Dans son édition du 18 août 2022, le site « The conversation » a publié une tribune de deux médecins qui reviennent sur une pratique dénoncée à intervalles réguliers bien qu’elle soit difficile à évaluer en raison de son caractère clandestin, à savoir les trafics d’organes à l’échelle internationale, eux-mêmes issus des progrès fulgurants de la greffe et de l’inadéquation de l’offre à la demande qu’ils contribuent à créer. Un véritable marché se développe, qui alimente aussi l’imaginaire littéraire (voir par exemple O. Tokarczuk, Histoires bizarroïdes, Babelio, 2020, p. 81 et s.) par lequel des personnes malades aisées, ressortissantes de pays dont le système de transplantation est défectueux, se font greffer des organes prélevés sur des personnes vulnérables. Si l’article se concentre sur une situation très particulière, le prélèvement forcé d’organes sur des condamnés à mort chinois, la pratique consistant pour une personne économiquement défavorisée à se priver contre paiement d’un de ses organes en passant par des circuits douteux ne se développe pas qu’en Chine, car partout dans le monde, sauf en Iran, il n’est permis de vendre ses organes. Nous avons donc affaire là affaire à un trafic classique, quoique portant sur un objet particulier, qui se développe sur fond d’interdiction générale. Or précisément en raison de la nature de l’objet, alors même que dans d’autres domaines comme la drogue ou la prostitution, la question d’une diminution du trafic illicite par un assouplissement de l’interdit est régulièrement soulevée, en matière d’organes la dynamique est au renforcement de la prohibition (voir M.-F. Mamzer-Bruneel et C.Hervé, « Trafic d’organes », Cités, 2016/1 (n° 65), p. 41-52). En témoigne la loi n° 2022-1032 du 22 juillet 2022 qui autorise la ratification par la France de la convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains, adoptée rapidement et de façon consensuelle. Un projet de loi (n° 4338), comportant un article unique, avait été déposé par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères le 13 juillet 2021, sur la base duquel la commission des affaires étrangères avait mené ses travaux (Rapport n° 4708 de Madame Ramlati Ali, fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 24 novembre 2021). A l’unanimité, le 27 janvier 2022, l’Assemblée nationale avait adopté le texte (n° 771) qui, une fois transmis au Sénat (n° 414), n’a fait l’objet que d’une lecture et a été adopté sans modification par la procédure simplifiée (rapport n° 509 de Madame Marie-Arlette Carlotti, déposé le 16 février 2022 ; texte de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 16 février 2022 ; texte n° 133 adopté définitivement le 19 juillet).
Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.
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Genèse de la Convention
La Convention prend sa source dans une étude publiée en 2009 conjointement par le Conseil de l’Europe et les Nations unies sur « le trafic d’organes, de tissus et de cellules et la traite des êtres humains aux fins de prélèvement d’organes » et qui recommandait l’élaboration d’un instrument juridique international afin d’établir une définition du trafic d’organes, de tissus et de cellules et d’énoncer des mesures pour prévenir ce trafic, le réprimer et protéger les victimes.
Signature de la Convention contre le trafic d’organes humains en 2015
Six ans après, le 25 mars 2015, fut signée à Saint Jacques de Compostelle la Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains, qui est entrée en vigueur le 1er mars 2018 (STCE n° 216). Quoiqu’élaborée au sein du Conseil de l’Europe, la Convention comporte une dimension internationale car elle est ouverte à la signature des Etats non membres de l’organisation. A ce jour, le texte, qui entend « contribuer de manière significative à l’éradication du trafic d’organes humains par l’instauration de nouvelles infractions venant compléter les instruments juridiques internationaux existant dans le domaine de la traite des êtres humains aux fins de prélèvement d’organes » (préambule, §7), a fait l’objet de 12 signatures non suivies de ratifications et de 14 ratifications/adhésions. Il se compose, outre le préambule, de neuf chapitres : but, champ d’application et terminologie ; droit pénal matériel ; droit pénal procédural ; mesures de protection ; mesures de prévention ; mécanismes de suivi ; relations avec d’autres instruments internationaux ; amendements à la convention ; clauses finales. Bien que par rapport à l’étude de 2009, son champ d’application soit restreint puisqu’il se limite aux organes et n’inclut pas tissus et cellules, il se donne l’ambition d’aller plus loin que les textes dans le sillage desquels il s’inscrit et qu’évoque le préambule (paragraphes 2 et 3) : Déclaration universelle des droits de l'homme (1948), Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (1950), Convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine (1997), Protocole additionnel à la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine relatif à la transplantation d'organes et de tissus d'origine humaine (2002) ; Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (2000) ; Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (2005, STCE n° 197).
Une double avancée
L’avancée est double : d’une part, le texte de 2015, ratifié en 2022 par la France, est un véritable instrument de coopération transnationale en matière pénale et de droits de l’homme en ce qu’il oblige les Etats parties à prendre un certain nombre de dispositions relatives à la répression des auteurs, la prévention des pratiques illicites, la protection des victimes et des témoins et le suivi du respect de la Convention, d’autre part en ce qu’il entend marquer la spécificité du trafic d’organes par rapport à la traite des êtres humains, les deux pratiques illicites pouvant être liées mais pas nécessairement (M. Zani, « La Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains : un instrument révolutionnaire pour la prévention et la répression du commerce illicite de la personne humaine », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux).
La facilité avec laquelle l’article unique du texte de ratification fut adopté par les deux chambres s’explique sans doute par le fait que, comme l’observe l’étude d’impact, « il n’existe pas d’obstacle juridique à la signature de cette Convention et, qu’en conséquence, il n’est ainsi pas nécessaire de modifier le droit interne, globalement conforme aux dispositions de ce texte » (étude d’impact, p. 8). Et l’étude de citer au soutien de cette affirmation les articles 225-4-1, 511-3, 511-2, 511-5-1, 321, 433-1, 433-2, 435-3 et 445-1, 432-11, 433-2, 445-2 et 435-1, 121-2, 225-4-2, 132-8 à 132-16-5 du code pénal, 10-2 et s., 706-57, 706-58 et 706-62-1 du code de la procédure pénale. En outre, l’étude rappelle qu’en droit français, la plainte n’est pas une condition nécessaire de la poursuite des infractions mentionnées par la Convention et que son retrait n’entraîne aucun effet sur l’action publique, ce qui, là encore, est conforme aux exigences du texte européen. Enfin, l’étude insiste sur l’articulation harmonieuse de celui-ci avec le droit de l’Union européenne, et ce tant au regard des règles de fond que de la répartition des compétences (étude d’impact, p. 6 et s.)
Dès lors, de prime abord, en signant cette Convention le 25 novembre 2019 à l’occasion de la présidence française du Comité des ministres du Conseil de l’Europe et en le ratifiant peu après la fin de présidence française de l’Union européenne, la France manifeste sans ambiguïté son engagement « au plan international pour venir à bout des trafics d’organes, qui constituent une atteinte profonde aux droits humains en même temps qu’ils ternissent la prodigieuse avancée scientifique que représentent les transplantations d’organes » (rapport R. Ali, p. 5 ), et ce bien que notre pays ne soit pas touché par cette pratique principalement grâce à la qualité de son système de transplantation.
Réserves du Gouvernement
Toutefois le Gouvernement a émis trois réserves, l’une de fond, les deux autres de compétence, tendant à circonscrire le champ de la répression. Si toutes se justifient techniquement de lege lata, la dernière interroge.
La première concerne la tentative, la Convention l’incriminant plus largement que le droit français. La seconde porte sur la règle de double incrimination, en vertu de laquelle la loi française ne s’appliquera, s’agissant des délits établis conformément à la Convention et commis par ses ressortissants hors du territoire de la République française, qu’à la condition que les faits soient également punis par la législation du pays où ils ont été commis et que ceux-ci aient donné lieu soit à une plainte de la victime ou de ses ayants droit, soit à une dénonciation officielle de la part des autorités du pays où ils ont été commis : là où la Convention l’écarte, la France entend la maintenir. Enfin, le Gouvernement français a déclaré qu’il n’appliquerait pas ni l’article 10, paragraphe 4, de la Convention, ni l’article 1 e de l’article 10 de la Convention. En clair, le Gouvernement français a refusé d’instaurer une règle de compétence générale de la loi française pour les personnes suspectées de trafic d’organes et résidant habituellement en France et a également écarté la possibilité que la poursuite d’une personne impliquée dans un trafic d’organes et ayant sa résidence habituelle en France ne soit pas subordonnée à une plainte de la victime ou d’une dénonciation de l’Etat du lieu où l’infraction a été commise. La rapporteure Ali a justifié cette restriction en ayant recours à la notion de souveraineté de l’Etat qui serait amoindrie si cette compétence sans condition n’était plus réservée aux crimes les plus graves (rapport R. Ali, pp. 23-24). Il s’agit là d’une position classique de la France mais qui ne laisse pas d’interroger sur la relativité de la notion de gravité des crimes. Il peut en effet paraître curieux de déclarer que le trafic d’organes est une pratique qui porte atteinte à la liberté, à la non-patrimonialité du corps et à la dignité humaine et d’adopter une règle de compétence aussi restrictive. De la même manière, on regrettera que la ratification de ce texte n’ait pas été l’occasion d’engager enfin une réflexion sur la place des infractions relatives à la bioéthique dans le code pénal. Notre arsenal législatif en la matière est certes étoffé mais il figure dans le livre fourre-tout du code pénal, le livre V, et devrait, à la faveur d’une révision du code pénal ou de la prochaine révision de la loi de bioéthique, remonter dans le livre II, sauf à créer un livre spécial sur les infractions à la loi de bioéthique mais qui devrait être repensé et mieux mis en valeur.