L’article 205 de la loi de finances pour 2023 procède, à compter du 1er janvier 2024, à un transfert de compétences de l’ANSM vers l’ANSES et la DGCCRF en matière de produits cosmétiques et de produits de tatouage.
Passé relativement inaperçu, l’article 205 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 introduit un changement notable dans le secteur des produits cosmétiques et des produits de tatouage. En effet, à compter du 1er janvier 2024, ces deux catégories de produits ne seront plus considérées comme des produits de santé, au sens de l’article L. 5311-1 du code de la santé publique.
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
Découvrir tous les contenus liés
Notion de produits de santé
Apparue formellement avec la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 ayant institué l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), la notion de produits de santé a pour principale fonction de ranger, sous le même concept générique, différentes sortes de produits ayant trait à la santé humaine et de déterminer, par suite, le champ de compétence ratione materiae de l’autorité de police et de surveillance qu’est l’ANSM (qui a succédé à l’AFSSAPS en application de la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011).
Le législateur n’a pourtant pas défini ce qu’était un produit de santé. Il s’est contenté de dresser une liste de produits sous l’article L. 5311-1 du code de la santé publique. Pour la plupart, ces produits sont des produits réglementés, avec un statut généralement établi par une directive ou un règlement de l’Union européenne.
La liste des produits de santé, dont l’énumération a été plusieurs fois modifiée depuis 1998, offre un catalogue assez hétérogène de produits, certains étant d’ailleurs des biens manufacturés (médicaments, dispositifs médicaux…), alors que d’autres sont des éléments issus du corps humain (produits sanguins, tissus et cellules d’origine humaine, lait maternel…).
À l’origine, la loi avait introduit une distinction terminologique entre « les produits à finalité sanitaire destinés à l’homme » et « les produits à finalité cosmétique », cette précision indiquant que tous les produits de santé ne poursuivent pas nécessairement une finalité sanitaire immédiate, mais que certains peuvent être dotés d’une finalité esthétique, comme les produits cosmétiques et les produits de tatouage.
Les produits cosmétiques sont actuellement régis par le règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement et du Conseil du 30 novembre 2009 et en droit interne par les articles L. 5131-1 à L. 5131-8 du code de la santé publique. Ils ne sont pas mentionnés parmi les produits faisant l’objet d’une compétence partagée de l’Union européenne dans le domaine de la santé, au titre de l’article 168 du TFUE.
Les produits de tatouage (qui ne peuvent pas être regardés comme des produits cosmétiques puisqu’ils impliquent une effraction cutanée) sont une catégorie strictement nationale : ils ont été consacrés par la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 dans le but de les soumettre à un contrôle de la puissance publique et de prévenir les risques liés à leur utilisation, sur un modèle proche du régime des produits cosmétiques (C. santé publ., art. L. 513-10-1 à L. 513-10-10).
Suppression des produits cosmétiques et des produits de tatouage de la liste des produits de santé
Le fait de ranger ces deux catégories de produits parmi les produits de santé a pu poser quelques problèmes par le passé. Ainsi, quand la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 a mis en place un dispositif de prévention et de gestion des conflits d’intérêt dans le domaine de la santé à la suite de « l’affaire du Mediator », les entreprises produisant et commercialisant les produits cosmétiques ou les produits de tatouage se sont retrouvées soumises aux règles sur la transparence des liens d’intérêt (C. santé publ., art. L. 1453-1). La pression exercée par l’industrie cosmétique, mécontente d’une telle contrainte, avait alors conduit le gouvernement à édicter un décret d’application organisant une exemption pour les entreprises de ce secteur. Cette exception, introduite sans fondement légal par le décret n° 2013-414 du 21 mai 2013, a été censurée par le Conseil d’État (CE, 24 févr. 2015, n° 369074). En réaction, la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 a finalement instauré un régime distinct pour les entreprises produisant et commercialisant des produits cosmétiques et des produits de tatouage, le décret n° 2016-1939 du 28 décembre 2016 ayant concrétisé cette dérogation (C. santé publ., art. R. 1453-2).
Ce genre de péripéties juridiques ne devrait plus avoir lieu à l’avenir, dans la mesure où l’article 205 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 supprime les produits cosmétiques et les produits de tatouage de la liste des produits de santé visée à l’article L. 5311-1 du code de la santé publique.
À compter du 1er janvier 2024, l’autorité de surveillance du marché (au sens de l’article 22 du règlement (CE) n° 1223/2009) ne sera plus l’ANSM, mais l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation mentionnée à l’article L. 522-1 du code de la consommation (la DGCCRF et les DDETSPP ou les DDPP selon les départements). En revanche, l’autorité compétente en matière de cosmétovigilance, de communication d’informations sur les substances et de conservation du dossier d’information sur le produit sera l’ANSES.
À compter de la même date, les produits de tatouage ne seront plus soumis au contrôle de l’ANSM, mais à celui de l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation (la DGCCRF, les DDETSPP ou les DDPP). L’autorité compétente en matière de vigilance sera également l’ANSES.
Les déclarations d’établissement effectuées auprès de l’ANSM avant le 1er janvier 2024 demeurent valables, de même que les certificats de conformité aux bonnes pratiques de fabrication ou aux bonnes pratiques de laboratoire régulièrement délivrés avant cette date, et ce jusqu’à l’expiration de leur durée de validité.
Quid de l’action de groupe impliquant des produits cosmétiques ou des produits de tatouage ?
Une dernière remarque mérite d’être apportée à ce stade. La notion de produits de santé est parfois invoquée par le législateur ou la jurisprudence. On peut citer, à ce dernier titre, la jurisprudence Marzouk au terme de laquelle le Conseil d’État a introduit un régime de responsabilité sans faute du service public hospitalier en raison de la défaillance des produits de santé qu’il utilise (CE, 9 juill. 2003, n° 220437), y compris lorsqu’il s’agit de leur implantation (CE, 25 juill. 2013, n° 339922).
Sur le plan législatif, la notion de produits de santé intéresse tout aussi directement le droit de la responsabilité, puisque l’action de groupe introduite en matière de santé par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 s’applique explicitement aux « produits mentionnés au II de l’article L. 5311-1 » (C. santé publ., art. L. 1143-2). Faut-il en déduire qu’aucune action de groupe ne pourra à l’avenir impliquer des produits cosmétiques ou des produits de tatouage ?
L’article 205 de la loi de finances pour 2023 prévoit que le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi, les mesures visant à mettre en cohérence les codes et les lois non codifiées avec les dispositions ayant sorti les produits cosmétiques et les produits de tatouage du périmètre des produits de santé.
Jérôme Peigné, Professeur à l'Université Paris Cité (Institut Droit et santé)