Les greffes exceptionnelles

07.04.2020

Droit public

Le cadre juridique et financier adapté aux greffes dites exceptionnelles est en voie de finalisation.

Un décret du 27 mars 2020 fixe le régime d’autorisation et les conditions de prise en charge par l’assurance maladie des activités de greffes exceptionnelles d’organes ou de tissus ou de greffes composites exceptionnelles de tissus vascularisés.
Sont visées des greffes innovantes nécessitant de nombreux spécialistes et des compétences pointues, telles que, pour prendre quelques exemples, les greffes de la face ou des extrémités, ou bien encore du larynx, de l’utérus ou de la paroi abdominale. Ces greffes sont complexes et coûteuses au niveau des actes chirurgicaux et médicaux mais aussi au niveau des soins de suivi. Le processus de rééducation et d'appropriation dure en effet plusieurs années. En France, et jusqu’à présent, des greffes de ce genre ont pu être réalisées dans le cadre de projets de recherche et non en routine.
Afin de permettre la prise en charge de telles interventions et d'éviter que des patients n’aient à subir des pertes de chance, le besoin s’est fait sentir de créer un cadre juridique et financier particulier, adapté à ces greffes dites exceptionnelles. Pour ce faire, l’on n’a pas attendu la réforme des lois de bioéthique bien que ces greffes soient de nature à poser des interrogations multiples, y compris sous un angle éthique.
C’est par la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017 qu’un cadre législatif a dans un premier temps a été esquissé (art. 81). Celle-ci a inséré dans le code de la sécurité sociale un article L. 162-30-5 accordant aux agences régionales de santé (ARS), par dérogation aux articles L. 6122-1 et L. 6122-2 du code de la santé publique, et après avis conforme d'un comité national constitué à cet effet, le pouvoir d’autoriser, pour une durée maximale de cinq ans, des établissements de santé à pratiquer des activités de greffes exceptionnelles d'organes ou de tissus ou de greffes composites exceptionnelles de tissus vascularisés. Le texte légal prévoit également que la prise en charge relevant d'une activité de greffe exceptionnelle est assurée par un forfait qui inclut les frais d'hospitalisation, les produits de santé et les prestations associés. Les praticiens exerçant à titre libéral sont rémunérés par l'intermédiaire de l'établissement de santé.
Pour les modalités de prise en charge, il est renvoyé à des arrêtés des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. Pour la détermination des conditions et modalités des autorisations ainsi que les règles relatives à la constitution, à la composition et au fonctionnement du comité national, il est en revanche renvoyé à un décret en Conseil d’Etat. Tel est précisément l’objet du décret rapporté.
Le décret du 27 mars 2020 a été pris après un avis favorable de la Haute Autorité de santé (HAS) en date du 12 février 2020 (avis n° 2020.0014/AC/SEAP). La HAS a cependant formulé des réserves et des suggestions qui ne semblent pas avoir retenu l’attention du Gouvernement.
Le décret entrera en vigueur à compter de la publication de l’arrêté prévu à l’article R. 6123-82 du code de la santé publique et au plus tard le 1er septembre 2020.
Conditions et modalités d’autorisation des activités de greffes exceptionnelles
Le décret fixe le cadre réglementaire de ce type de greffe dans le code de la santé publique, avec le cas échéant des renvois au code de la sécurité sociale. L’article R. 6122-25, 8°, est complété par une référence aux greffes exceptionnelles et une section nouvelle leur est consacrée aux articles R. 6123-82 à R. 6123-85-2.
Le texte définit d’abord les greffes exceptionnelles. Il s’agit de greffes répondant à des indications médicales rares ayant pour objet un organe ou des tissus ou une greffe composite de tissus vascularisés, non usuellement greffés dans le cadre de l’article L. 1234-2 ou de l’article L. 1243-6 du code de la santé publique ou de l’activité mentionnée au 8° de l’article R. 6122-25 et qui associent la transplantation d’organes ou parties d’organes, de tissus ou de tissus vascularisés, provenant d’un donneur vivant ou décédé, et des techniques de conservation ou de traitement immunologique spécifique en lien avec le caractère exceptionnel de la greffe. A noter que la liste précise des greffes exceptionnelles doit être précisée par un arrêté du ministre chargé de la santé.
Le texte règlementaire distingue toutefois deux catégories de greffes exceptionnelles : celles ayant préalablement fait, dans les indications considérées, l'objet de recherches impliquant la personne humaine validant leur sécurité, et celles qui n’ont pas encore fait l’objet de telles recherches (C. santé publ. art. R. 6123-82).
Les deux catégories ont en commun de pouvoir être pratiquées dans des établissements de santé autorisés à effectuer des greffes d’organes en application de l’article L. 1234-2 du code de la santé publique (v. art. R. 6123-83 et pour les détails et mentions de l’autorisation : art. R. 6123-83-1 à R. 6123-83-4). La demande d’autorisation devra être adressée au directeur général de l’ARS par l’établissement de santé concerné, au moyen d’un dossier dont la composition sera définie par un arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. L’autorisation sera délivrée pour une durée de cinq ans par le directeur général de l’ARS, après avis conforme du comité national constitué à cet effet (C. santé publ. art. R. 6123-83-5). C’est l’un des points sur lesquels la HAS n’a pas été entendue. Celle-ci préconisait plus de souplesse en visant la délivrance d’une autorisation pour une durée maximale de cinq ans, conformément d’ailleurs à la formulation retenue par le législateur pour la rédaction de l’article L. 162-30-5 du code de la sécurité sociale (supra). En effet, une durée maximale de cinq ans ne signifie pas nécessairement une durée de cinq ans, à la différence de ce que prévoit le décret, ce qui place ce dernier en porte à faux avec la loi. 
Cela dit, les greffes exceptionnelles n’ayant pas fait l’objet de recherches préalables impliquant la personne humaine validant leur sécurité sont soumises à des conditions cumulatives supplémentaires. Elles ne peuvent être pratiquées qu’en l’absence d’alternative thérapeutique, en cas de situation engageant le pronostic vital du patient ou impliquant un risque de handicap majeur, et s’il existe à leur égard une présomption d’efficacité et de sécurité fondée sur l'état des connaissances scientifiques. Par ailleurs, si l’autorisation est accordée, l’établissement autorisé doit mettre en œuvre dans les meilleurs délais les recherches impliquant la personne humaine permettant de valider, dans l’indication considérée, la sécurité de la prise en charge réalisée (C. santé publ. art. R. 6123-82). Ici encore, l’avis de la HAS ne semble pas avoir été suivi. Celle-ci préconisait, non point une autorisation octroyée par type de greffe et par indication ou situation concernée, quel que soit le nombre de patients concernés, mais une autorisation au cas par cas pour chaque patient nommément désigné susceptible de bénéficier d’une greffe non préalablement validée par des recherches. Elle proposait également la mise en place d’un suivi de chaque patient intégrant un recueil de données portant sur la sécurité et l’efficacité de l’intervention, notamment en ce qui concerne la qualité de vie.
Comité national ad hoc
C’est la loi, dans l’article L. 162-30-5 du code de la sécurité sociale, qui a prévu de soumettre l’autorisation délivrée par l’ARS de pratiquer des greffes exceptionnelles à un avis préalable conforme d'un comité national. Le décret rapporté en fixe la composition (sept membres) et le fonctionnement (C. santé publ. art. R. 6123-84 à R. 6123-84-2).
Il est présidé par le directeur général de l’offre de soins (ou son représentant) et son secrétariat est assuré par l’Agence de la biomédecine (ABM). Une fois de plus, la HAS n’a pas été entendue, du moins sur la composition du comité national. Compte tenu des aspects éthiques inhérents aux activités de greffes, la présence du président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) parmi les membres du comité national lui paraissait souhaitable. Le décret rapporté, qui ne le mentionne pas parmi les membres du comité national, n’a donc pas retenu la suggestion de la HAS, ce qui peut surprendre en raison de la dimension éthique des greffes d’organes, de tissus ou de cellules sur l’être humain, a fortiori s’agissant de greffes exceptionnelles, si lourdes dans leur réalisation et leurs conséquences.
Reste à souligner que l’établissement de santé titulaire d’une autorisation de pratiquer des greffes exceptionnelles aura à adresser chaque année à l’ARS, à la direction générale de l’offre de soins et à l’ABM, un rapport d’activité et d’évaluation (C. santé publ. art. 6123-85-1).

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies
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