L’examen du projet de loi relatif à l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental débute au Parlement

17.09.2021

Droit public

Le projet de loi relatif à l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, initié par le ministère de la justice suite à l’affaire Sarah Halimi, a débuté à l’Assemblée nationale. Il prévoit d’exclure l’intoxication volontaire en vue d’abolir son discernement pour commettre une infraction du champ de l’article 122-2 du code pénal, et créer un délit d’intoxication volontaire préalable à la commission d’une infraction contre l’intégrité des personnes.

Le projet de loi annoncé par le garde des sceaux suite à l’affaire Sarah Halimi a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale durant l’été. Son examen aura lieu cet automne en procédure accélérée. On rappellera que Sarah Halimi, de confession juive, avait été victime d’un homicide volontaire commis par un de ses voisins qui, après avoir consommé de fortes quantités de cannabis, avait subi un délire psychotique qui l’avait amené à rouer de coup puis à défenestrer sa voisine parce qu’il croyait qu’elle était Satan. Les juridictions du fond avait prononcé une décision d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Malgré le caractère volontaire de l’intoxication ayant conduit à l’abolition du discernement, la Cour de cassation avait considéré que l’irresponsabilité pénale pouvait être retenue dès lors que « les dispositions de l'article 122-1, alinéa 1er, du code pénal, ne distinguent pas selon l'origine du trouble psychique ayant conduit à l'abolition de ce discernement » (Cass. crim., 14 avr. 2021, n° 20-80.135). Cette solution ayant provoqué un grand émoi dans la société, le président de la République avait manifesté son souhait qu’une telle situation ne demeure pas en dehors du champ de la répression pénale. Le ministère de la justice avait emboîté le pas à cette volonté. Suite à une phase de préparation, le projet de loi a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale à la mi-juillet. Il prévoit essentiellement deux propositions de modifications de la loi.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

Découvrir tous les contenus liés

Exclusion de l’intoxication « pour se donner du courage » du champ de l’article 122-1 du code pénal

La première est de créer un article 122-1-1 du code pénal, qui disposerait : « Le premier alinéa de l’article 122‑1 [relatif à l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental] n’est pas applicable si l’abolition du discernement de la personne ou du contrôle de ses actes au moment de la commission d’un crime ou d’un délit résulte de ce que, dans un temps très voisin de l’action, la personne a volontairement consommé des substances psychoactives dans le dessein de commettre l’infraction ou une infraction de même nature ou d’en faciliter la commission. » Le projet cherche ainsi à exclure du champ de l’irresponsabilité pénale la situation dans laquelle un individu à ingéré une substance supprimant son discernement afin de l’aider à commettre une infraction en lui enlevant ses appréhensions, ses scrupules ou sa compréhension des risques qu’il prend. On avance souvent comme exemple les drogues que certains mouvements terroristes font ingérer aux candidats à des attentats suicide, comme le captagon, qui aurait été utilisé lors des attentats de novembre 2015 à Paris. Cette drogue est une variété d’amphétamine qui entraîne une résistance à la fatigue, une vigilance accrue, une perte de jugement et donne à celui qui la consomme une impression de toute puissance. Ce texte, cependant, ne serait pas une véritable innovation. Il ne fait que reprendre une solution déjà admise en doctrine selon laquelle l’individu qui ingère un produit pour se donner du courage en vue de commettre une infraction ne peut échapper à la responsabilité pénale dans la mesure où tous les éléments de l’infraction (matérialité et intentionnalité) sont bel et bien réunis dans l’esprit de l’auteur de ce projet criminel bâti par avance. Par ailleurs, il ne répond pas à la situation de l’affaire Halimi, dans laquelle l’auteur des faits n’était pas un terroriste et n’avait pas ingéré le cannabis ayant causé son délire psychotique dans le but de commettre une infraction mais pour calmer de fortes angoisses.

Création d’un délit d’intoxication volontaire ayant conduit à des atteintes à l’intégrité des personnes

La seconde partie du texte, qui propose la création d’un nouveau délit d’atteinte à la vie résultant d’une intoxication volontaire, vise plus précisément à s’adresser au cas présenté par l’affaire Halimi. Ce texte ne remet pas en cause la possibilité de prononcer une décision d’irresponsabilité pénale dans un cas comparable, mais introduit une répression de l’acte d’intoxication volontaire ayant favorisé la commission d’une atteinte à l’intégrité d’autrui. Le parangon de ce nouveau délit est fourni par un nouvel article 221-5-6 du code pénal qui prévoirait qu’est « puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende le fait pour une personne d’avoir consommé volontairement, de façon illicite ou manifestement excessive, des substances psychoactives en ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de la conduire à commettre des atteintes à la vie ou à l’intégrité d’autrui, lorsque cette consommation a entraîné un trouble psychique ou neuropsychique temporaire sous l’empire duquel elle a commis un homicide volontaire dont elle est déclarée pénalement irresponsable en application du premier alinéa de l’article 122‑1. » Un texte rédigé de manière comparable mais fulminant des peines inférieures est prévu (nouvel article 222-18-4 du code pénal) lorsque l’atteinte à la victime consiste en des violences volontaires ayant entraîné la mort (sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende), une mutilation ou une infirmité permanente (5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende) ou une incapacité totale de travail de plus de 8 jours (deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende). Par ailleurs, pour chacune de ces situations, une aggravation des peines maximales encourues est prévue lorsque le condamné a préalablement fait l’objet d’une décision d’irresponsabilité pénale suite à consommation de substances psychoactives.

Ce texte semble ainsi offrir une réponse plus congrue à l’affaire Halimi. Mais, comme toutes les autres propositions ayant déjà été énoncées concernant cette affaire, il semble se heurter à certains écueils. Le principal problème tourne autour de la caractérisation des éléments de cette nouvelle infraction dont la consommation requiert la démonstration, comme pour toute infraction pénale, de l’existence d’un élément matériel – la consommation d’une substance psychoactive par une personne – et d’un élément psychologique – la connaissance de ce que cette consommation est susceptible de la conduire à commettre des atteintes à la vie ou à l’intégrité d’autrui. Si la preuve du premier élément semble assez simple, celle du second paraît complexe. Comment démontrer qu’un individu consommant du cannabis sans intention dolosive préalable à l’égard de quiconque, avait néanmoins connaissance de sa capacité à commettre des violences sur autrui après ingestion du produit ? Sauf à démontrer l’existence d’antécédents violents dans des circonstances comparables (par exemple des violences conjugales dans un contexte d’alcoolisation chronique), l’incrimination pourrait échouer à opérer son œuvre répressive dans nombre de situations pour lesquelles elle semble pourtant conçue. Par exemple, dans l’affaire Halimi le dossier faisait certes apparaître des antécédents de comportements violents liés à la personnalité de l’auteur, mais pas nécessairement liés à des épisodes de consommation de cannabis. En effet, le cannabis est une drogue plutôt connue, à la base, pour amollir les pensées, réflexes et actions des individus que pour exacerber les tensions violentes. Dès lors, dans quelle mesure peut-on présumer chez l’auteur des faits sa capacité à déduire, de la connaissance de sa capacité à commettre des violences, sa connaissance avant les faits de ce que sa consommation de cannabis est susceptible de le conduire à commettre d’autres violences ?

Par ailleurs, en l’absence d’antécédents de violences et/ou de consommation de toxiques chez un individu auteur de tels faits, comment établir cette connaissance exigée par le texte ? La preuve de l’élément intentionnel de l’infraction pourrait assez facilement être mise en échec. Il n’en resterait pas moins que, en l’absence de la démonstration d’une telle connaissance chez l’auteur des faits, un ultime fondement demeure possible pour la répression, celui des violences ou homicide involontaires. En effet, des faits de consommation de toxiques, a fortiori lorsque ceux-ci constituent une substance illégale comme le cannabis, peuvent a minima recevoir la qualification d’imprudence ou même de faute délibérée au sens des articles 121-3 du 221-6 du code pénal (l’avocate générale près la Cour de cassation avait soutenu une position en ce sens dans son avis relatif à l’affaire Halimi). Mais une telle solution ouvrirait sans doute à de nouvelles contestations et tensions sociétales, les victimes directes ou indirectes ne pouvant vraisemblablement pas se satisfaire d’une aussi faible coloration pénale des faits (l’homicide involontaire par faute délibérée, dans ce genre de situation, est puni de 5 ans d’emprisonnement maximum).

Dans tous les cas, il semble bien que ce projet de loi ouvre à la pratique judiciaire un nouveau champ de débats qui ne simplifiera peut-être pas la lecture juridique à donner à de telles situations.

Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
Vous aimerez aussi

Nos engagements