Le principe d’égalité devant la justice prescrit l’extension de l’aide juridictionnelle aux ressortissants étrangers en situation irrégulière

30.05.2024

Droit public

Saisi par la Cour de cassation de trois questions prioritaires de constitutionnalité concernant l’exclusion des étrangers en situation irrégulière du bénéfice de l’aide juridictionnelle, le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions législatives concernées contraires à la Constitution.

Par une décision du 28 mai 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions de l’article 3 de la loi n° 91-647 relative à l’aide juridique qui excluaient, sauf exceptions, les ressortissants étrangers en situation irrégulière sur le territoire français du bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Les dispositions critiquées

La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée au Conseil portait sur la conformité à la Constitution de l’exigence du caractère régulier de la résidence sur le territoire français des ressortissants étrangers pour pouvoir bénéficier de l’aide juridictionnelle, énoncée au 2e alinéa de l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991.

Selon l’article 2 de la même loi, les personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice peuvent bénéficier d’une aide juridictionnelle.

Aux termes de son article 3, sont admises au bénéfice de l’aide juridictionnelle les personnes de nationalité française, les ressortissants des États membres de l’Union européenne et également les personnes de nationalité étrangère résidant habituellement et régulièrement en France.

Au contraire, les ressortissants étrangers ne résidant pas régulièrement sur le territoire sont par principe exclus du bénéfice de l’aide juridictionnelle.

Par dérogation, la loi prévoit toutefois un certain nombre de situations dans lesquelles l’aide juridictionnelle est accordée sans condition de régularité de séjour.

Ces dérogations, prévues par l’article 3, alinéas 4 et 5, de la loi du 10 juillet 1991, concernent les étrangers lorsqu'ils sont mineurs, qu’ils sont mis en cause ou parties civiles dans une procédure pénale ou font l’objet de certaines mesures prévues par l’article 515-9 du Code civil (bénéficiaire d’une ordonnance de protection en cas de violences conjugales) ou par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). L’aide juridictionnelle est également accordée devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) aux demandeurs d’asile résidant régulièrement en France.

Enfin, l'aide juridictionnelle peut toujours être accordée à titre exceptionnel lorsque la situation de la personne apparaît « particulièrement digne d'intérêt au regard de l'objet du litige ou des charges prévisibles du procès » (L. préc., art. 3, al. 3).

En revanche, il ressort de ces dispositions que les ressortissants étrangers en situation irrégulière sont exclus du bénéfice de l’aide juridictionnelle pour faire valoir leurs droits de caractère civil, notamment dans le cadre d’une instance prud’homale.

Les motifs et les effets de la censure du Conseil

Le Conseil constitutionnel rappelle que les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 disposent que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » et que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs, déterminée, n’a point de Constitution ».

S’agissant des dispositions critiquées, le juge constitutionnel relève que celles-ci instaurent une différence de traitement entre les étrangers selon qu’ils se trouvent ou non en situation régulière en France et il précise que « si le législateur peut prendre des dispositions spécifiques à l’égard des étrangers, en tenant compte notamment de la régularité de leur séjour, c’est à la condition de respecter les droits et libertés garantis par la Constitution reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République et, en particulier, pour se conformer au principe d’égalité devant la justice d’assurer des garanties égales à tous les justiciables ».

Or, en privant, hors des situations dérogatoires prévues par la loi, les étrangers en situation irrégulière du bénéfice de l’aide juridictionnelle pour faire valoir en justice les droits que la loi leur reconnaît, le Conseil constitutionnel considère que les dispositions contestées ne leur assurent pas des garanties égales à celles dont disposent les autres justiciables et qu’elles méconnaissent par conséquent le principe d’égalité devant la justice.

Elles doivent dès lors être déclarées contraires à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a en outre jugé qu’aucun motif ne justifiait de reporter les effets de cette déclaration d’inconstitutionnalité. Celle-ci intervenant à la date de la publication de sa décision, soit le 30 mai 2024, elle doit donc s’appliquer à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

Mathieu Perdereau, Avocat au barreau de Paris
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