Levothyrox : quid de la juridiction compétente ?

18.06.2019

Droit public

La Cour de cassation renvoie au Tribunal des conflits la question de savoir quelle est la juridiction compétente pour trancher le litige opposant le laboratoire pharmaceutique aux victimes d'effets secondaires de la nouvelle formule du Levothyrox.

La Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi concernant l’un des litiges opposant plusieurs personnes au fabricant et à l’exploitant de la nouvelle formule du Levothyrox (les sociétés Merck Santé et Merck Serono). Par un arrêt du 5 juin 2019, la première chambre civile renvoie l’affaire au Tribunal des conflits afin de trancher une question de compétence juridictionnelle.
 
Les demandeurs estimaient que la nouvelle formule du médicament est à l’origine d’effets secondaires indésirables et ont obtenu du juge des référés du TGI de Toulouse, dont l’ordonnance a été confirmée en appel, que les laboratoires Merck délivrent, sans délai et sous astreinte, l’ancienne formule du médicament, par voie d’importation de la spécialité Euthyrox, correspondant à l’ancienne formule.
 
A la demande de la ministre de la santé, la société Merck avait précédemment obtenu, le 19 septembre 2017, l’autorisation de l’ANSM, à titre exceptionnel et pour une durée maximale d’un an, d’importer un certain nombre d’unités d’Euthyrox, tout en autorisant la distribution et la mise sur le marché en France d’autres spécialités pharmaceutiques à titre d’alternatives thérapeutiques.
 
Parallèlement, le Conseil d’Etat a rejeté une requête en référé liberté considérant qu’il n’existait aucune carence caractérisée de la ministre de la santé portant une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale de recevoir les traitements et les soins jugés médicalement les plus appropriés (CE, 13 déc. 2017, n° 415207). Il a également confirmé une ordonnance rejetant, faute d’urgence, une requête en référé liberté visant à obtenir le maintien pérenne de la fabrication et de la commercialisation de l’ancienne formule, aucune carence caractérisée n’ayant pu être reprochée aux autorités sanitaires (CE, 26 juill. 2018, n° 422237).
 
Une exception d’incompétence de la juridiction judiciaire ayant été soulevée par les laboratoires Merck, la Cour de cassation rappelle que la juridiction administrative est compétente pour connaître des recours dirigés contre les décisions de police prises par l’ANSM en matière de commercialisation des médicaments, ainsi que des actions qui, bien qu’opposant des personnes privées, tendent à la remise en cause de telles décisions et impliquent une immixtion dans l’exercice du pouvoir de police dévolu à cette autorité.
 
Elle estime cependant que si la mesure sollicitée en l’espèce - l’injonction de commercialiser l’ancienne formule - peut conduire, pour sa mise en œuvre, à ce que l’ANSM use de ses prérogatives en matière de police sanitaire et délivre de nouvelles autorisations, elle vise d’abord à ce qu’il soit enjoint à un producteur de médicaments de reprendre la distribution d’une spécialité pharmaceutique, laquelle ne constitue pas, par elle-même, une mesure de police sanitaire dont le contentieux relève de la compétence du juge administratif.
 
Considérant que le litige présente une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse, elle décide donc de surseoir à statuer et de saisir le Tribunal des conflits.
 
Le raisonnement de la Cour de cassation s’appuie sur le fait que la mesure tend à obtenir de l’ANSM, non seulement qu’elle autorise la mise sur le marché de l’ancienne formule du Levothyrox sur le fondement de l’article L. 5121-9-1 du code de la santé publique (en application duquel lorsqu’un médicament est autorisé dans un autre Etat membre de l’Union européenne ou un Etat partie à l’EEE, mais qu’il ne fait l’objet en France ni d’une AMM ni d’une demande en cours d’instruction en vue d’une telle autorisation, l’ANSM peut, pour des raisons de santé publique justifiées, autoriser la mise sur le marché de ce médicament), mais également qu’elle enjoigne au laboratoire de commercialiser effectivement l’ancienne formule du médicament.
 
On peut souligner qu’une telle mesure implique nécessairement l’exercice d’une prérogative de puissance publique dévolue à un établissement public à caractère administratif et dont il reviendrait, en principe, à la juridiction administrative de connaître. Il restera ensuite à savoir si l’ANSM dispose légalement de la faculté d’ordonner au laboratoire la commercialisation pérenne de l’ancienne formule.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Jérôme Peigné, Professeur à l'université Paris Descartes
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