Legal privilege : les juristes si près du but !

Legal privilege : les juristes si près du but !

25.04.2024

Gestion d'entreprise

A une semaine du vote de la proposition de loi relative à la confidentialité des consultations des juristes d’entreprises par l’Assemblée nationale, des associations de juristes d’entreprise ont organisé une conférence de presse avant-hier. Plus remontées que jamais et pleines d’espoir, elles appellent à l’adoption du legal privilege.

Pour la énième fois et elles l’espèrent l’ultime, les associations de juristes d’entreprises (AFJE, Cercle Montesquieu et ANJB) ont appelé à mettre fin aux fausses idées - américanisation de notre système judiciaire, atteinte aux valeurs de la démocratie, menace pour les avocats que provoquerait la consécration du legal privilege - et à l’adoption du texte.

« Le sujet du legal privilege dépasse bien largement la vie quotidienne du juriste d’entreprise »

En l’absence de legal privilege, le juriste d’entreprise se trouve face à une double injonction contradictoire. D’un côté, il doit faire son « travail d’analyse et d’éclairage de la loi appliquée à l’entreprise et son activité » et peut mettre le doigt sur des manquements et des faiblesses de celle-ci. De l’autre côté, en faisant son métier sans protection de son écrit, il « positionne son entreprise dans une situation d’auto-incrimination », a commencé par rappeler Jean-Philippe Gille, président de l’AFJE.

Cette situation est problématique à plus d’un titre mais « le sujet du legal privilege dépasse bien largement la vie quotidienne du juriste d’entreprise.  La question de la souveraineté économique est de bien plus haute valeur », selon lui. Tensions géopolitiques, jeu des puissances, guerres hybrides en cours, accompagnés d’une instrumentalisation du droit peuvent affaiblir les Etats et donc leurs entreprises. Leur défense et leur résilience sont en cause et la confidentialité des juristes peut servir de bouclier.

Une corrélation évidente entre legal privilege, compétitivité et prévention des risques

L’absence de confidentialité des consultations juridiques en France, est un « kidnapping politique », un « mal français » pour Laure Lavorel, présidente d’honneur du Cercle Montesquieu. Elle a aussi rappelé l’enjeu de la compétitivité pour les entreprises au niveau international. « Nous avons intérêt à disposer des mêmes droits que nos concurrents et amis européens. Nous jouons sur un marché unique et il faut se penser européens pour conquérir des marchés à l’export. »

Par ailleurs, dans les classements internationaux, les pays qui sont considérés comme « les plus actifs en matière de prévention des risques et qui ont réussi à exercer une politique efficace anti-corruption ont tous adopté le legal privilege ». « La France est classée 20ème car les opérations de prévention dans les entreprises sont beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre alors même qu’elles sont obligatoires. Il permettrait d’améliorer notre santé éthique et juridique sur la question de l’anticorruption », conclut-elle.

Deux propositions de loi en cours : des différences mais un socle commun

Une proposition de loi du Sénat sur le même sujet est en cours et a été adoptée en première lecture par ce dernier le 14 février. Parallèlement, l’Assemblée nationale a elle aussi déposé une proposition de loi portée par Jean Terlier.

Les deux textes comportent des différences notamment sur la formation. Celui du Sénat prévoit que le juriste doit justifier « du suivi de formations initiale et continue relatives aux obligations attachées à la rédaction de consultations juridiques dispensées par les centres régionaux de formation professionnelle d’avocats ». Celui de l’Assemblée nationale parle « du suivi de formations initiale et continue en déontologie » sans préciser l’organisme de formation.

Mais « le compromis initial est une fusée à trois étages », confirme Jean-Philippe Gille. Le legal privilege est écarté dans les domaines « régaliens » que sont la procédure pénale et fiscale. La « double ligne rouge », c’est-à-dire la création d’une nouvelle profession réglementée et l’attribution du secret professionnel au juriste, n’est pas franchie. Enfin, le legal privilege sera limité aux matières civile, commerciale et administrative.

Les juristes sont proches de leur objectif de toujours et attendent beaucoup du vote de l’Assemblée nationale. « ll n’y aura pas de deuxième tour. Il faudra attendre 5 ans si le vote n’intervient pas le 30 avril. Avec la pression de la conformité d’une part et la pression géopolitique d’autre part, les entreprises et les filiales françaises pourraient réagir et prendre des mesures en conséquence » estime Jean-Philippe Gille. « Certaines pourraient décider de se délocaliser, d’autres de délocaliser leurs services juridiques et leurs dossiers dans des Etats qui ont le legal privilege », a rappelé Laure Lavorel. 

 

Laurine Tavitian

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