Legal privilege : « Il pourra y avoir encore quelques évolutions », D. Verien

Legal privilege : « Il pourra y avoir encore quelques évolutions », D. Verien

07.02.2024

Gestion d'entreprise

Hier, la Commission des lois du Sénat a adopté la proposition de loi de Louis Vogel visant à garantir la confidentialité des consultations juridiques des juristes d'entreprise. Les débats ont été courts puisque seuls trois amendements ont été déposés et adoptés.

La rapporteure du texte, la sénatrice centriste Dominique Vérien, nous explique quelles sont les modifications qu’elle a introduites.

La proposition de loi proposait initialement de donner une définition législative de la « consultation juridique ». Vous l’avez supprimée. Pourquoi ?

Cette définition était susceptible d'entraîner des débats qui n'étaient pas nécessaires, alors que la jurisprudence nous semble bien établie. De la même façon, nous avons supprimé les « responsables de service opérationnelles » de la liste des personnes destinataires des consultations, qui créait une insécurité juridique, car on ne comprenait pas trop ce que cela recouvrait. Ceci alors que ces consultations confidentielles n’ont pas vocation à circuler largement dans l’entreprise.

Pourquoi avoir modifié les procédures de recours en cas de saisie de documents ?

Les autorités administratives nous ont fait part de leur inquiétude à l’idée de se trouver face à des coffres-forts, dont elles n’auraient pu ouvrir la porte. Il fallait éviter aussi que le document contesté reste uniquement dans l’entreprise. Nous avons décidé de passer par un tiers de confiance, qui sera le commissaire de justice. Il saisira l'ensemble des documents. Le juge pourra ensuite trier ce qui est confidentiel de ce qu'il n'est pas, et ce qui relève d’une incitation à frauder plutôt qu'un conseil à ne pas le faire.

Vous créez aussi une procédure distincte pour les demandes de communication. Pourquoi ?

Le texte initial ne prévoyait rien en cas de demande de communication de documents par une autorité. Si l'entreprise considère que des documents relèvent du secret, de la même façon, elle devra les transmettre au tiers de confiance, afin que le juge puisse trancher.

Quelles seront les conditions pour qu’un juriste se voit garantir la confidentialité de ses consultations ?

Nous revenons à un diplôme de master, plutôt qu’une maîtrise, avec des dispositions transitoires pour les juristes exerçant déjà. Nous avons également supprimé la notion de déontologie dans les formations à effectuer. Contrairement à l’avocat, ce qui est couvert par la confidentialité, c’est le document, pas la personne qui le produit. Cette modification c’est aussi pour répondre aux craintes des avocats : car s’il y a déontologie, il faut alors la surveiller et cela entraîne la création d’un ordre. Or, nous ne voulons pas créer une nouvelle profession juridique.

Contrairement aux avocats parisiens, le Conseil national des barreaux a voté une motion pour demander le retrait du texte. Que répondez-vous à leurs craintes ?

La confidentialité sera attachée au document et pas au juriste et nous ne créons pas de nouvelle profession réglementée. Les avocats qui travaillent régulièrement avec les entreprises ont moins de craintes. D’abord, parce que pour les procédures de levée de la confidentialité, l’avocat sera nécessaire pour représenter l’entreprise. De plus, juriste d’entreprise et avocat sont deux activités distinctes et complémentaires. Le juriste a une activité permanente au sein de l’entreprise, lui permettant d’alerter les employeurs sur ce qui ne fonctionne pas comme cela le devrait. Les avocats sont consultés pour d’autres prestations, apportant leur expertise d’intervenant extérieur.

Le texte permettra aussi aux directions juridiques de rester en France plutôt que d'être délocalisées en Belgique ou au Royaume-Uni, où ils seront couverts par le legal privilege. Cela permettra que les clients des avocats restent en France.

Les différents régulateurs relevant de Bercy s’étaient opposés à l’amendement de la loi justice. Quel dialogue avez-vous eu avec eux ?

Nous avons essayé de trouver un équilibre. Nous souhaitons mettre fin à une pratique de pêche au filet, qui permet de saisir des documents pour après regarder où sont les fragilités repérées par les juristes de l’entreprise. Mais nous avons tenu à répondre à leur préoccupation de pouvoir connaître l’existence des documents qui les concernent et qu’ils souhaitent obtenir.

Les restrictions sur le pénal et le fiscal prévues par le texte vous semblent-elles justifiées ?

Sur le pénal, oui. Si quelque chose relève du pénal, cela me paraît assez légitime que cela soit sorti de la confidentialité. L'entreprise ne doit pas d'elle-même se trouver dans une situation pareille.

Sur le fiscal, nous avons maintenu l'exclusion car c'était une demande forte de Bercy. Par ailleurs, ce sont rarement les juristes d'entreprise qui interviennent sur cette matière. Ce sont plus souvent des conseils extérieurs.

Quelle sera la suite du calendrier parlementaire ?

Le texte sera débattu le 14 février en séance au Sénat. Il pourra y avoir encore quelques évolutions pour affiner les procédures, suite aux discussions que nous avons avec le gouvernement. Je ne sais pas quand le texte sera inscrit à l'Assemblée nationale. Toutefois, les débats lors de la loi justice ont permis de cranter le sujet. L’article avait été largement soutenu.

propos recueillis par Pierre Januel

Nos engagements