Les enjeux institutionnels des élections européennes de 2019 : entre recherche de mobilisation de l'électorat et incertitudes contextuelles

24.05.2019

Droit public

Les élections européennes se tiennent dans un contexte houleux, qui rend indispensable la valorisation de la représentativité au sein des institutions européennes

La neuvième élection des représentants au Parlement européen, depuis le premier vote au suffrage universel direct en juin 1979, aura lieu dans tous les Etats membres de l’Union européenne entre le 23 et le 26 mai 2019. En France, la participation à cette élection n’a eu de cesse de décliner depuis quarante ans - excepté une légère hausse en 2014 - malgré l’influence croissante du droit européen sur notre système normatif national.

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Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Paradoxalement, la question européenne occupe une place importante dans les débats politiques nationaux et n’est pas étrangère aux mouvements contestataires qui secouent actuellement certains pays membres de l’Union européenne – dont la France. Ce contexte électoral, également marqué par les incertitudes liées au « Brexit », pourrait conduire à une importante redistribution des sièges des eurodéputés entre les huit familles politiques européennes actuellement présentes au Parlement.

A ce contexte particulier s’ajoute le fait que les élections des représentants au Parlement européen ouvrent une séquence exceptionnelle de six mois pour l’Union européenne, au cours de laquelle les institutions verront leurs présidences respectives renouvelées. Outre la désignation de nouveaux eurodéputés, l’élection du 26 mai 2019 pèsera sur la désignation du futur Président de la Commission européenne. Ce sont ensuite les nouveaux Présidents du Conseil européen et de la Banque Centrale Européenne, succédant respectivement à M. Donald Tusk et M. Mario Draghi, qui devront être désignés à l’automne.

La démocratisation du renouvellement des institutions européennes

Avant les élections européennes de 2014, les chefs d’Etats et les gouvernements européens désignaient de manière discrétionnaire le Président de la Commission européenne, faisant de ce choix une question éminemment diplomatique et stratégique. Le poids du Parlement dans cette désignation s’est toutefois progressivement accru, afin de répondre aux aspirations d’une Europe plus transparente et plus démocratique.

Initialement, selon les termes du Traité de Maastricht de 1992, le Parlement ne prenait aucune part active dans le processus de sélection du futur candidat à la Présidence de la Commission : il devait simplement être consulté. Le traité d’Amsterdam de 1997 a ensuite renforcé le rôle du Parlement en soumettant à son approbation le candidat pressenti.

A l’occasion des élections des représentants au Parlement européen de 2014, ce mode de désignation a de nouveau évolué, au gré, non pas d’un amendement textuel mais d’une volonté d’affirmation du Parlement. S’appuyant sur l’article 17, 7 du Traité sur l’Union européenne – institué par le Traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009 – d’après lequel le Conseil européen doit proposer au Parlement un candidat à la fonction de Président de la Commission européenne "en tenant compte des élections au Parlement européen " les groupes politiques ont chacun entrepris de désigner en leurs seins un candidat ayant vocation à présider la Commission en cas de victoire de leur parti.

Ce nouveau mode de désignation, dit « Spitzenkandidaten » –  pouvant être traduit par « tête de liste » – est guidé par une logique de politisation des institutions et confère aux élections européennes une dimension nouvelle. Les électeurs peuvent désormais exprimer leur préférence non seulement pour un groupe politique au sein du Parlement européen, mais également pour le candidat appelé à diriger la Commission, puissante institution européenne.

Cette nouvelle pratique s’est traduite, en 2014, par la nomination à la présidence de la Commission en 2014 de M. Jean-Claude Juncker, alors tête de liste du parti vainqueur « le Parti populaire européen » – composé des élus français du parti « Les Républicains ».

A ce jour, six des huit familles politiques composant le Parlement européen ont désigné leur « Spitzenkandidaten ». Un débat entre ces différentes personnalités a d’ailleurs été organisé dans le cadre de la campagne électorale de 2019. Malgré les réticences des chefs d’Etat et de gouvernements, qui se voient ainsi dépossédés de leurs prérogatives initiales, tout porte à croire que la majorité politique désignée au Parlement sera de nouveau légitime pour revendiquer la présidence de la Commission, cristallisant ainsi la pratique de 2014.

Ce nouveau mécanisme électoral renforce le pouvoir, le poids et l’influence du Parlement – seule institution de l'Union européenne jouissant de la légitimité démocratique que confère le suffrage universel direct. En outre, cette pratique aura inévitablement pour effet de « politiser » davantage les institutions de l’Union européenne et de garantir au citoyen un pouvoir de décision accru à l’égard de deux institutions majeures de l’Union.

Néanmoins, il n’est pas certain que cette évolution notable – mais peu connue du grand public et à la lisibilité parfois approximative pour les électeurs – suscite un réel regain d’intérêt des citoyens pour les élections.

La centralisation en France des listes électorales européennes et la refonte des règles de cumul

Dans le cadre d’une recherche de mobilisation de l’électorat, l’Etat français, soucieux de rapprocher ses citoyens de l’Union européenne, a décidé de revenir au système d’une circonscription unique pour les élections de 2019 (v. notre article « Election des représentants au Parlement européen : vers une meilleure représentativité » du 2 juill. 2018). Ce système – majoritaire au sein de l’Union européenne – avait été abandonné par la France en 2003 au profit d’une répartition des sièges des eurodéputés entre huit circonscriptions régionales.

Or, le découpage de ces circonscriptions, déterminé en fonction de la population, est devenu totalement artificiel à la suite de la fusion des régions par la loi n°2015-29 du 16 janvier 2015. Par ailleurs, l’objectif affiché de rapprocher les citoyens français de l’Union européenne en proposant des listes « locales » et de leur permettre de mieux défendre leurs intérêts, n’a pas été atteint. Cette mesure s’est même avérée contreproductive, en privilégiant les partis politiques les plus importants, seuls disposant des ressources nécessaires pour présenter des listes de candidats dans les huit circonscriptions et y mener campagne localement. Ce système à huit circonscriptions a été mis en œuvre pour les élections de 2004, 2009 et 2014, qui ont enregistré un taux de participation faible.

Le retour à la circonscription unique aura-t-il l’effet escompté de remobilisation de l’électorat ? Le doute est permis. Cet objectif pourrait être sérieusement contrarié par l’interdiction du cumul de mandats, désormais applicable aux candidats aux élections européennes en vertu de la loi organique n°2014-125 du 14 février 2014, et en vigueur depuis 2017 pour les députés et sénateurs.

Il est dès lors possible d’anticiper que les candidats présentés dans les listes uniques ne seront guère plus identifiables pour les électeurs qu’à l’époque des circonscriptions régionales. En revanche, cette règle de non-cumul offrira la possibilité à de nouveaux citoyens de soumettre leur candidature, endiguant corrélativement, dans une certaine mesure, le phénomène de « politiciens professionnels », qui pouvaient être tentés de briguer mandat européen par calcul politique davantage que par conviction.

Désormais, les fonctions d’eurodéputé sont incompatibles avec les fonctions de parlementaire national (C. élect., art. L. O. 137-1), ainsi qu’avec l’ensemble des fonctions mentionnées aux articles L. O. 141-1 et L. O. 147-1 du code électoral. Une tolérance existe en matière de cumul – à condition de ne pas exercer plus d'un mandat électoral – pour les fonctions suivantes : conseiller régional, conseiller à l'Assemblée de Corse, conseiller départemental, conseiller de Paris, conseiller de l'Assemblée de Guyane, conseiller de l'Assemblée de Martinique, conseiller municipal d'une commune de 1 000 habitants et plus. En cas d’incompatibilité avérée, les élus ont l'obligation d'abandonner leur mandat le plus ancien.

Le remaniement des sièges du Parlement européen à la suite du « Brexit »

Contrairement à ce qu’avait anticipé Mme Theresa May, aucun accord sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne n’a pu aboutir et les Britanniques participeront bien aux élections européennes de mai 2019. La survenance très probable – du « Brexit » aura néanmoins un impact à court terme sur l’organisation et la composition du Parlement européen.

En l’état actuel des négociations, si aucun accord n’est conclu d’ici le 2 juillet 2019, date de prise de fonctions des députés européens, les députés britanniques devront siéger au Parlement jusqu’au 31 octobre 2019, date limite fixée par l’Union Européenne pour la ratification d’un accord de sortie par le Parlement britannique.

La décision 2018/937 du 28 juin 2018 du Conseil européen prévoit qu’à l’issue du « Brexit », une partie des sièges au Parlement européen du Royaume-Uni sera réattribuée aux autres États. Cette nouvelle répartition bénéficiera à la France, laquelle gagnera cinq sièges supplémentaires, passant de 74 à 79 représentants à élire.

Dans un premier temps, seuls 74 représentants français siègeront au Parlement les 5 candidats élus de la 75e à la 79e place entreront quant à eux en fonction à la date du retrait effectif du Royaume-Uni de l’Union européenne (v. notre article «  Cinq eurodéputés supplémentaires pour la France après le Brexit » du 23 mai 2019).

Si ce contexte induit des complications organisationnelles surmontables, l’absurdité de l’organisation même de ces élections au Royaume-Uni est notable et indéniablement vectrice de perte de sens pour les électeurs européens. Il traduit en effet dans l’opinion publique européenne – à tort ou à raison – l’inertie et la complexité de l’Union européenne.

Matthieu RAGOT et Julia ESTRADE, Avocats à la Cour, DGA Guide Pratique des Élections
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