil relève que les dispositions contestées ne permettent au médecin d’écarter les directives anticipées que si elles sont « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale » du patient et que dès lors elles ne sont ni imprécises ni ambiguës.

En troisième lieu, il souligne que la décision du médecin ne peut être prise qu’à l’issue d’une procédure collégiale destinée à l’éclairer, qu’elle est inscrite au dossier médical et portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches.

Enfin, il considère que la décision du médecin est soumise, le cas échéant, au contrôle du juge. Dans le cas où est prise une décision de limiter ou d’arrêter un traitement de maintien en vie au titre du refus de l’obstination déraisonnable, cette décision est notifiée dans des conditions permettant à la personne de confiance ou, à défaut, à sa famille ou à ses proches, d’exercer un recours en temps utile. Et ce recours peut être examiné dans les meilleurs délais par la juridiction compétente aux fins d’obtenir la suspension éventuelle de la décision contestée.

La conformité à la Constitution du refus d’appliquer des directives anticipées admise par le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel déduit de ces motifs que le législateur n’a méconnu ni le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ni la liberté personnelle. Et considérant que les dispositions contestées ne méconnaissent pas davantage la liberté de conscience ni le principe d’égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel les juge conformes à la Constitution.

Interrogations

Cette décision du Conseil constitutionnel ne surprend pas. Ce n’est pas la première fois qu’il énonce ne pas avoir le même pouvoir d’appréciation que le législateur en matière d’éthique biomédicale et qu’il s’appuie sur l’existence de de quelques garanties dans la loi et de recours en justice pour admettre la constitutionnalité de dispositions législatives contestées devant lui.

Cette décision ne contribuera pas cependant à renforcer l’utilité des directives anticipées si celui qui prend la peine de les rédiger, et qui peut les révoquer quand bon lui semble, n’est pas garanti de les voir s’appliquer, surtout lorsqu’il entend exprimer son droit à être maintenu en vie s’il se trouve dans l’impossibilité d’exprimer sa volonté le moment venu. Or, et pour ne prendre que cet exemple, le Comité consultatif national d’éthique a lui-même relevé, dans son avis du 13 septembre 2022 sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie « un usage insuffisant des mesures permettant de désigner une personne de confiance et d’établir des directives anticipées ». Comment encourager à y recourir dans ces conditions, surtout en un domaine où la question en cause n’est rien de moins que celle de la vie ou de la mort ? À l’heure où l’on s’apprête en France à légaliser l’euthanasie et l’assistance médicale à mourir sur la base de la volonté exprimée, il y a matière à méditer.

Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies
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