L'exportation post mortem de gamètes vers la terre promise en vue d'une GPA : ce n'est pas encore pour maintenant

17.12.2019

Droit public

La Cour européenne des droits de l'homme rappelle le caractère « intransférable » du droit de décider de quelle manière et à quel moment un individu souhaite devenir parent et considère que l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, qui garantit le droit au respect de sa vie privée et familiale, ne comprend pas le droit à une descendance pour des grands-parents.

Après la mort de son mari, écrivain et réalisateur bien connu, et celle, à l’âge de 23 ans, de leur fils unique des suites d’un cancer, la veuve et mère demanda à un CECOS qui avait en charge la conservation préventive des gamètes du fils de transmettre à l’Agence de la biomédecine (ABM) une demande tendant à leur transfert vers un établissement de santé situé en Israël pour y faire procéder à une gestation pour autrui (GPA), autorisée dans ce pays.
Se heurtant à un refus du CECOS, elle saisit en référé le tribunal administratif de Paris pour lui demander de prendre toutes mesures utiles afin de permettre l’exportation des gamètes de son fils vers un établissement de santé israélien valablement autorisé à pratiquer des procréations médicalement assistées (PMA), en invoquant une violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme la privant du droit d’exercer la vie privée et familiale auquel elle pouvait normalement prétendre en devenant grand-mère et d’assurer le respect de la volonté de son fils. Par une ordonnance du 2 novembre 2018, le juge du référé rejeta sa requête.
En appel, et par une ordonnance du 4 décembre 2018, le Conseil d’État la débouta également, en reprenant les motifs du premier juge, jugeant ainsi que l’interdiction posée par l’article L. 2141-2 du code de la santé publique d’utiliser les gamètes d’une personne après son décès pour réaliser une insémination n’était pas incompatible avec l’article 8 de la Convention ; qu’une telle prohibition relevait de la marge d’appréciation dont chaque Etat dispose pour l’application de la Convention ; que l’interdiction d’exporter des gamètes posée par l’article L. 2141-11 du même code visait à éviter un contournement de la loi nationale s’ils sont destinés à être utilisés à l’étranger à des fins prohibées sur le territoire national. Par ailleurs, et dans les faits, rien dans le dossier n’établissait que le fils de la requérante, s’il avait bien exprimé son souhait de devenir un jour père, était inscrit dans un projet parental précis, avec utilisation post mortem de ses gamètes au moyen d’une GPA, ni autorisé sa mère à utiliser ses gamètes à cette fin. Rien n’établissait non plus qu’une insémination artificielle pouvait être réalisée en Israël à la demande de la requérante. L’atteinte prétendue à son droit au respect de sa vie privée et familiale n’était donc pas excessive.
La requérante se tourna alors vers la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Se prévalant à nouveau de l’article 8 de la Convention et du fait que la GPA soit autorisée en Israël, elle fit valoir que l’interdiction élevée par la loi française « ne se justifie ni au regard de l’évolution de la société et de la famille, ni au regard de l’intérêt de l’enfant à naître qui aurait un ou plusieurs parents à même de s’occuper de lui et de lui transmettre la mémoire particulière de la famille ».  Mais la CEDH, par une décision du 12 novembre 2019, rejeta à son tour sa requête.
Pour rejeter cette requête, elle estime devoir scinder le grief de la requérante en deux branches selon qu’elle le formule en tant que victime indirecte d’une violation de l’article 8 de la Convention au nom de son fils défunt ou en tant que victime directe privée de descendance.
Rejet du recours de la requérante en tant que victime indirecte de la Convention
Se fondant sur sa jurisprudence (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], n° 47848/08, §§ 96-100, CEDH 2014 ; Rõigas c. Estonie, n° 49045/13, 12 septembre 2017), la CEDH estime que le sort des gamètes déposés par un individu et la question du respect de sa volonté quant à leur utilisation après sa mort concernent son droit individuel de décider de quelle manière et à quel moment il souhaite devenir parent, lequel relève de la catégorie des droits non transférables. Elle juge en conséquence que la requérante ne peut, indirectement, se prétendre victime d’une violation de l’article 8 au nom de son fils défunt et la déboute en application de l’article 35 § 3 a) et 4 de la Convention.
Rejet du recours de la requérante en tant que victime directe de la Convention
C’est la deuxième branche du grief de la requérante tel qu’examiné par la CEDH, l’objectif étant de vérifier si le refus litigieux opposé à la requérante concerne son droit personnel au respect de sa vie privée ou familiale.
Se fondant sur sa jurisprudence, la CEDH rappelle que si la notion de vie privée ou familiale englobe le droit au respect des décisions de devenir parent au sens génétique du terme (Evans c. Royaume-Uni [GC], n° 6339/05, § 72, CEDH 2007-I) et que le droit des couples de recourir à la PMA constitue une forme d’expression de ces notions (S.H. et autres c. Autriche [GC], n° 57813/00, § 82, CEDH 2011), l’article 8 de la Convention ne garantit pas le droit de fonder une famille (E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 41, 22 janvier 2008).
Reprenant la motivation retenue par les juridictions françaises, la CEDH estime qu’elles ont pu considérer que l’impossibilité d’accéder au souhait de son fils défunt de se perpétuer par un enfant ne portait pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante. Et elle souligne ne pas vouloir se démarquer de cette position. Elle relève que la requérante mettait surtout en avant les conséquences du refus litigieux pour la mémoire de la famille mais note que cette aspiration personnelle à la continuité de la parenté génétique n’entre pas dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention. Pour elle en effet ce texte « ne comprend pas le droit de fonder une famille et ne saurait englober, en l’état de sa jurisprudence, le droit à une descendance pour des grands-parents ». Elle rejette en conséquence cette partie du grief comme étant incompatible avec les dispositions de la Convention, conformément à l’article 35 § 3 a) et 4 de la Convention.
Et dans l’avenir ?
La jurisprudence de la CEDH se démarque, nul ne l’ignore, par son caractère évolutif. Il n’est donc pas certain que la décision d’aujourd’hui scelle l’avenir sur la question. D’autant qu’à y regarder de près, la CEDH, dans sa décision, prend soin de souligner que « dans le cadre de la révision périodique des lois de bioéthique, le projet de loi bioéthique déposé à l’Assemblée nationale le 24 juillet 2019 est en cours de discussion. Il comporte une importante évolution des conditions d’accès à l’AMP qu’il est proposé d’élargir aux couples de femmes et aux femmes non mariées ». Sans doute est-ce aussi pour pointer que le même projet maintient « le principe de prohibition de l’insémination et du transfert d’embryons en cas de décès d’un des membres du couple ». Mais le projet de loi n’est pas encore la loi. D’autres évolutions sont possibles, peut-être même sur la PMA post mortem. Surtout, l’on n’a pas encore mesuré l’impact que l’ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes aura immanquablement, tôt ou tard, sur la perception que l’on aura de l’accès à la GPA pour les hommes seuls ou les couples d’hommes. Le pari peut être raisonnablement pris que la CEDH saura être au rendez-vous le moment venu.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Daniel Vigneau, Agrégé des facultés de droit, professeur à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, conseiller scientifique honoraire du DP Santé, bioéthique, biotechnologies
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